JANVIER - JUIN 2020
Journal des Savants 2020, 1 (janvier-juin), p. 3-114.
Sur quelques vestiges et indices nouveaux de l’hellénisme
dans les arts entre la Bactriane et le Gandhāra
(130 av. J.-C.-100 apr. J.-C. environ) 1
Henri-Paul Francfort
Introduction (fig. 1)
Cet article vient à la suite de quelques études consacrées aux antiquités de la
période qui s’étend de la fin des royaumes gréco-bactriens (env. 130 av. J.-C.) à
l’avènement de l’empire kouchan (seconde moitié du ier s. apr. J.-C.) 2. Il souhaite
mettre en évidence l’apport de trouvailles et d’analyses nouvelles attestant que des
formes d’arts hellénisés continuent d’apparaître après la fin des royaumes des
Gréco-Bactriens et la disparition de ceux des Indo-Grecs dans la Bactriane et
l’Inde du nord-ouest. Nous tentons ainsi de répondre, par exemple, à la question de
la forte hellénisation, surprenante et complexe, des nombreuses œuvres des six
tombes de la grande sépulture du site de Tillya Tépa en Bactriane, datée du ier siècle
apr. J.-C., deux siècles environ après la fin du pouvoir grec. Vient-elle d’une
1. Je remercie ici tout particulièrement Mesdames et Messieurs M. Allen, M. Alram, W. Ball,
P. Bernard†, O. Bopearachchi, O. Bordeaux, R. Boucharlat, P. Callieri, M. Compareti, R. S. Dar, A. Di
Castro, A. Didier, H. Falk, J.-Y. Empereur, A. Filigenzi, M. Gruber, Ph. Hoffmann, J. Ilyasov, J. Jouanna,
K. Kaniuth, A. Khan, S. Kim, P. Laurens, P. Linant de Bellefonds, G. Lindström, C. Lippolis,
M.-D. Nenna, L. Olivieri, K. Parlasca, E. Parlato, N. Polosmak, J. Pons, Cl. Pouzadoux, É. Prioux,
F. Queyrel, A. Rouveret, V. Schiltz†, S. J. Simpson, K. Tanabe, M. Treister, A. Vahdati, V. Zaleski, sans qui
cette étude eût été non seulement très incomplète et imparfaite, mais totalement impossible. Les idées
exprimées, les manques et les défauts sont entièrement de ma responsabilité.
NB : les graphies et les transcriptions suivent généralement l’usage le plus courant du français.
L’illustration privilégie les œuvres centrasiatiques car les comparaisons gréco-romaines sont aisément
accessibles.
2. RoiAn ; NomInst ; FigEmbl ; PGSC ; « Les archéologues, le climat et l’environnement », in Vie et
climat d’Hésiode à Montesquieu, J. Jouanna, Chr. Robin et M. Zink éd., Paris, Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres (Cahiers de la Villa « Kérylos », 29), 2018, p. 205-245.
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HENRI-PAUL FRANCFORT
survivance locale en Bactriane même, du nord-ouest de l’Inde indo-scythe et
indo-parthe, de l’Iran parthe ou du monde méditerranéen gréco-romain ?
Il ne peut être question de donner ici une définition rigoureuse et générale de
ce qui peut être pris pour hellénisme parmi les productions artistiques
pré-kouchanes. Les données sont beaucoup trop peu nombreuses et fragmentaires ;
notre démarche reste donc pragmatique, procédant par des études de cas.
L’approche proposée considère l’étude des arts comme une source, un marqueur de
phénomènes culturels et historiques, si bien que l’hellénisme y peut être de forme,
de fonction ou de sens. Elle tente de prendre en compte tout autant des traces de
persistances locales de l’hellénisme séleucide et gréco-bactrien que des apports
nouveaux et apparemment constants, ainsi que nous le verrons, du monde parthe,
mais aussi du domaine méditerranéen gréco-romain d’époque julio-claudienne. En
effet, durant cette période, malgré des bouleversements politiques et une apparence
d’âge obscur, les relations ne furent jamais complètement coupées entre la région
Bactriane-Paromamisades-Gandhāra et l’Orient gréco-romain ou par la mer
Rouge, ou par la voie continentale qui, après la traversée d’un empire parthe encore
pénétré d’hellénisme, cheminait à travers la Mésopotamie et prenait la mer, ou
passait par le Khorasan, puis se glissait au nord ou au sud de l’Hindou Kouch.
Certaines imprécisions sont inévitables, méthodologiquement nécessaires ; les
personae ethniques des producteurs, des utilisateurs ou des spectateurs de ces arts
peuvent être incertaines, floues ou multiples. Ainsi, par exemple, des vestiges
connus pour être ceux qui signalent des « envahisseurs nomades » venus des steppes
ont été souvent pris en compte par les chercheurs, du gobelet en céramique à
piédouche au costume de cavalier, sans qu’il soit réellement possible d’inférer
solidement, ni le mode de vie (mobilité, habitat, alimentation), ni l’identité
ethno-culturelle (Saka, Yuezhi, Wusun, Sacaraules, Dahae, etc.) ou sociolinguistique (Iraniens, Tokhariens, Bactriens, etc.) des « porteurs » de ces récipients
ou de ces tenues. Les termes qualifiant notre période, dite « des invasions – ou
migrations – nomades », « pré-kouchane » ou « Saka-Yuezhi » pour la Bactriane, sont
ici délibérément conventionnels, tout comme le sont aussi les dénominations
générales de « indo-grec », « indo-scythe » ou « indo-parthe ». Leur sens ne peut être
précis qu’au regard de l’histoire que l’on peut écrire à l’aide des corpus de textes, de
monnaies et d’artefacts épigraphes provenant de couches stratigraphiques datées.
Mais dans le domaine considéré, celui des arts et de la culture, et au stade actuel de
la recherche, ils ne définissent rien de précis ni de généralisable comme pourraient
l’être des arts bien définis comme « indo-scythe », « indo-parthe », « Saka » ou
« Yuezhi ».
Par conséquent, après un bref rappel de l’histoire de la région considérée entre
130 av. J.-C. et 100 apr. J.-C., nous procédons à un examen des données des fouilles
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
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Fig. 1. – Principaux sites et itinéraires aux environs du début de n. è. Carte par M. François Ory UMR-8546.
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de sites et de nécropoles de Bactriane (le Gandhāra est mieux connu). Ensuite, nous
abordons les arts : l’art monétaire (rois cavaliers, portraits dynastiques), les arts
mineurs (bijoux, plaques de ceinture, quelques découvertes de Takht-i Sangin au
Tadjikistan), les arts de « trésors » et les emblèmata (orfèvrerie, moulages, palettes
de pierre du Gandhāra), les arts monumentaux (peintures, tentures) et enfin le
phénomène de l’art d’aspect archaïsant.
Quelques éléments du contexte historique
En Asie centrale et dans le nord-ouest de l’Inde, entre la fin du règne
d’Eucratide et celui de Vima Kadphisès, entre les Gréco-Bactriens et les Kouchans
(130 av. J.-C.-100 apr. J.-C. env.) la situation politique, ethnique et culturelle a
changé. Avec l’arrivée de populations des steppes, des modifications considérables
se sont produites dans la culture et les arts. Si ces phénomènes sont bien connus
dans leurs grandes lignes, de nombreuses difficultés subsistent pour les décrire. En
effet, sur le territoire ici considéré, des zones entières sont inexplorées, la
chronologie n’est pas complètement fixée, les textes sont rares et les informations
fournies par les fouilles très inégales et disparates, tant en quantité qu’en qualité.
Pourtant, de nombreux écrits ont été consacrés à cette période où se désagrège le
monde hellénistique, celui des monarchies gréco-bactriennes qui (selon leurs dires)
avaient contenu les poussées des Scythes et conquis l’Inde en fondant les royaumes
indo-grecs, époque où se met en place et se renforce l’empire parthe face à la montée
de la puissance romaine. Par commodité, nous utilisons simplement le terme de
« période Saka-Yuezhi » 3.
En Bactriane, les Grecs installés depuis Alexandre avaient fondé entre 330 et
130 av. J.-C des villes peuplées de soldats et de colons dotés en terres. Ils étaient
aussi les détenteurs d’une culture en relation avec le monde méditerranéen des
sciences, des arts et des lettres. Implantés en Asie centrale entre l’Iran au sud et à
l’ouest, les Scythes au nord et à l’est et les Indiens au sud-est, ils avaient rencontré
et appris à connaître d’anciennes et grandes civilisations. Ce monde s’effondra vers
145-130 av. J.-C. pour des raisons diverses, complexes et mal connues, produisant
3. Une vue d’ensemble un peu datée mais bien documentée : B. Ja. Staviskij, La Bactriane sous les
kushans : problèmes d’histoire et de culture, édition revue et augmentée, traduite du russe par P. Bernard,
M. Burda, F. Grenet et P. Leriche, Paris, J. Maisonneuve (Librairie d’Amérique et d’Orient), 1986 ; un
ouvrage dont toutes les contributions sont importantes a été consacré à l’art de cette période :
D. M. Srinivasan éd., On the Cusp of an Era. Art in the Pre-Kusana World, Leyde-Boston, Brill, 2007. Sur
l’histoire en général : J. Harmatta éd., The development of sedentary and nomadic civilizations: 700 B. C. to
A. D. 250, Paris, UNESCO Publishing (History of civilizations of Central Asia, 2), 1994, p. 131-246.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
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une rupture entre les régions d’Asie centrale, où l’hellénisme paraît pâlir et
s’éclipser, et les contrées du nord-ouest de l’Inde où il subsista plus longtemps sans
interruption. Une population hellénique s’établit dans les royaumes indo-grecs
nouvellement fondés vers 170 av. J.-C., laquelle fut renforcée, après 130, par de
nouveaux arrivants de la Bactriane conquise. La chute du royaume gréco-bactrien
se produisit apparemment à la suite d’une première invasion de Saka (Scythes) vers
145 (mort d’Eucratide Ier) et d’une seconde de Yuezhi avant 130 (fin des règnes des
derniers rois gréco-bactriens, Hélioclès ou Platon ?), selon des historiens tels que
Strabon et Justin, suivis par les archéologues, textes chinois à l’appui (Hanshu,
Houhanshu). Les sources gréco-romaines, chinoises et indiennes, connues et
étudiées depuis longtemps, sont peu nombreuses et pas toujours explicites sur la
période de 130 av. J.-C. à 100 apr. J.-C. Le seul texte consistant qui nous soit
parvenu, la relation de Zhang Qian, l’émissaire de l’empereur de Chine chez les
Yuezhi passé vers la Bactriane vers 130, n’est pas très détaillé. Il donne à penser que
la région était gouvernée par des principicules et parcourue par des nomades 4.
Il serait aisé d’en conclure que rien ne s’est passé pendant cette période, intervalle
sombre et barbare, et que par conséquent l’hellénisation du Gandhāra kouchan
serait principalement, sinon uniquement, le résultat d’échanges avec le lointain
monde gréco-romain, survenus par la « Route de la Soie » à partir du ier siècle apr.
J.-C. ou après, et non d’une transmission par les populations hellénisées
anciennement ou récemment établies dans l’Inde du nord-ouest, ou même encore
par des communautés qui auraient pu demeurer en Bactriane au lieu d’émigrer vers
4. Voir KH, p. 59-109 (pour notre période, époque des yabghus, et l’émergence de la puissance
kouchane entre 145 av. J.-C. et 104 apr. J.-C.) qui donne la meilleure revue de toutes les sources disponibles,
chinoises, classiques, indiennes et autres, et les discute, avec toute la bibliographie antérieure ; sur la relation
de Zhang Qian : § 036, p. 63 sqq. depuis 121 av. J.-C. ; p. 69-85 : sur la « phase des yabghus » de env.
80 av. J.-C. à 30 apr. J.-C. ; p. 85-97 : sur Kujula Kadphisès et son époque de 30 à 88 apr. J.-C. [avec la
question de son identification à Héraos] ; p. 97-109 : l’époque de Vema Takthu alias Sôter Megas de 88/89
à 112 apr. J.-C. env. [cette identification n’est pas acceptée par tous]. Paul Bernard a récemment donné une
mise au point archéologique sur ce sujet lors du colloque de la villa grecque Kérylos de 2015 : « Un Chinois,
des nomades et la fin de la Bactriane grecque (145-128 av. J.-C.) », in La Grèce dans les profondeurs de l’Asie,
J. Jouanna, V. Schiltz et M. Zink éd., Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (Cahiers de la Villa
« Kérylos », 27), 2016, p. 101-120 ; cf aussi : Id., « Les nomades conquérants de l’empire gréco-bactrien.
Réflexions sur leur identité ethnique et culturelle », Comptes rendus des Séances de l’Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres 1987, fasc. IV (nov.-déc.), p. 758-768. Voir aussi les articles suivants : RoiAn ; NomInst,
n. 1, p. 1543 ; H. Falk, « The Five Yabghus of the Yuezhi », Bulletin of the Asia Institute 28, 2018, p. 1-43,
avec discussions et références antérieures ; ainsi que l’excellente et prudente édition et traduction de textes
pertinents de F. Thierry : « Yuezhi et Kouchans. Pièges et dangers des sources chinoises », in Afghanistan,
ancien carrefour entre l’Est et l’Ouest, O. Bopearachchi et M.-F. Boussac éd., vol. 3 (Indicopleustoi.
Archaeologies of the Indian Ocean), Turnhout, Brepols (Topoi), 2005, p. 421-539 .
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HENRI-PAUL FRANCFORT
le Gandhāra, de partir chez les Parthes ou de s’en aller vers la Méditerranée 5. La
période « Saka-Yuezhi » reste peu connue en Bactriane car la numismatique, qui
permet avec l’épigraphie d’établir des successions de règnes et de souverains en
Inde, y est pratiquement muette avec des émissions locales anépigraphes, imitations
« barbarisées » de Démétrios Ier, d’Eucratide Ier, d’Hélioclès Ier, ou celles des « petits
rois pulagides », dont la séquence est malaisée à dresser et qu’il est difficile de situer
dans le temps. Les coins, les surfrappes et les contremarques aident dans une
certaine mesure à ordonner les séries, lorsqu’elles portent sur des monnaies connues
par ailleurs, parthes principalement (Phraate IV p. ex.), mais les incertitudes
demeurent grandes. Ce n’est pas avant les règnes d’Héraos et de Kujula Kadphisès
(env. 30-90 apr. J.-C.), les premiers kouchans, avec Vima Taktu (90-105 ou 90-95),
Sôter Megas (90-105 ou 92-110), puis Vima Kadphisès (100-127) et Kaniška
(127-151), donc après un silence de près de deux siècles, que les émissions sortent
vraiment de l’anonymat au nord de l’Hindou Kouch, mais non de certaines
incertitudes chronologiques.
5. Les publications sur la « Route de la Soie », qu’évoque cette époque, étant extrêmement nombreuses,
nous nous abstenons de charger cet article de références très connues. Les itinéraires maritimes ont été
l’objet des recherches les plus nombreuses, mais les voies terrestres ne sont pas à négliger et l’on conçoit
aujourd’hui, en partie à l’aide des sites et des antiquités dont il est question ici, mais aussi par un examen des
sources antiques, que depuis Auguste et Néron une connaissance et une politique orientale ont pu exister,
en rapport non seulement avec des manœuvres politiques et militaires (bien étudiées, par exemple :
Ch. Lerouge, L’image des Parthes dans le monde gréco-romain. Du début du Ier siècle av. J.-C. jusqu’à la fin du
Haut-Empire, Stuttgart, Franz Steiner Verlag [Alte Geschichte Oriens et Occidens, 17], 2007, et ses travaux
ultérieurs ; Eva Matthews Sanford, « Nero and the East », Harvard Studies in Classical Philology 48, 1937,
p. 75-103 ; David Braund, « Apollo in arms: Nero at the frontier », A Companion to the Neronian Age, 2013,
p. 83-101), mais également avec les échanges commerciaux (K. Karttunen, India and the Hellenistic World,
Hindu Tradition Series, Delhi, Finnish Oriental Society, Motilal Banarsidass, 1997 [2017], p. 336 s. sur les
Parthes plus intermédiaires qu’obstacles aux échanges ; infra, n. 9 et récemment Marco Galli, « Beyond
frontiers: Ancient Rome and the Eurasian trade networks », Journal of Eurasian Studies 8/1, 2017, p. 3-9) et
avec l’imaginaire romain de l’Oxus et de Bactres (ex. Virgile, Bucoliques, I. 62-65 ; Properce III. 4 ; IV. 3, et
Pierre Grimal, « Les campagnes de Lycotas et le texte de l’élégie de Properce », Revue des Études anciennes,
1951, p. 222-233 ; P. Leriche, « Appendix. The Image of Bactria in the Roman World », in After Alexander.
Central Asia before Islam, J. Cribb et G. Herrmann éd., Oxford, Oxford University Press [Proceedings of
the British Academy], 2007, p. 149-150). Nous pouvons donc, du ier siècle av. au ier siècle apr. J.-C., envisager
de nouveaux apports depuis la Méditerranée, à côté de possibles survivances locales de l’hellénisme en
Bactriane et au Gandhāra. Il convient aussi de ne pas négliger les monarchies orientales hellénisées et
l’influence de Rome dès la république, s’exerçant après les victoires sur les Séleucides à partir
d’Antiochos III et Antiochos IV, avec les menées politiques lors des successions dynastiques des Séleucides
et des Parthes : otages, des princes orientaux ont longuement vécu à Rome. Nous sommes certainement loin
de mondes qui s’ignoraient, de routes coupées et d’échanges interrompus, même si les historiens antiques
nous rapportent plutôt les épisodes les plus intéressants pour eux des querelles dynastiques et des guerres.
KH, § 052, p. 81, mentionne des ambassadeurs indiens chez Auguste en 18/17 av. J.-C. ; § 080, p. 102, Ban
Chao envoie une ambassade à Rome.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
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Avec l’Inde, les échanges de l’Asie centrale furent permanents, depuis la
Protohistoire, les expéditions de conquête des Achéménides, celles d’Alexandre,
des Séleucides et enfin des Gréco-Bactriens. Ce sont Démétrios Ier, Euthydème II,
Agathocle et Pantaléon (les premiers à frapper des monnaies bilingues grécoindiennes) 6, Antimaque Ier (176-171), Eucratide Ier (171-145), Apollodote Ier
(176-165), Ménandre Ier (165-135) et d’autres encore qui, après 200-180 environ,
établirent les royaumes indo-grecs 7. Après Démétrios Ier et Eucratide Ier, seuls
Apollodote Ier et Antimaque Ier auraient pu régner de part et d’autre de l’Hindou
Kouch. Certains rois n’ayant régné qu’au sud de l’Hindou Kouch n’en ont pas
moins émis des monnaies d’étalon attique pour le commerce, pour payer tribut ou
rétribuer des mercenaires dans le nord entre 165 et 48 av. J.-C. : Ménandre Ier,
Zoïle Ier, Lysias, Antialicidas, Philoxène, Diomède, Amyntas, Théophile, Archébios
et Hermaios. Les Saka établirent ensuite leurs royaumes indo-scythes avec Azès Ier
(vers 48 av. J.-C.) et ses successeurs dans Gandhāra et au Pendjab occidental, alors
que les Indo-Grecs perdaient le Gandhāra mais conservaient le Pendjab jusqu’à
Straton II (10 apr. J.-C.) 8. Les Grecs, en bref, perdirent la Capisène, le Gandhāra,
le Pendjab et le Cachemire entre la fin du règne d’Hermaios, chassé par les Yuezhi
vers 70 av. J.-C., et celui de Straton II. Vers 30, sous le règne de Kujula Kadphisès,
l’empire Kouchan semble instauré.
Vers l’ouest, les Parthes fondent un empire avec Mithridate Ier (171-135) et
pénètrent progressivement en Iran et en Mésopotamie. Les communications de la
Bactriane avec le monde méditerranéen semblent coupées ou du moins sérieusement
empêchées après 130. Pourtant, deux textes célèbres nous sont parvenus, datés du
ier siècle apr. J.-C., l’anonyme Periplus Maris Erythraei et les Parthikoi stathmoi
d’Isidore de Charax. Souvent commentés, ils décrivent des itinéraires de
marchands, l’un maritime et l’autre terrestre, qui conduisent du Proche-Orient à
6. Dont les célèbres monnaies d’Aï Khanoum portant les effigies de Balarāma-Sa kar a a et de
Vāsudeva-K a : WmetE, p. 20.
7. Sur cette histoire et sur les royaumes grecs rivaux en Bactriane, dans les Paropamisades, le Gandhāra
et le Pendjab (ainsi que les Indo-Scythes et les Indo-Parthes), je renvoie à la synthèse de O. Bopearachchi,
WmetE (tableau chronologique p. 33), tableau de l’histoire culturelle avec la question des émissions
posthumes d’Hermaios, le dernier roi grec de Capisène. Voir aussi : W. W. Tarn, The Greeks in Bactria and
India, Cambridge University Press, 1938 ; 2e éd. avec addenda et corrigenda, 1951 ; nouv. éd. par Frank Lee
Holt, Chicago, Ares Press, 1985 ; A. K. Narain, The Indo-Greeks, Oxford, Clarendon Press, 1957 ; éd. revue
et augmentée, New Delhi, B. R. Publishing Corporation, 2003 ; J. M. Rosenfield, The dynastic art of the
Kushans, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 1967 ; Claude Rapin, « Relations entre
l’Asie centrale et l’Inde à l’époque hellénistique », Cahiers d’Asie centrale 1/2, 1996, p. 35-45.
8. Précisions dans WmetE, p. 24, qui indique, avec H. Falk (« Three inscribed Buddhist monastic
utensils from Gandhāra », Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft 156/2, 2006, p. 395), que
la transition ne s’est pas toujours faite dans la violence ni par la guerre.
10
HENRI-PAUL FRANCFORT
l’Inde, en passant par le sud de l’Hindou Kouch. Comme avec le marchand levantin
Maès Titianos 9, les échanges paraissent actifs, attestés par de nombreuses
découvertes en Asie centrale (p. ex. Begram et Tillya Tepa en Afghanistan,
Khalchayan en Ouzbékistan, Shanpula et Miran au Xinjiang, Noin-Ula en
Mongolie), à côté de la continuité des relations observée en Inde (p. ex. Taxila). Les
Parthes et les Indo-Parthes, pour notre propos, ont plutôt été des intermédiaires
culturels que des conquérants destructeurs 10.
La question se pose dès lors en Bactriane d’un apport steppique dans l’art.
Précisons d’abord que tout ce qui est steppique dans l’art, l’artisanat et les coutumes
ne reflète pas toujours nécessairement le pastoralisme nomade 11. L’on sait bien que
non seulement le costume de cavalier, l’équitation et l’art des steppes (ou « style
animalier scytho-sibérien ») se sont répandus dans l’Eurasie depuis le viiie siècle av.
J.-C. au moins, et nul n’ignore que des populations steppiques se sont installées
dans les domaines des empires agraires et s’y sont acculturées en devenant
sédentaires, agricultrices même, tout en conservant costumes, armements et
coutumes. Certains groupes pouvaient rester nomades entre les villes et les villages
ou combiner en alternant ces deux modes de vie avec de nombreux degrés
intermédiaires possibles 12. Leurs relations avec les populations agraires des
« empires » ont revêtu une grande diversité de formes, de la mer Noire au fleuve
9. P. Bernard, « De l’Euphrate à la Chine avec la caravane de Maès Titianos (c. 100 apr. N. E.) »,
Comptes rendus des Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2005, fasc. III (juillet-oct.),
p. 929-969.
10. De Gondopharès (env. 20 av. J.-C.) au dernier roi indo-parthe (env. fin du ier s. apr. J.-C.), ces
souverains ont dominé des territoires au sud de l’Hindou-Kouch dont le Gandhāra et Taxila mais, hormis
leurs monnaies, nous n’avons pas la certitude d’après les données actuelles qu’ils ont produit un art ou une
culture définis (ou définissables), à quelques exceptions près (dont certaines des palettes gandhāriennes),
plus ou moins hellénisés ou d’aspect scythe. Les nouvelles fouilles entreprises à Charax-Spasinou nous en
apprendront sans doute beaucoup sur cette question de l’art, de la vie quotidienne, et sur celle de l’économie
et des échanges (http://www.charaxspasinou.org/).
11. Ainsi à Tillya Tépa et à Emchi-Tépé, le site urbain voisin, les « nomades » paraissent sédentarisés
malgré l’art des steppes qui leur est attribué ; voir en général : K. A. Abdullaev, « Nomadism in Central
Asia. The Archaeological Evidence (2nd-1st Centuries B. C.) », dans In the Land of the Gryphons. Papers on
Central Asian archaeology in antiquity, A. Invernizzi éd., Florence, Casa Editrice Le Lettere, 1995,
p. 151-161 ; Id., « Nomady v iskusstve ellenisticheskoj Baktrii », VDI 1, 1998, p. 83-91 : ces images montrent
en effet des personnages d’aspect et de tenue d’apparence steppique, mais dont rien ne dit qu’ils étaient
nomades. Des incertitudes demeurent sur les images du costume steppique des Scythes ou des Saka, des
Yuezhi, des Parthes, en Bactriane aussi bien que dans le Gandhāra, costumes qui peuvent être parfois
confondus entre eux, mais n’indiquent pas un mode de vie pastoral mobile distinct.
12. Transhumances et nomadismes saisonniers (P. Centlivres et M. Centlivres-Demont, « Chemins
d’été, chemins d’hiver entre Darwaz et Qataghan (Afghanistan du Nord-Est) », Afghanistan Journal 4/4,
1977, p. 155-163 ; N. G. Gorbunova, « Traditional Movements of Nomadic Pastoralists and the Role of
Seasonal Migrations in the Formation of Ancient Trade Routes in Central Asia », Silk Road Art and
Archaeology 3, 1994, p. 1-10), ou pour prendre un autre exemple, les Ouzeks du village d’Aï Khanoum
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
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Jaune, produisant les arts dits gréco-scythe ou sino-steppique. Alliances, hostilités,
dominations, conquêtes, mercenariats, commerce, toutes ces relations ont été
structurantes pour l’histoire de l’Eurasie dans la zone de contacts entre le monde
des empires agraires et celui des populations des steppes 13. En outre, le monde des
steppes d’Asie centrale connaissait l’agriculture et construisait des villages et des
villes fortifiées, tant chez les Scythes en Asie occidentale que chez les Xiongnu en
Asie orientale. Les analyses scientifiques récentes confirment la culture et la
consommation de céréales dans les pratiques alimentaires de ces populations et les
découvertes de sites fortifiés habités se multiplient du Kazakhstan à la Mongolie 14.
Des populations steppiques ou scythiques vivaient en Bactriane, quoiqu’elles n’y
qui combinent l’agriculture et l’élevage sédentaire et transhumant, vivant sous des yourtes, mais
construisant des bâtiments en terre utilisés comme étables ou écuries.
13. Sur la « frontière » entre peuples des steppes et empires agraires, voir les travaux de O. Lattimore et
de N. Di Cosmo ; Peter Turchin, Historical dynamics: Why states rise and fall, vol. 26, Princeton University
Press, 2018 ; Id., War and peace and war: The rise and fall of empires, New York, Penguin, 2007 ; Id., « War,
space, and the evolution of Old World complex societies », Proceedings of the National Academy of Sciences
- PNAS 110, 41, 2013, p. 16384-16389. Les sources écrites, qu’elles soient chinoises ou gréco-romaines, sont
toujours dépréciatives à l’égard de peuples décrits comme vivant « sans feu ni lieu », et elles doivent être
complétées par des observations archéologiques.
14. Des céréales cultivées ont été recueillies dans les grands kourganes scythes (Pazyryk, Arjan-2 par
exemple), mais aussi chez les Xiongnu, comme du millet à Noin-Ula (E. A. Korolyuk, A. A. Krasnikov et
N. V. Polosmak, « Panicoids in Xiongnu burial ground (Mongolia, First Century AD): problems of
identification », Turczaninowia 21/2, 2018). Voir aussi, par exemple, des recherches au Xinjiang (C. DebaineFrancfort, « Les Saka du Xinjiang avant les Han (266 av.-220 apr. J.-C.) : critères d’identification », in
Nomades et sédentaires en Asie centrale. Apports de l’archéologie et de l’ethnologie (Actes du colloque francosoviétique d’Alma-Ata [Kazakhstan] 17-26 octobre 1987), H.-P. Francfort éd., Paris, Éditions du CNRS,
1990, p. 81-95 ; sur la cité de Djoumboulak Koum dans le Taklamakan : C. Debaine-Francfort et A. Idriss,
« Djoumboulaq Qoum, une cité fortifiée », in Keriya, mémoires d’un fleuve. Archéologie et civilisation des oasis
du Taklamakan, C. Debaine-Francfort et I. Abduressul éd., Paris, Éditions Findakly, 2001, p. 120-136 ;
cités Xiongnu en Bouriatie (A. V. Davydova, Ivolginginskij Kompleks [gorodishche i mogil’nik] - pamjatnik
Khunnu v Zabajkale, Léningrad, Izdatel’stvo Leningrradskogo Universiteta, 1985 ; Id., Ivolginginskoe
Gorodishche [Ivolginskij Arkheologicheskij Kompleks, tom 1], Arkheologicheskie Pamjatniki Sjunnu, vol. 1,
St-Pétersbourg, St-Petersbourg « Asiatic Fund », 1995) ; au Kazakhstan (M. Frachetti, Nicole Boivin et
Michael D Frachetti, Globalization in Prehistory: Contact, Exchange, and the ‘People Without History’,
Cambridge University Press, 2018 ; Cl. Chang et P. Tourtelotte, « The Role of Agro-Pastoralism in the
Evolution of Steppe Culture in Semirechye Area of Southern Kazakhstan during the Saka/Wusun Period
(600BCE-400CE) », in The Bronze Age and Early Iron Age Peoples of Eastern Central Asia, V. Mair éd.,
Philadelphie, The Institute for the Study of Man, The University of Pennsylvania Museum Publications,
1998, p. 264-279) ; en Mongolie (D. Eisma, « Agriculture on the Mongolian Steppe », The Silk Road 10,
2012, p. 123-135) ; et depuis l’âge du bronze (E. Lightfoot et alii, « How ‘Pastoral’ is Pastoralism? Dietary
Diversity in Bronze Age Communities in the Central Kazakhstan Steppes », Archaeometry 57, 2015,
p. 232-249 ; Eileen M. Murphy et alii, « Iron Age pastoral nomadism and agriculture in the eastern Eurasian
steppe: implications from dental palaeopathology and stable carbon and nitrogen isotopes », Journal of
Archaeological Science 40/5, 2013, p. 2547-2560). De l’âge du bronze à l’âge du fer : Alicia R. Ventresca
Miller et Cheryl A. Makarewicz, « Intensification in pastoralist cereal use coincides with the expansion of
trans-regional networks in the Eurasian Steppe », Scientific reports 9/1, 2019, p. 8363.
12
HENRI-PAUL FRANCFORT
aient guère été identifiées pour l’époque gréco-bactrienne 15. Cette vision plus
complexe du monde des steppes est mise en avant depuis quelque temps 16. Elle est
à compléter par le point de vue des nomades dans les steppes d’Asie dont l’art,
jusqu’au iiie siècle av. J.-C., ignore largement le monde hellénisé tandis que
l’achéménide est bien connu et intégré, depuis le ive siècle ou un peu plus tôt, de
l’Oural jusqu’à l’Altaï, où il reste vivant jusqu’aux environs de 250 av. J.-C. 17.
15. Pour les trouvailles d’Aï Khanoum par exemple, voir NomInst (p. 1549-1553) et les fragments
d’armures de l’arsenal (F. Grenet in P. Bernard et alii, « Campagne de fouille 1978 à Aï Khanoum
(Afghanistan) », B.E.F.E.O. 68, 1980, p. 1-103) pouvant indiquer aussi bien leur adoption par les Grecs
qu’une prise de guerre ou l’association avec des unités de Saka cataphractaires. En revanche, le Trésor de
l’Oxus en Bactriane, celui de Mir-Zakah 2 (à la frontière afghano-pakistanaise) et d’autres vestiges attestent
d’échanges et de proximités entre les Grecs de la Bactriane et des Scythes, ainsi qu’avec les Bactriens,
grands oubliés de l’histoire de cette région : O. M. Dalton, The Treasure of the Oxus, 3e éd., Londres, The
British Museum, 1964 ; E. E. Kuz’mina, « Iran, Baktrija i formirovanie skifskogo zverinogo stilja », in
Central’naja Azija istochniki, istorija, kul’tura. Tezisy dokladov konferencii, posvjashchennoj 80-letiju Eleny
A. Davidovich i B. A. Litvinskikogo, T. K. Mkrtychev et alii éd., Moscou, RAN Institut Vostokovedenija,
Gos Muzej Vostoka, 2003, p. 80-82 ; Ead., Mifologija i iskusstvo Skifov i Baktrijcev, Moscou, Rossijskij
Institut Kulturologii, 2002 ; Catalogue, Treasures of Ancient Bactria, Miho Museum, 2002 ; H.-P. Francfort,
« Choix des nomades et choix des sédentaires en Asie Centrale dans l’adaptation de thèmes et de motifs des
arts de la Perse achéménide », in Mobilités, immobilismes. L’emprunt et son refus, P. Rouillard, C. Perlès et
E. Grimaud éd., Paris, de Boccard, 2007, p. 267-282 ; Id., L’art oublié des lapidaires de la Bactriane aux
époques achéménide et hellénistique (Persika, 17), Paris, de Boccard, 2013.
16. Pour la mobilité scientifiquement démontrée : Dalia A. Pokutta et alii, « Mobility of nomads in
Central Asia: Chronology and 87Sr/86Sr isotope evidence from the Pazyryk barrows of Northern Altai,
Russia », Journal of Archaeological Science: Reports 27, 2019, p. 101897. Voir aussi Angelo Andrea Di
Castro, « The Barbarisation of Bactria », in Cultural Interaction in Afghanistan c. 300, Angelo Di Castro et
C. A. Hope éd., 2005, p. 1-18 ; R. Mairs, « Waiting for the Barbarians: the ‘Fall’ of Greek Bactria »,
Parthica 15, 2013, p. 9-30. L’inscription d’Amphipolis qui mentionne des Scythes en Bactriane sous le
règne d’Antimaque ne permet pas de savoir s’ils étaient plus mercenaires qu’alliés ou adversaires des GrécoBactriens, ni s’ils étaient nomades ou non (G. Rougemont, Inscriptions grecques d’Iran et d’Asie centrale,
[Corpus Inscriptionum Iranicorum II, 1], Londres, School of Oriental and African Studies, 2012,
p. 193-194) ; L. Martinez-Sève les prend pour nomades (« Les opérations d’antiochos III en BactrianeSogdiane : l’apport de la documentation archéologique », in Antiochos III et l’Orient. Actes de la rencontre
franco-allemande tenue à Nancy du 6 au 8 juin 2016, Chr. Feyel et L. Graslin-Thomé éd., Nancy, ADRA-de
Boccard [Études anciennes], 2017, p. 289, n. 69).
17. Les trouvailles des kourganes les plus anciens de Chilikty, Taldi, Taksai-1 et Eleke-Sazy au
Kazakhstan, ainsi que celles des tombes monumentales d’Arzhan 1 et Arzhan 2 en Touva (Russie) et de
Taldi-est au Xinjiang montrent un art des steppes dépourvu d’apports achéménides, lesquels sont encore
discrets à Bashadar par exemple, plus nets à Pazyryk-I. Sur Pazyryk-V, Ukok ou Berel’, entre autres, et les
formes de l’art achéménide dans les steppes au iiie siècle av. J.-C., voir : H.-P. Francfort, G. Ligabue et
Z. S. Samashev, « Découverte d’une tombe gelée d’époque scythe (ive s. av. J.-C.) à Berel’ dans l’Altaï
(Kazakhstan oriental) », Comptes rendus des Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 1998,
fasc. IV (nov.-déc.), p. 1165-1175 ; Id., « La fouille d’un kourgane scythe gelé du ive siècle av. notre ère à
Berel’ dans l’Altaï (Kazakhstan) », Comptes rendus des Séances de l’Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres 2000, fasc. II (avril-juin), p. 775-806 ; Id., « Scythians, Persians, Greeks and Horses:
Reflections on Art, Culture Power and Empires in the Light of Frozen Burials and other Excavations », in
The Scythian legacy: economy, contact and culture of Eurasian nomads, S. J. Simpson et S. V. Pankova éd.,
Londres, British Museum, sous presse. Pour les régions de l’Oural, voir par exemple : M. Ju. Treister et
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
13
Le cas de l’art gréco-scythe de la mer Noire est différent, on le sait. De leur côté, les
objets hellénisés de manufacture grecque de la mer Noire ou de la Bactriane,
découverts au Kazakhstan ou en Russie, sont des objets d’importation isolés ou des
réutilisations comme à Sidorovka, Volodarka, Isakovka ou Prokhorovka 18.
Les conjectures sur le caractère plus ou moins « hellénisé » des populations agricoles
sédentaires ou sur le nomadisme et l’hellénisation ou non des populations
« scythes », anciennes ou nouvellement arrivées, restent toujours très fragiles et c’est
pourquoi à « nomade », nous préférons décidément le qualificatif de « steppique » 19.
Grâce à l’étude des vestiges matériels, il est néanmoins possible de dégager quelques
L. T. Jablonskij éd. Vlijanija akhemenidskoj kul’tury v juzhnom Priural’e (V-III vv. do n.e.), Drevnjaja
torevtika i juvelirnoe delo v vostochnoj Evrope, Moscou, TAUS, 2012 ; L. T. Yablonsky et M. Yu. Treister,
« New Archaeological Data on Achaemenid Influences in the Southern Urals », Ancient Civilizations from
Scythia to Siberia 25, 1, 2019, p. 59-78.
18. M. Treister, « Silver Phialai from the Prokhorovka Burial-mound No 1 », Ancient Civilizations from
Scythia to Siberia 15, 2009, p. 94-135 ; Id., « Silver-gilt Bowl from Burial-mound B at Prokhorovka »,
Ancient Civilizations from Scythia to Siberia 15, 2009, p. 183-189 ; Id., « Silver Phalerae with a Depiction of
Bellerophon and the Chimaira from a Sarmatian Burial in Volodarka (Western Kazakhstan). A Reappraisal
of the question of the So-Called Graeco-Bactrian Style in Hellenistic Toreutics », Ancient Civilizations
from Scythia to Siberia 18, 1, 2012, p. 51-109. J. Boardman avait déjà noté la rareté des éléments hellénisés
chez les populations des steppes d’Asie que confirment ces trouvailles, en fort contraste avec les achéménides
(J. Boardman, The Diffusion of Classical Art in Antiquity, Londres, Thames & Hudson, 1994).
19. K. A. Abdoullaev, « La localisation de la capitale des Yuëh-chih », in La Bactriane au carrefour des
routes et des civilisations de l’Asie centrale, P. Leriche et alii éd., Paris, Maisonneuve & Larose, IFEAC, 2001,
p. 197-214 ; K. A. Abdullaev, « Nomad Migration in Central Asia », in After Alexander. Central Asia before
Islam, J. Cribb et G. Herrmann éd., Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 73-98, liste les nécropoles,
mais mentionne aussi des villes nomades, idée intéressante dans un schéma historique assez incertain de
migrations et d’arrivée par la Sogdiane des Sacaraules défaits ensuite par les Yuezhi ; C. Rapin, « Nomads
and the Shaping of Central Asia: from the Early Iron Age to the Kushan period », Proceedings of the British
Academy 133, 2007, p. 29-72 ; E. V. Rtveladze, « Parfija i Yuechzhijskaja Baktrija (nekotorye aspekty
politicheskoj istorii) », IMKU 31, 2000, p. 86-90 ; F. Grenet (« The Nomadic Element in the Kushan Empire
[1st-3rd Century AD] », Journal of Central Eurasian Studies 3, 2012, p. 1-22) offre une vue générale pour la
période kouchane ; F. Sinisi (« Exchanges in Royal Imagery across the Iranian World, 3rd Century BC–3rd
Century AD: Chorasmia between Arsacid Parthia and Kushan Bactria », Ancient Civilizations from Scythia
to Siberia 24, 1-2, 2018, p. 155-196, et « Royal Imagery on Kushan Coins: Local Tradition and Arsacid
Influences », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 60, 6, 2017, p. 818-927) questionne à
juste titre la qualification de « nomade » attribuée aux éléments steppiques de l’iconographie kouchane et
parthe, et (p. 908) il évoque les deux siècles de 140-130 av. J.-C. au ier siècle apr. J.-C. comme une période de
« bactrianisation », mais sans préciser ce qu’il entend par « bactrien » à cette époque (p. 910 : « Thus no sign
of nomadic features are really visible at the level of the dynasty and the elite once the imperial phase was
entered, which is not at all surprising once we try to assess the role of the local Bactrian aristocracy during
the long pre-Kushan period ») ; ce point de vue est intéressant, mais il est difficile de caractériser ce que
pourrait être cette « Bactrian aristocracy » ou de définir les « nomadic features ». Le présent article souhaite
contribuer à éclaircir cette question. Par exemple, le défunt de Tillya Tépa, nous l’avons dit par le passé
(RoiAn), inhumé au ie siècle apr. J.-C., montre une identité très composite. Voir cependant, infra, les vrais
nomades les plus proches de la Bactriane, découverts dans les cimetières du Pamir avec leur poterie nomade
distincte, alors que les vases de Tillya Tépa et des tombes de Bactriane sont ceux de « nomades installés ».
14
HENRI-PAUL FRANCFORT
aspects significatifs de l’installation de nomades Saka-Yuezhi en Bactriane, où
ils ont apporté des changements dans bien des domaines dont celui de l’art équestre
qui leur était familier (p. ex. la martingale, des armes), tout en adoptant des
techniques et des pratiques grecques (p. ex. mode de consommation du vin,
monnaie, art). Le ier siècle apr. J.-C. connaît donc une persistance de l’hellénisme,
qu’accompagne un nouvel apport de traits caractéristiques de l’art des steppes
venant parfois de très loin en Asie intérieure, bien attestés à Tillya Tépa 20.
Par ailleurs, l’on peut établir que l’art grec a connu un destin original dans le
Gandhāra, puisque par exemple sur des palettes en pierre, il se trouve voisiner non
seulement avec des traits issus de l’art de l’Inde mais encore avec celui de nomades,
devenus indo-scythes 21. Le problème de la transmission de la tradition hellénique
dans ce monde Saka-Yuezhi, et singulièrement celui du vide du ier siècle av. J.-C. en
Bactriane, étant maintenant posé, nous l’abordons ici par l’examen de productions
artistiques. Cette très vieille et vaste question fut autrefois traitée par Schlumberger
et d’autres 22, mais de nombreuses recherches ont depuis fait progresser nos
connaissances sur l’Orient hellénisé et son art 23. L’Asie centrale de cette époque
était toujours en relation avec l’Inde du nord-ouest, où les Indo-Grecs ont prospéré
puis survécu jusqu’à 10 apr. J.-C., et ces deux régions échangeaient alors avec le
monde des steppes, l’Iran parthe et la Méditerranée gréco-romaine. Tenter de
comprendre le rôle de possibles nouveaux apports gréco-romains, sur le fond de
l’art hellénistique local transformé est un objectif de cet article.
20. Ces preuves de relations avec le monde des steppes jusqu’à l’Altaï et la Mongolie, incluent des
pratiques funéraires ainsi que des objets et des formes artistiques qui sont pour certaines de type Xiongnu :
V. Schiltz, « Tillia tepe, la “Colline de l’or”, une nécropole nomade », in Trésors retrouvés, p. 69-79 et
p. 270-283 ; RoiAn, p. 277-347.
21. Voir PdG, NomInst et p. ex. des palettes à scènes de filtrage et boisson ou de chasse à cheval.
22. D. Schlumberger, « Les descendants non-méditerranéens de l’art grec. I », Syria 37/1, 1960,
p. 131-166 ; II, Syria 37/3, 1960, p. 253-318 ; Id., L’Orient hellénisé, Paris, Albin Michel (L’art dans le
monde), 1969 ; les travaux de M. Rostovtzeff, H. Seyrig et Er. Will sont aussi à rappeler, voir infra ;
la question de l’art « gréco-bouddhique » du Gandhāra n’est toutefois pas abordée ici.
23. Bonnes synthèses par des spécialistes : ACOH ; D. M. Srinivasan, op. cit. (n. 3) ; travaux
fondamentaux de J. Boardman : The Diffusion of Classical Art in Antiquity, Londres, Thames & Hudson,
1994 ; Id., GrAs.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
15
Données archéologiques (villes, cimetières et données matérielles en
Bactriane Saka-Yuezhi) 24
Les sites de notre domaine, de la Bactriane au Gandhāra, sont avant tout
d’époque kouchane, peu sont Saka-Yuezhi. Des sites à occupation continue ont été
identifiés, mais ils ne sont pas toujours bien connus, leurs couches profondes ayant
rarement été fouillées. Aucune nécropole gréco-bactrienne n’a jamais été explorée :
l’on n’en connaît que de « nomades » ou kouchanes et seulement au nord de l’Amou
Darya.
Pour tenter d’évaluer des continuités de traditions hellénistiques grécobactriennes locales et de contributions steppiques, relativement à de possibles
apports gréco-romains, nous nous sommes livré à un examen de l’ensemble de la
documentation disponible sur cette période dans les publications originales, en
analysant le détail des données des sites dont l’occupation a été continue et des
nécropoles de même période. Si les matériaux passés en revue sont abondants, les
vestiges pertinents s’avèrent peu fréquents, si bien que seule une sélection d’objets
peut être prise en compte.
L’on relève d’abord la persistance de formes d’urbanisation, correspondant
au tableau esquissé en 128-127 av. J.-C. par Zhang Qian, envoyé de l’empereur
24. Liste des principaux sites de Bactriane examinés (stratigraphie et trouvailles) en raison de la
présence de niveaux Saka-Yuezhi du ier siècle av. J.-C. au ier siècle apr. J.-C. ou de la découverte d’art
hellénisé pertinent, sauf en Sogdiane et en Chorasmie qui sont hors du champ d’étude bactrien que nous
avons défini ci-dessus. Comme nous ne pouvons en donner ici la bibliographie complète, trop volumineuse,
pour des vues générales on pourra aussi se reporter aux ouvrages suivants : K. A. Abdullaev, op. cit. (n. 17)
et carte fig. 1, p. 78 ; G. A. Koshelenko éd., Drevnejshie gosudarstva Kavkaza i Srednej Azii, Arkheologija
SSSR, Moscou, Nauka, 1985, p. 204-457 pour toute l’Asie centrale antique ; pour des sépultures, F. Grenet,
Les pratiques funéraires dans l’Asie centrale sédentaire de la conquête grecque à l’islamisation, Paris, CNRS,
1984, p. 95-106 pour la période « kouchano-parthe en Bactriane » ; B. Ja. Staviskij et Paul Bernard, La
Bactriane sous les kushans : problèmes d’histoire et de culture. Édition revue et augmentée, traduite du russe par
P. Bernard, M. Burda, F. Grenet, P. Leriche, Paris, J. Maisonneuve (Librairie d’Amérique et d’Orient), 1986 :
il commence à l’époque gréco-bactrienne et couvre toute la période kouchane, présentant : la répartition des
sites avec cartes de localisation (p. 46-99 et annexe II, p. 261-279) ; l’histoire du iie siècle av. J.-C. au ier apr.
J.-C. (p. 113-126) ; les monnaies et leurs imitations « barbarisées » (p. 127-140 et annexe I p. 255-259 ) ; l’art
et la civilisation (p. 174-194).
Sites : Afghanistan : Aï Khanoum, Bactres, Dilbardjin Tépé, Djiga-Tépé, Emchi-Tépé, Kandahar,
Shahr-i Banu, Séistan ; Ouzbékistan : Dal’verzin Tépé, Dzhandavlat Tepa, Ilan Tepa, Kampyr Tepa,
Khalchayan, Mirzakultepa, Shakhri-Gul’gulja, Termez, Uzundara, Zartepa ; Tadjikistan : Douchambé
Gorodishche, Garav Kala, Kalai-Mir, Kej-Kobad-Shakh, Kobadian, Munchak Tepe, Saksanokhur,
Shakhrinau, Takht-i Sangin, Tepai-Shakh, Torbulok ; Turkménistan : Ancienne Nisa.
Cimetières : Afghanistan : Aï Khanoum (Bala Hissar), Tillya Tépa, Zulm ; Tadjikistan : Aruktau,
Bishkent (BM-IV, V, VI), Dangara, Douchambé, Ksirov, Pakhtaabad, Tulkhar, Tupkhona ; Ouzbékistan :
Aïrtam, Dal’verzin Tépé (naus phase ancienne), Termez ; en Sogdiane, pour des comparaisons, notamment :
Koktepa, Kyzyltepa, Ljevandak, Orlat, Shakhrivajran.
16
HENRI-PAUL FRANCFORT
chinois Han Wudi : des villes fortifiées et des marchés dans une Bactriane très
peuplée de sédentaires 25. Sur le terrain, nous pouvons en effet identifier quelques
établissements ou simplement des niveaux d’époque Saka-Yuezhi 26, mais ils sont
pratiquement tous datés par les fouilleurs d’une plage chronologique s’étendant du
iie siècle av. J.-C. au iie siècle apr. J.-C., sans plus de précision. Aï Khanoum, par
exemple, est à cet égard un cas particulier : abandonnée par les Grecs, elle cessa
d’être une vraie ville après 145, et très peu de matériel peut être attribué à cette
phase ultime. En effet, ni dans la ville agonisant livrée aux pillards, ni aux alentours,
une vraie période « nomade » (ou « des invasions ») n’a pu être solidement
caractérisée : rien n’y montre la poursuite d’une occupation urbaine ou même
agricole et aucune nouvelle fondation urbaine n’a été détectée dans ses environs 27.
25. Voir supra, n. 15.
26. Voir supra, n. 24 ; Sh. Pidaev, G. Pugachenkova, E. Rtveladze et B. Staviskij notamment ont tenté
dans de nombreux écrits de comprendre cette phase et de distinguer son matériel particulier (p. ex. :
E. V. Rtveladze, « O genezise kushanskikh poselenij severnoj Baktrii », V. D. I. 4, 1978, p. 108-16). Un grand
développement urbain dès cette époque est cependant très douteux : P. Leriche, E. V. Rtveladze et S. de
Pontbriand, (« La Bactriane du Nord hellénisée », in ACOH, p. 231-38) réunissent tout en une unique
période appelée « des invasions et du royaume kouchan ».
27. Le matériel de la région minutieusement prospectée, attribué jadis à la période des invasions par
B. Lyonnet, a été ensuite confondu dans le grand ensemble de quatre siècles appelé « Yuezhi-Kouchan »,
escamotant totalement la période Saka-Yuezhi. Cette unique phase (qui s’étend de 130 av. J.-C. à 250 apr.
J.-C) d’une durée de près de 400 ans, est baptisée « Yuezhi-Kouchan » (J.-C. Gardin, Prospections
archéologiques en Bactriane orientale (1974-1978). Volume 3 Description des sites et notes de synthèse, Mém.
MAFAC, Vol. IX, Paris, E. R. C., 1998, p. 114-117). Pourtant B. Lyonnet (Prospections archéologiques en
Bactriane orientale (1974-1978). Volume 2 Céramique et peuplement du chalcolithique à la conquête arabe
[Mémoires de la Mission archéologique française en Asie centrale, VIII], Paris, E. R. C., 1997, p. 157-171,
tab. XXI ; fig. 46-48, p. 385-387 ; p. 172 s. tab. XX, p. 151 et tab. XXXII p. 222) y fait état d’une diminution
importante des surfaces de terres irriguées (de 102 900 ha hellénistiques à 93 900 ou 83 000 ha à la période
« yueh chi/kushane ») et les cartes de la « période des invasions », zone prospectée et aire générale, montrent
la régression du peuplement (J.-C. Gardin, op. cit., p. 112-117). B. Lyonnet observe que les zones de
cimetières n’ont pas été prospectées (p. 164). On peut ajouter que la poterie « nomade » a moins de probabilité
de se trouver sur des sites sédentaires permanents et qu’il est fort possible que de la poterie grossière,
couverte de suie et considérée comme « de cuisine », ait été celle de nomades, mais elle n’a jamais été vraiment
étudiée. L’effort de B. Lyonnet mérite d’être poursuivi pour distinguer finement les phases : B. [Lyonnet]
Lione, « Grecheskaja okkupacija Sogdiany. Rezultaty sravnitel’nogo analiza keramiki Afrasiaba i
Aj-Khanum », in Srednjaja Azija Akheologija Istorija Kul’tura. Materialy mezhdunarodnoj konferencii
posvjashchennoj 50-letiju nauchnoj dejatel’nosti G. V. Shishkinoj, T. G. Alpatkina et O. N. Inevatkina éd.,
Moscou, Gosudarstvennyj Muzej Vostoka, 2000, p. 75-80 ; Id., « De la théorie à la pratique, les travaux de
Jean-Claude Gardin en Asie centrale », Les nouvelles de l’archéologie 144 2016, p. 21-24 ; Id., « Antique
Samarkand or Afrasiab II and III: Differentiation, Chronology and Interpretation », Ancient Civilizations
from Scythia to Siberia 24/1-2, 2018, p. 420-439. Charlotte E. Maxwell-Jones (Typology and Chronology of
Ceramics of Bactra, Afghanistan 600 Bce-500 Ce [A dissertation submitted in partial fulfillment of the
requirements for the degree of Doctor of Philosophy (Classical Art and Archaeology) in the University of
Michigan], 2015, tab. 13, et p. 428-448, tab. 20, p. 473) distingue une Phase III de 50 av. J.-C. à 50 apr.
J.-C dans 11 sites sur 23 (p. 489-500 p. ex.). Un travail d’analyse récent montre que la période « nomade » à
Termez n’a pas fait changer les diverses catégories de la céramique autrement dans leurs formes, ce qui eût
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
17
Les nécropoles de « nomades » de cette période sont en revanche nombreuses et
des centaines de tombes ont été fouillées, mais uniquement au nord de l’Amou
Darya, tant en Ouzbékistan qu’au Tadjikistan. Elles manifestent une transition
culturelle qui combine des poteries de formes post-grecques (mais non totalement
détachées des formes et des techniques grecques), des armes et des éléments de
parure de type steppique, quelques bijoux de style grec et parfois l’« obole à
Charon » 28. Pourtant, ces sépultures et ce matériel ne sont pas très précisément
datés, dans l’époque Saka-Yuezhi, et des incertitudes subsistent notamment sur le
rapport précis avec les poteries et avec les trouvailles monétaires provenant des
couches des établissements. Ces cimetières, parfois situés à l’écart des terres
agricoles (dans la vallée de Bishkent par exemple) ne semblent pas être ceux
d’établissements importants, et l’on ne peut affirmer que s’y trouvent regroupées
les tombes de nomades plutôt que celles d’habitants de sites agricoles ou même
urbains 29. En somme, l’ébranlement produit par les migrations Saka-Yuezhi en
Bactriane n’a ruiné ni toute vie sédentaire, agricole et urbaine, ni le monde des arts
qui nous intéresse ici. L’examen pratiquement exhaustif de tous les sites et
cimetières susceptibles de contenir du matériel de la période Saka-Yuezhi ayant été
effectué, les objets d’art pertinents ont été rassemblés d’après leur date et leur
aspect hellénisé, de la Bactriane au Gandhāra, qui est mieux étudié et où la collecte
et la sélection se sont avérées plus aisées, grâce aux antiquités de grands sites
(comme Taxila), aux décors des plus anciens stupas (dans le Swāt) et à des
ensembles d’objets caractéristiques (les palettes à fard). Une fois écartées les pièces
pu indiquer une modification du mode de vie (Verònica Martínez Ferreras et alii, « Assessing Hellenistic to
nomadic cultural patterns through pottery in ancient Termez, Uzbekistan », Geoarchaeology 34/5, 2019,
p. 540-564) : le problème se pose ici encore de trouver des « nomades » dans les villes. Les nomades sont par
conséquent pratiquement invisibles, voir : H.-P. Francfort, NomInst ; Id., « Les archéologues, le climat et
l’environnement », in Vie et climat d’Hésiode à Montesquieu, J. Jouanna, Chr. Robin et M. Zink éd., Paris,
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (Cahiers de la Villa « Kérylos », 29), 2018, p. 205-245. Les
relations des Gréco-Bactriens avec les Scythes du Pamir, leurs tombes (de nomades), ou des forteresses
(plus récentes) ne sont absolument pas démontrées par les trouvailles (B. A. Litvinskij, Drevnie kochevniki
« Kryshi mira », Moscou, Nauka, 1972 ; A. D. Babaev, Kreposti drevnego Vakhana, Dushanbe, Donish, 1973
et autres textes) ; malgré J. Lerner (« The Emergence of Wakhan Fortresses in The Hellenistic Period »,
Anabasis 7, 2016, p. 107-30), aucun vestige ne peut être sérieusement identifié comme gréco-bactrien dans
le Wakhan, ni dans le Pamir en général.
28. Tout comme la longue épée et le poignard court en fer, des plaques de ceinture ornées ajourées ou
des boucles d’oreille en forme de virgule incrustées, (répandues jusqu’au Kazakhstan), ainsi que des bijoux
d’inspiration grecque (ainsi des pendentifs d’oreille en forme d’amphorisque flanqué de dauphins) ; sur
l’obole à Charon : B. A. Litvinskij et A. V. Sedov, Kul’ty i ritualy kushanskoj Baktrii : pogrebal’ny jobr’jad,
Moscou, Nauka, 1984, p. 150-161) ; Litvinskij et Sedov comptent ainsi 17 monnaies dont 11 dans la bouche
et 3 sur la poitrine ; il faut ajouter à leur liste celle de la tbe no 6 de Tillya Tépa.
29. Termez, Aïrtam et Tupkhona constitueraient peut-être des exceptions ; dans la vallée de Bishkent
un site aurait succédé à des cimetières nomades au ier siècle apr. J.-C., sous les premiers Kouchans.
18
HENRI-PAUL FRANCFORT
ne présentant qu’une vague apparence d’hellénisme, notre travail s’est concentré
sur les objets d’art les plus caractéristiques.
Les arts
Les arts de l’Orient hellénisé de cette époque sont connus par quelques sites
particuliers, certains bien étudiés (Vieille Nisa, Taxila) quand d’autres demeurent
dans l’ombre. Bactres est l’un de ces derniers, comme toutes les capitales
satrapiques, Merv, Kandahar, Samarcande ou Hérat, très pauvres en vestiges
hellénisés et où l’épigraphie et la numismatique ne compensent pas cette indigence.
L’art de l’empire parthe, pas plus qu’un art « indo-parthe », mal défini, ne feront ici
l’objet d’un traitement particulier. Seuls nous retiendront ponctuellement des
œuvres hellénisées provenant principalement de la Vieille Nisa au Turkménistan,
site assez bien fouillé et publié pour éclairer la Bactriane et le Gandhāra, et où se
repère aussi un élément steppique 30. Ensuite, l’art indien, ancien, plein de sens et
riche, voisine avec les autres dès avant la grande expansion du bouddhisme et
compose ensuite avec eux, qu’ils soient steppique ou hellénisé 31. Enfin, le domaine
30. A. Invernizzi, « Old Nisa and the Art of the Steppes », Bulletin of the Asia Institute 10, 1996,
p. 33-38 ; Id., Sculture di metallo da Nisa. Cultura greca e cultura iranica in Partia (Acta Iranica, 35. Troisième
Série : Textes et Mémoires, vol. XXI), Peeters, Louvain, 1999 ; Id., « The Culture of Parthian Nisa between
Steppe and Empire », in J. Cribb et G. Herrmann éd., op. cit. (n.5), p. 163-178 ; Id., « Réflexions sur les
rencontres interculturelles dans l’Orient hellénisé », in ACOH, p. 257-267.
31. L’art, les monnaies et l’iconographie indiens avaient pénétré en Asie centrale dès les Maurya/
Śunga et l’arrivée du bouddhisme n’y est donc pas une totale nouveauté. Voir : Claude Rapin, « Hinduism
in the Indo-Greek area. Notes on some Indian finds from Bactria and on two temples in Taxila », in
A. Invernizzi éd., op. cit. (n. 11), p. 275-291 ; Margarita Filanovič et Zamira Usmanova, « Les frontières
occidentales de la diffusion du bouddhisme en Asie centrale », Cahiers d’Asie centrale 1/2, 1996, p. 185-201 ;
K. A. Abdullaev, « The Buddhist culture of ancient Termez in old and recent finds », Parthica 15, 2013,
p. 157-188 ; Id., Buddhist Iconography of Northern Bactria, University of Sydney Central Asian Programme,
New Delhi, Manohar, 2015 ; C. Aldovrandi et E. Hirata, « Buddhism, Pax Kushana and Greco-Roman
motifs: pattern and purpose in Gandhāran iconography », Antiquity 79, 2005, p. 306-315 ; P. Bernard,
R. Besenval et Ph. Marquis, « Du “mirage bactrien” aux réalités archéologiques : nouvelles fouilles de la
Délégation Archéologique Française en Afghanistan (DAFA) à Bactres (2004-2005) », Comptes rendus des
Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2006, fasc. II (avril-juin), p. 1175-1248, et notamment
les p. 1217-1226 et les fouilles du Stūpa du Tepe Zargaran à Bactres et Sôter Megas comme souverain
favorisant le Bouddhisme en Asie centrale (voir aussi WmetE, p. 28) ; G. Fussman, « Kushan power and the
expansion of Buddhism beyond the Soleiman mountains », KH, p. 153-202 ; Sh. Pidaev, Buddhism and
Buddhist Heritage of Ancient Uzbekistan, Tachkent, O’zbekiston NMIU, 2012 ; E. V. Rtveladze, Velikij
Indijskij Put’. Iz istorii vazhnejshikh torgovykh dorog Evrazii, Saint-Pétersbourg, Nestor-Istirija, 2012 ;
PeintMiran ; Erik Seldeslachts, « Greece, the final frontier? The Westward spread of Buddhism », in
Handbuch der Orientalistik Section Eight Central Asia, sous la dir. de Denis Sinor et Nicola Di Cosmo,
vol. 16, The Spread of Buddhism, A. Heirman et S. P. Bumbacher éd., Leyde, Boston, Brill, 2007, p. 131-166.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
19
de l’art des steppes, celui des Scythes, des Saka, des Yuezhi et celui des Xiongnu
plus à l’est sera surtout convoqué lorsqu’il cohabite et s’hybride avec le grec, en un
art « gréco-Saka » ou indo-scythe. Lui aussi est riche et ancien, c’est un art mobilier
qui évolue lorsque les populations steppiques s’installent. Il est manifeste que ces
domaines ne cessent de s’influencer et de s’interpénétrer et de plus certains
éléments artistiques, pluriculturels ou partagés, peuvent être vus chez les uns
comme chez les autres, comme par exemple le rang d’oves qui peut être grec,
achéménide, bactrien, parthe ou scythe, ayant été utilisé par tous, mais dans des
agencements de supports et de compositions différents. Comme toujours, l’art est
d’abord celui des élites locales, mais aussi, nous le verrons, celui de diverses autres
catégories de populations de cet Orient hellénisé, impossibles à réduire à l’état de
figurants passifs ou d’exécutants subalternes.
L’approche de l’histoire des arts en ses contextes n’est pas une histoire de l’art
à proprement parler et n’est pas nouvelle dans notre domaine. H. Seyrig fut chez
nous le premier à tenter par exemple de comprendre l’art palmyrénien à l’aide de
celui de Séleucie du Tigre qui était pratiquement inconnu à l’époque 32.
D. Schlumberger, dans un article admirable, utilisa de même les arts pour
comprendre la genèse du kouchan, en restituant l’existence du gréco-bactrien qui
n’était pas encore révélé, et la découverte d’Aï Khanoum confirma de manière
éclatante la justesse de son raisonnement 33. P. Bernard pratiqua aussi cette approche
et J. Boardman, dans d’amples publications, traita avec hauteur de vue le domaine
ici abordé 34. Rappelons encore E. Kuz’mina et M. Rostovtzeff, qui connaissaient le
domaine steppique, ainsi que la regrettée V. Schiltz 35. Bien d’autres encore ont
32. H. Seyrig, « Armes et costumes iraniens de Palmyre », in Antiquités Syriennes, vol. II, Paris,
Geuthner, 1938, p. 45-73 ; Id., « Palmyra and the East », The Journal of Roman Studies 40, 1-2, 1950, p. 1-7 ;
Id., « Remarques sur la civilisation de Palmyre », in Antiquités Syriennes, vol. III, Paris, Geuthner, 1946,
p. 115-124.
33. D. Schlumberger, « Les descendants non-méditerranéens de l’art grec. I », Syria 37/1, 1960,
p. 131-166 ; Id., « Les descendants non-méditerranéens de l’art grec. II », Syria 37/3, 1960, p. 253-318 ; Id.,
L’orient hellénisé, L’art dans le monde, Paris, Albin Michel, 1969 ; Daniel Schlumberger et Paul Bernard,
« Aï Khanoum », Bulletin de Correspondance hellénique, 1965, p. 590-657.
34. J. Boardman, op. cit. (n. 23), p. 75-153 : Parthie, Bactriane, Gandhāra et nord de l’Inde, Asie
centrale et Extrême-Orient ; GrAs donne une version augmentée à jour et bien illustrée d’un chapitre du
précédent ouvrage.
35. Scythes ; Id., L’or des Amazones. Peuples nomades entre Asie et Europe. VI e siècle av. J.-C.-IV e siècle
apr. J.-C., Paris, Paris musées, Éditions Findakly, 2001 ; « Tillia tepe, la “Colline de l’or”, une nécropole
nomade », in Trésors retrouvés, p. 69-79 ; 270-283 ; « Dionysos, Ariane, Artémis, Cybèle et autres Nana », in
De Samarcande à Istanbul : étapes orientales. Hommages à Pierre Chuvin II, V. Schiltz éd., Paris, CNRS
éditions, 2015, p. 71-88 ; « L’Asie profonde d’Hérodote. Scythes, Issédons, Iyrques, Argippéens », in La
Grèce dans les profondeurs de l’Asie, J. Jouanna, V. Schiltz et M. Zink éd., Paris, AIBL (Cahiers de la Villa
« Kérylos », 27), 2016, p. 1-46. E. E. Kuz’mina, Mifologija i iskusstvo Skifov i Baktrijcev, Moscou, Rossijskij
Institut Kulturologii, 2002 ; M. Rostovzeff, Iranians and Greeks in South Russia, New York, 1922 ; Id., The
20
HENRI-PAUL FRANCFORT
contribué à mieux définir les domaines artistiques mentionnés ci-dessus, y compris
dans la perspective de l’hellénisme 36. Mme Carter, dans un bel ouvrage récemment
paru à propos de l’orfèvrerie de luxe, envisage le scénario historique d’une migration
des Grecs et de leur art vers le Gandhāra après la conquête nomade de la Bactriane,
mais aussi une adoption de l’art grec par les nouveaux arrivants, auxquels elle
attribue une prédilection pour l’hellénisme dans les arts figurés, l’architecture, la
décoration et l’ornement 37. Elle rappelle que le grec a été pratiqué jusqu’à l’époque
du roi kouchan Kaniška au début du iie siècle (127-128 apr. J.-C.) et que son
alphabet a été utilisé jusqu’à l’arrivée de l’Islam. Pour expliquer Tillya Tépa,
Mme Carter envisage un « hellénisme résiduel » permettant à des Érotes, des déesses,
Dionysos et Ariane d’apparaître facilement sur des ornements traditionnels des
nomades, Sarmates notamment 38. Cette analyse ne rend pourtant pas compte,
semble-t-il, de l’ensemble complexe de Tillya Tépa, ni de la manière dont un tel
« hellénisme résiduel » aurait été conservé pendant près de deux siècles. Au sud de
l’Hindou Kouch, les Grecs partis avec leurs biens et leurs artisans, auraient su
maintenir et transmettre leur tradition durant la période des Indo-Grecs, mais
brièvement comme le montre Taxila. Les Indo-Scythes auraient hérité d’une partie
de la culture grecque, laquelle se serait de nouveau développée, à la fin du ier siècle
av. J.-C. et au début du ier siècle apr. J.-C., sous les Indo-Parthes, grâce au commerce
de la Méditerranée, de Rome étendant son empire 39. Et de mentionner alors un
hellénisme revigoré, avec des pièces que nous verrons infra à propos d’Amours
vendangeurs. Les palettes du Gandhāra sont envisagées ensuite dans la perspective
de l’art et de la mythologie après la chute de la Bactriane, chez des Indo-Grecs et
des Indo-Scythes, comme des substituts bon marché « for the commoners » des
animal style in South Russia and China, Princeton, 1929 ; Id., « L’art gréco-iranien », Revue des Arts
asiatiques VII, 1933, p. 202-222.
36. J. M. Rosenfield, op. cit. (n. 7) ; A. Invernizzi, voir supra, n. 30, et Id., Nisa Parthica. Le sculture
ellenistiche (Monografie di Mesopotamia), Florence, Le Lettere, 2009 ; O. Bopearachchi, WmetE ; Id., From
Bactria to Taprobane. Selected Works of Osmund Bopearachchi. Volume I Central Asian and Indian
Numismatics. Volume II Art History and Maritime Trade, New Delhi, Manohar, 2015 ; O. Bopearachchi et
M.-F. Boussac éd., Afghanistan, ancien carrefour entre l’Est et l’Ouest (Indicopleustoi, Archaeologies of the
Indian Ocean, 3), Turnhout, Brepols, 2005 ; IndOx. Notre article mentionnera plus bas d’importants
catalogues d’expositions.
37. AHE : l’introduction, de M. L. Carter, aborde aussi les arts des Indo-Grecs et des Indo-Scythes
(p. 24-32 : « Adaptation of hellenistic silverwork in a new environment »), puis envisage la contribution des
Indo-Scythes (« Luxury metalwork in a nomadic tradition »), celle des Indo-Parthes (« Roman trade and
Iranian influence ») et enfin les palettes du Gandhāra (« Stone palettes as evidence for the imagery of earlier
metalwork ») ; un chapitre final (p. 355-376), offre une synthèse sur « le triomphe de Dionysos en Asie ».
38. Ibid., p. 27-28.
39. Ibid., p. 29-30 ; 363-370.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
21
emblèmata de l’orfèvrerie des élites 40. Ce schéma explicatif historique d’apparence
plausible est-il suffisant ? Peut-être pas complètement, dans la mesure où, laissant
de côté la Bactriane et l’Asie centrale au profit d’un basculement complet de
l’hellénisme vers l’Inde du nord-ouest, il ne permet pas de comprendre vraiment
l’Asie centrale, Tillya Tépa, Khalchayan, Miran, Shanpula, Noin-Ula, même en
faisant appel au deus ex machina d’un « hellénisme résiduel ». Nous examinerons ce
problème plus bas afin de tenter d’apporter des améliorations à ce scénario.
En résumé, nous pouvons d’abord réaffirmer la persistance de l’urbanisation,
de la Bactriane au Gandhāra, à côté de nécropoles « nomades », juxtaposition qui
montre probablement la coexistence des modes de vie agricole urbain et pastoral
mobile, échangeant des traits culturels et des formes artistiques. Ensuite, l’on
observe que la tradition hellénistique gréco-bactrienne reçoit un afflux d’art
nouveau venu des steppes et l’on identifie au ier siècle des relations réciproques
continues et directes entre le domaine des nomades jusqu’à l’Altaï et la Mongolie
(Noin-Ula), la Bactriane même (Tillya Tépa, Khalchayan) et le Xinjiang (Shanpula
et Miran). D’autre part, une certaine communauté de culture s’observe parmi les
populations installées dans les vallées au sud de l’Hindou Kouch, dans le Swāt et le
Gandhāra, entre Gréco-Bactriens, Indo-Grecs, Indo-Scythes et Indo-Parthes.
Enfin, la connaissance réciproque qu’avaient l’un de l’autre l’art hellénistique et
l’art indien, avant même la fondation des royaumes indo-grecs et de leurs
successeurs dans le Gandhāra, est prouvée par une partie de l’art des Maurya et par
la présence de nombreuses monnaies et d’objets indiens très tôt en Bactriane.
Les arts que nous allons maintenant examiner se placent dans ce tableau complexe
bien que lacunaire.
Art monétaire : portraits équestres, portraits royaux
Dans la Bactriane conquise par des tribus steppiques, nous ignorons presque
tout des dynastes qui n’ont pratiquement frappé que des imitations des monnaies
de souverains gréco-bactriens ou contremarqué des monnaies antérieures 41.
40. Ibid., p. 31.
41. La numismatique des Saka-Yuezhi aux premiers Kouchans est fondamentale pour comprendre
notre période et je complète ici une note publiée antérieurement (NomInst, n. 2, p. 1546-1547), sans les
périodes gréco-bactrienne ou kouchane et sans la Chorasmie, la Sogdiane, l’Arachosie ou les Indo-Parthes ;
de plus, il sera fait état plus bas de questions particulières comme celle des émissions d’Héraos. Ouvrages :
O. Bopearachchi, From Bactria to Taprobane. Selected Works of Osmund Bopearachchi. Volume I Central
Asian and Indian Numismatics. Volume II Art History and Maritime Trade, New Delhi, Manohar, 2015 ;
O. Bordeaux, Les Grecs en Inde. Politiques et pratiques monétaires (IIIe s. av. J.-C-Ier s. apr. J.-C.), Bordeaux,
22
HENRI-PAUL FRANCFORT
La belle régularité des frappes monétaires gréco-bactriennes, où le portrait du
souverain au droit était complété au revers par des images de divinités est parfois
interrrompue dès le iie siècle av. J.-C. Les émissions présentent alors, au lieu de
dieux, un cheval ou un roi cavalier (fig. 2 et 3). On observe cette nouveauté au
revers de monnaies dont le droit montre toujours un portrait royal en Bactriane
avec Antimaque II et, dans les Paropamisades comme en Inde du nord-ouest, sous
Philoxène, Hermaios et Calliope ainsi qu’Hippostratos, pour les souverains
indo-grecs 42. Les émissions d’Hermaios et Calliope donnent même à penser que
l’armement de ces rois s’inspire de celui des Saka (Scythes) avec l’arc glissé dans un
étui (goryte) attaché à la selle comme la lance, complétant une cuirasse et un casque
à rebord et panache de type grec, tandis qu’à la différence des harnachements
d’origine scythe, ils n’utilisent pas la martingale et laissent flottante la queue de
Ausonius Éditions (Numismatica Antiqua), 2018 : p. 75-87, 112-121 (Ménandre Ier) ; p. 87-89, 121-127
(Eucratide Ier) ; p. 89-94, 130-131 (Hippostrate) ; p. 125-127 avec la bibliographie antérieure pour les
imitations posthumes de monnaies de souverains grecs. Travaux plus spécialisés : O. Bopearachchi, Recent
Discoveries of Coin Hoards from Central Asia And Pakistan. New Numismatic Evidence on the Pre-Kushan
History of The Silk Road. Proceedings of the Symposium on Ancient Coins and the Culture of the Silk
Road. 2011, p. 259-283 ; Id., « Le monnayage des successeurs grecs et kouchans d’Alexandre le Grand »,
ACOH, p. 163-66 ; N. D. Dvurechenskaja, A. N. Gorin et K. A. Sheiko, « Monety iz kreposti Uzundara »,
Scripta Antica 6, 2016, p. 347-366 ; O. Bordeaux et alii, « Les monnaies hellénistiques et kouchanes des
fouilles franco-afghanes de Bactres (Balkh, Afghanistan) », Revue numismatique 176, 2019, p. 23-26 avec
(fig. 4) une carte de répartition des imitations d’Hélioclès Ier (iie-ier s av. J.-C.) qui en montre 7 au sud du
cours de l’Oxus pour 71 sur la rive droite ; voir aussi les cartes des répartitions d’imitations d’Eucratide,
d’Hélioclès, de Démétrios et des monnaies d’Héraos par A. Gorin (KH, p. 11-152, fig. 2, p. 75-77 et
fig. 2-4) : ces distributions n’ont pas de valeur statistique, elles reflètent fidèlement l’intensité des activités
archéologiques, plus grande du côté de l’ex-URSS qu’en Afghanistan, et non la position géographique des
populations Yuezhi ; A. N. Gorin, « Parthian Coins From Kampyrtepa », Anabasis 1, 2010, p. 107-134 ; Id.,
« Nekotorye problem istorii i numizmatika severnoj Baktrii v svete novykh otkrytij (po materialam
monetnykh nakhodok kreposti Uzundara », in Kul’turnoe asledie Evrazii (s drevnosti do nashikh dnej).
Sbornik nauchnykh statej, A. N. Baitanayev éd., Almaty, Inst. Arch. A. Kh. Margulana, 2016, p. 252-341 ;
E. V. Rtveladze, N. D. Dvurechenskaja, A. N. Gorin et K. A. Shejko, « Monetnye nakhodki iz kreposti
Uzundara », K.S.I.A. 233, 2014, p. 151-159 ; E. V. Rtveladze et A. N. Gorin, « Hellenistic Coins from
Kampÿrtepa », Ancient Civilizations from Scythia to Siberia 21, 2015, p. 120-182 ; N. M. Smirnova,
« Bactrian Imitations with Tamgas », in Un impaziente desiderio di scorrere il mondo. Studi in onore di Antonio
Invernizzi per il suo settantesimo compleanno, C. Lippolis et S. De Martino éd., Florence, Le Lettere, 2011,
p. 256-259.
42. Monnaies indo-grecques à roi cavalier, ici d’après IndOx : Antimaque II (no 76, 162-145 av. J.-C.) :
roi cavalier cuirassé sans arme ; Hippostrate (no 112, 65-55 av. J.-C.) : roi casqué cuirassé sans arme ;
Philoxène (no 104, 100-95 av. J.-C.) : roi cuirassé casqué sans arme ; Hermaios et Calliope (no 107, p. 137,
90-70 av. J.-C.) : roi cuirassé casqué, goryte et arc à droite, lance dressée à gauche, queue de cheval flottant.
Tous montent un cheval harnaché sans martingale, ils sont casqués et cuirassés, mais sans l’armure lourde
de cataphractaire ; leurs chevaux bondissent, à la différence de ceux des Indo-Scythes qui avancent au pas.
Monnaies des premiers Kouchans (ne portant pas de titre royal) : Héraos (no 148, p. 173, ier s. apr. J.-C.) :
goryte à droite, martingale, queue tressée ; Sôter Mégas (no 151, p. 174-175, ier s. apr. J.-C.) ; certains de
leurs types monétaires s’inspirent de ceux des Indo-Parthes (Gondopharès et Sasan).
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
23
Fig. 2. – Droit et revers de
Fig. 3. – Revers de tétradrachme en argent d’Hermaios et Calliope,
tétradrachme en argent d’Héraos,
roi cavalier, 9,42 g, 26 mm. Cabinet des médailles (BnF), Paris,
portrait et roi cavalier.14,44g, 30 mm.
1978.100 (IndOx, no 107b ; O. Bopearachchi, Monnaies
Cabinet des médailles (BnF), Paris,
gréco-bactriennes et indo-grecques. Catalogue raisonné, Bibliothèque
nationale, Paris, 1991, p. 112, 325, no 1, pl. 52, no 1).
Y6398 (IndOx, no 148).
leur monture bondissante. Chez les Indo-Scythes, les rois cavaliers sont représentés
à l’avers, revêtus de la lourde armure à lamelles des cataphractaires et diversement
armés et équipés, mais juchés sur des montures toujours harnachées à la mode
scythe (queue dans un fourreau, martingale), s’avançant au pas. On peut ici
véritablement parler d’une sorte de portrait équestre. Les revers présentent des
divinités grecques. Ces armures de cavalerie lourde apparaissent non seulement
sur des monnaies, mais aussi sur des œuvres sculptées, peintes et de brodées 43.
43. Cataphractaires et armures sur les monnaies indo-scythes : Azès Ier et Azès II (IndOx, no 123,
p. 142) : goryte à gauche, martingale, queue du cheval nouée ; Azès II : queue du cheval en fourreau comme
Héraos et Nasten (IndOx, no 132, p. 145, mi-ier s. apr. J.-C., cavalier casqué sur cheval bondissant au revers).
Voir : WmetE, p. 45-46 ; O. Bopearachchi et C. Sachs, « Armures et armes des Indo-Scythes d’après leurs
émissions monétaires et les données archéologiques », Topoi 11, 1, 2001, p. 321-355, panorama très précis
pour les Indo-Scythes ; Christine Fröhlich, « La représentation du roi cavalier sur les monnaies indo-scythes
et indo-parthes : une approche numismatique », Revue numismatique 6/161, 2005, p. 59-78 ; M. L. Carter
(« Indo-Scythian Regalia: the Numismatic Evidence », in South Asian Archaeology 2001. Volume II
Historical Archaeology and Art History, C. Jarrige et V. Lefèvre éd., Paris, Éditions recherche sur les
Civilisations, 2005, p. 427-35) relève l’importance du cheval, monté ou non, des armes, des étendards, plus
que des signes de victoire comme les Nikai ou les anciens scalps d’éléphant par exemple, et souligne le rôle
des monogrammes devenus des tamgas ; sur les rois cavaliers et archers, RoiAn, p. 309-312, fig. 29-31 ;
K. A. Abdullaev, « Armour of Ancient Bactria », in A. Invernizzi éd., op. cit. (n. 11), p. 163-180 ; Id.,
« Baktrijskij katafraktarij (k voprosu o konnom i peshem voinstve Baktrii v antichnuju epokhu) », IMKU
(O’zbekiston Moddiy Madaniyati Tarikhi) 37, 2012, p. 74-91 ; M. V. Gorelik, « Sakskij dospekh », in
Central’naja Azija. Novye pamjatniki pis’mennosti i iskusstva, B. B. Piotrovskij et G. M. Bongard-Levin éd.,
Moscou, 1987, p. 110-133 ; J. Ilyasov et D. Rusanov, « A Study on the Bone Plates from Orlat », Silk Road
Art and Archaeology 5, 1997/1998, p. 107-159 : plaque de bataille de cavaliers et fantassins ; V. A. Kocheev,
« K voprosu o zashchitnom vooruzhenii drevnikh kochevnikov gornogo Altaja v skifskoe vremja », Drevnosti
Altaja 3, 1998, p. 83-88 ; V. S. Ol’khovskij, Monumental’naja skul’ptura naselenija zapadnoj chasti evrazijskij
stepej epokhi rannego zheleza, Moscou, Nauka, 2005 : stèles de pierre anthropomorphiques scythes.
Des armures réelles ont été découvertes à Aï Khanoum (supra), à Takht-i Sangin (TiS II, p. 296-346 et
notamment les armures à écailles en fer, vaste étude de Litvinskij), en Chorasmie (Chirik-Rabat), à Sirkap,
24
HENRI-PAUL FRANCFORT
Plus tard, dans le courant du ier siècle apr. J.-C., la dynastie kouchane inaugure les
belles émissions bactriennes d’Héraos et le roi cavalier couronné par une Nikè ;
sans armure mais équipé d’un arc puissant, ce dernier monte un cheval harnaché à
la scythe, avec martingale et queue nouée ou en fourreau. Au droit, apparaît un
portrait du souverain lui-même de profil, de style hellénisant, inscrit dans un cercle
de perles et pirouettes. Héraos se qualifie de « kouchan », nom de sa tribu ou de son
clan, et s’affiche comme « turannos », titre grec évitant une titulature ouvertement
royale. Son possible successeur (ou peut-être Héraos lui-même ?) sous le nom de
Kujula Kadphisès (30-90 apr. J.-C.), fonda véritablement l’empire kouchan. Quant
à Sôter Megas, titre encore grec, probablement un contemporain de Vima Taktu
(ou le même ?), ses bronzes, si intéressants soient-ils, ne permettent guère de
détailler très précisément ni sa panoplie au revers, ni ses régalia au droit 44.
La question plus générale des représentations des nomades dans l’art de
Bactriane ne nous retiendra pas ici, mais des figurines anthropomorphiques en
terre-cuite, métal (plaques), peinture murale, sculpture, relief pariétal, broderie ou
tapisserie sont, comme l’art monétaire une forme de continuation des arts hellénisés
en Bactriane 45. En revanche, l’usage et la répartition géographique des plaques de
à Nisa, ou sont représentées à Khalchayan (sculpture), à Noin-Ula (broderie, cf. infra), et à Dal’verzin Tépé
(peinture de cavalier Saka en armure du niveau pré-kouchan : G. A. Pugachenkova, E. V. Rtveladze et
B. A Turgunov, Dal'verzintepe kushanskij gorod na juge Uzbekistana, Tashkent, FAN, 1978, p. 39-49 ;
146-150 ; pl. IV.
44. E. A. Davidovich, « The first hoard of tetradrachmas of the Kusana “Heraios” », in From Hecataeus
to Al-Huwarizmi. Bactrian, Pahlavi, Sogdian, Sanskrit, Syriac, Arabic, Chinese, Greek and Latin Sources for
the History of Pre-Islamic Central Asia, J. Harmatta éd., Budapest, Akadémiai Kiado, 1984, p. 147-177.
Michael Weiskopf, « Heraos Holding the Tyranny », AWE 11, 2012, p. 105-121 ; F. Widemann, Les
successeurs d’Alexandre en Asie centrale et leur héritage culturel. Essai, Paris, Riveneuve éditions, 2009 ;
E. V. Zejmal, Drevnie monety Tadzhikistana, Dushanbe, 1983 avec des pages importantes sur les
contremarques, les imitations, sur Héraos et Sôter Megas au Tadjikistan, sur les monnaies de Takht-i
Sangin ; Id., « Podrazhanija obolam Evkratida », in Kul’ty i ritualy kushanskoj Baktrii : pogrebal’ny jobr’jad,
B. A. Litvinskij et A. V. Sedov éd., Moscou, Nauka, 1984, p. 177-190. La proposition de J. Cribb d’identifier
Héraos à Kujula Kadphisès n’a pas reçu l’assentiment général (« The ‘Heraus’ coins: their attribution to the
Kushan king Kujula Kadphises, c. AD 30-80 », in Essays in Honour of Robert Carson and Kenneth Jenkins,
1993, p. 107-134 ; Id., « Kujula Kadphises and His Title Kushan Yavuga », Sino-Platonic Papers 280, 2018,
p. 1-20. KH, fig. 2-4 et p. 85-88 : monnayage d’Héraos placé vers 30 apr. J.-C.). Sur Sôter Megas/Vima
Taktu, voir infra, n. 53, 245.
45. Sur ces peuples et leur tenue vestimentaire dans les arts d’Asie centrale : S. A. Jacenko, « Kostjum
i pokrovki kochevoj aristokratii iz nekropolja Tillja-Tepe (Afganistan) », in Uchenye zapiski Komissii po
izucheniju pamjatnikov civilizacii derevnego i sredevekovogo Vostoka. Arkheologicheskie istochniki,
G. A. Koshelenko et S. A. Uzjanov éd., Moscou, Nauka, 1989, p. 251-293 ; S. A. Yatsenko, « The Costume
of the Yueh-Chihs/Kushans and its Analogies to the East and to the West », Silk Road Art and Archaeology 7,
2001, p. 73-120 ; K. A. Abdullaev, « Nomady v iskusstve ellenisticheskoj Baktrii », VDI 1, 1998, p. 83-91 ;
Id., « New Finds of Pre-Kushan and Early Kushan Plastic Art in Northern Bactria and the Khalchayan
Reliefs », Parthica 6, 2004, p. 27-46 (mais certaines datations de Payonkurgan sont sujettes à caution) ; Id.,
« Nomad Migration in Central Asia », in J. Cribb et G. Herrmann éd., op. cit. (n. 5), p. 73-98 ; P. Bernar et
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
25
ceinture métalliques ajourées semblent requérir une qualification de steppique,
dans la mesure où la forme, la technique de fabrication et le décor de ces accessoires
sont répandus dans un monde dont le centre de gravité se situe très loin en Asie
intérieure 46.
De leur côté, les portraits masculins de profil casqués (fig. 4 à 6) s’ancrent,
on le sait, dans la tradition hellénisée des rois gréco-bactriens comme Eucratide.
Ils sont non seulement répétés sur de nombreuses monnaies au nord ou au sud de
l’Hindou Kouch, mais aussi imités sur les émissions des nouveaux maîtres, comme
sur celles de Pulagès et de son groupe, sur les contremarques apposées en Bactriane
sur des monnaies de Phraate IV, ainsi que sur des intailles, des sceaux, ou encore
sur un camée de Tillya Tépa et un petit disque de bronze de Takht-i Sangin 47.
Ce succès permet d’avancer deux remarques. La première est que ces profils
K. A. Abdullaev, « Nomady na granice Baktrii (k voprosu etnicheskoj i kul’turnoj identifikacii) », Ross.
Arkh. 1, 1997, p. 68-86 ; NomInst. Sur l’apparence vestimentaire des populations des steppes dans leur art
propre : V. Schiltz, Les Scythes ; Id., éd. L’or des Amazones. Peuples nomades entre Asie et Europe. VIe siècle av.
J.-C.-IVe siècle apr. J.-C., Paris, Paris musées-Éditions Findakly, 2001.
46. Sur ces plaques steppiques, par exemple : O. V. Obel’chenko, « Shakhrivajronskaja prjazhka », in
Istorija i arkheologika Srednej Azii, O. V. Obel’chenko, D. M. Ovezov et T. Khodzhanijazov éd., Ashkhabad,
Ylym, 1978, p. 68-81 ornée d’un félin attaquant un chameau et des parallèles avec les objets semblables
souvent publiés de Karamurun, Ljavandak, Shahr-i Wairan, Dajlaman, Cheliabinsk (E. Korolkova, « Camel
Imagery in Animal Style Art », in The Golden Deer of Eurasia. Perspectives on the Steppe Nomads of the
Ancient World, J. Aruz, A. Farkas et E. Valtz Fino éd., New York-New Haven-Londres, The Metropolitan
Museum of Art-Yale University Press [The Metropolitan Museum of Art Symposia], 2007, fig. 7). Pour
une vue d’ensemble, voir U. Brosseder, « Belt Plaques as an Indicator of East-West Relations in the Eurasian
Steppe », in Xiongnu Archaeology. Multidisciplinary Perspectives of the First Steppe Empire in Inner Asia
(Bonn Contributions to Asian Archaeology), U. Brosseder et B. K. Miller éd., Bonn, Vor- und Frühgeschichtliche Archäologie Rheinische Friedrich-Wilhelms-Universität Bonn, 2011, p. 349-424 ; Id., « A
Study on The Complexity and Dynamics of Interaction and Exchange in Late Iron Age Eurasia », in
Complexity of Interaction along the Eurasian Steppe Zone in The First Millennium CE (Bonn Contributions
to Asian Archaeology), J. Bemmann et M. Schmauder éd., Bonn, Vor- und Frühgeschichtliche Archäologie
Rheinische Friedrich-Wilhelms-Universität Bonn, 2015, p. 199-332.
47. Pour les têtes casquées au type d’Eucratide de rois grecs à l’avers : O. Bordeaux, op. cit. (n. 41),
p. 125, n. 203 : Platon, Straton Ier, Antialcidas, Philoxène, Amyntas, Peucolaos, Nicias, Artémidore,
Archébios et Hermaios ; pour les Saka-Yuezhi et contemporains : RoiAn, n. 45, 46, 48, fig. 6-9 casqué au
type d’Eucratide, Sapalbizès, Arseilès, Pulagès, Pabes et autres (empreinte de Djiga-Tépé etc.) ; P. Callieri,
« The Sakas in Afghanistan: Evidence from the Glyptics », in Central’naja Azija. Istochniki istorija kul’tura,
E. V. Antonova et T. K. Mkrtychev éd., Moscou, Vostochnaja Literatura RAN, 2005, p. 359-364, propose
pour les contremarques aux têtes casquées d’Orodes II et Phraate IV de localiser un atelier de ces roitelets à
Hérat ; voir aussi Takht-i Sangin : rondelle de bronze (tête d’épingle), profil casqué à panache et
paragnathides dans un cercle perlé (TiS III, p. 269-272, fig. 41), dit « pré-kouchan » (notre fig. 18). Le
casque béotien est répandu aux iie-ier siècles av. J.-C., et se retrouve sur les imitations de monnaies
d’Eucratide. Voir aussi le roi debout en tenue de soldat grec casqué à panache et paragnathides d’une paire
d’agrafes en or de la tombe no 3 de Tillya Tépa et une monnaie de Kujula Kadphisès (RoiAn, p. 289, fig. 12 ;
p. 292-293, fig. 14). Les effigies casquées des monnaies de rois grecs cavaliers sont à mettre en relation avec
la plaque de Tilla Bulak (infra). Sur la typologie et chronologie de casques, voir notamment : B. Litvinskij,
TiS II, p. 347-363, pl. 102-103.
26
HENRI-PAUL FRANCFORT
casqués affichent délibérément une ascendance symbolique inscrite dans l’univers
du pouvoir et de l’art grecs de Bactriane. La seconde, que l’idée grecque d’identifier
un roi par son effigie demeure bien vivante, même si l’on n’a plus affaire à des
portraits réalistes illusionnistes, certains étant très schématiques et d’autres frisant
même la caricature. La preuve en est donnée par le retour, au ier siècle, du portrait
monétaire sous Héraos, prince que l’on peut aisément proposer de reconnaître sur
des reliefs de Khalchayan ou une broderie du kourgane no 31 de Noin-Ula
(Mongolie) 48 (fig. 8). Ces portraits sont stylisés, certes, mais demeurent tous
aisément différenciables les uns des autres malgré l’absence d’inscription.
La représentation de trois-quarts des têtes et les ombres du modelé des visages de
Noin-Ula, tout comme l’animation des personnages, indiquent un art directement
issu de la peinture hellénistique, à l’instar du magnifique visage de la tapisserie de
Shanpula au Xinjiang (RPC) qui suggère une connaissance encore vivante des
modèles et des conventions de la peinture grecque 49 (fig. 9).
Parmi les vestiges de l’hellénisme dans la région, le portrait princier est un
élément iconique essentiel, car ce genre d’image intéresse une assez grande variété
de populations et de supports matériels. La pratique des portraits royaux
hellénistiques réalistes illusionnistes régnait chez les Séleucides et les
Gréco-Bactriens dans la statuaire, sur les monnaies et les cachets principalement
et l’époque Saka-Yuezhi la continua, mais dans son style propre 50 (fig. 7).
48. Infra et NomInst, fig. 12 ; fig. 15 et p. 1573-1575. Maintenant, N. V. Polos’mak, « Nouvelles
découvertes de tentures polychromes brodées du début de notre ère dans les tumuli no 20 et no 31 de
Noin-Ula (République de Mongolie) », Arts asiatiques 70, 2015, p. 3-32, fig. 26, 29, 31, 32, 35, 37, 39, 40 ; et
de même avec les têtes des fig. nos 47 à 50. F. Grenet, de son côté, évoque des effigies génériques (« Peut-on
parler de réalisme dans les portraits royaux en Asie centrale post-hellénistique ? », in Bilder der Macht. Das
griechische Porträt und seine Verwendung in der antiken Welt, D. Boschung et F. Queyrel éd., Munich,
Wilhelm Fink Verlag [Morphomata, 34], 2017, p. 303-318).
49. NomInst, fig. 13, p. 1570 ; PeintMiran, p. 44-45, fig. 25, 26, p. 45. Le registre supérieur et la
bordure, avec un décor floral et un centaure musicien, sont aussi à porter au compte du répertoire artistique
hellénisé de l’Asie centrale du ier siècle.
50. La statuaire royale hellénistique et Saka-Yuezhi dans des monuments d’Asie centrale, hors
sculpture religieuse (en général) apparaît dans les reliefs muraux, la statuaire en stuc, en terre et sur de rares
sceaux et empreintes, mais aucun des portrait mentionnés ci-dessous n’a pu être identifié avec une totale
certitude (voir par exemple François Queyrel, « Portraits princiers hellénistiques : chronique
bibliographique », Revue archéologique, 1990, p. 97-172, nos 116, 117). Aï Khanoum : au temple, P. Bernard,
« Quatrième campagne de fouilles à Aï Khanoum (Afghanistan) », Comptes rendus des Séances de l’Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres 1969, fasc. III (juillet-oct.), p. 313-355 ; au palais : P. Bernard, in P. Bernard,
avec le concours de R. Desparmet Bernard, J.-C. Gardin, Ph. Gouin, A. de Lapparent, M. Le Berre,
G. Le Rider, L. Robert et R. Stucki, Fouilles d’Aï Khanoum I (Campagnes 1965, 1966, 1967, 1968)
(Mémoires de la Délégation archéologique française en Afghanistan, XXI), Paris, Klincksieck, 1973,
p. 189-193 ; débris de statue monumentale de bronze trouvée au gymnase (S. Veuve, Le gymnase.
Architecture, céramique, sculpture [Fouilles d’Aï Khanoum VI] [Mémoires de la Délégation archéologique
française en Afghanistan, XXX], Paris, Diffusion de Boccard, 1987, p. 112, yeux et mèche) ; Osmund
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
Fig. 4. – Avers d’Eucratide, portrait
casqué, or, 20 statères, 169,20 g,
58 mm. Bibliothèque nationale
de France, département Monnaies,
médailles et antiques, E 3605
(O. Bopearachchi, Monnaies
gréco-bactriennes et indo-grecques.
Catalogue raisonné, Bibliothèque
nationale, Paris, 1991, p. 202, no 25).
Fig. 5. – Avers d’hémidrachme
de Sapalbizès, portrait casqué,
1.84 g., 15 mm.
Source : en.wikipedia.org/wiki/
Sapadbizes#/media/File:Coin_of_
Sapadbizes.jpg.
27
Fig. 6. – Camée de roi
anonyme, portrait casqué.
Tillya Tépa, tombe no 4.
D’après V. I. Sarianidi, L’or de
la Bactriane. Fouilles de la
nécropole de Tillia-tepe en
Afghanistan septentrional,
Léningrad, Aurora, 1985, pl. 69.
Fig. 9. – Tapisserie de Shanpula (district
Fig. 7. – Bronze, imitation Yuezhi
Fig. 8. – Broderie bactrienne ou
de Hetian – Khotan Xinjiang, RPC).
d’Hélioclès, 13,82 g, diam. 25 mm. gandhārienne de Noin-Ula, kourgane no 20
D’après Wilfried Pieper,
(Mongolie). Portrait royal diadémé Yuezhi, Portrait anonyme Yuezhi dans une scène
de cour (transformée en houseaux, avant
Ancient Indian Coins Revisited,
proche d’Héraos dans une cérémonie
Classical Numismatic Group,
royale. Photographie N. Polosmak, Institut restauration). Musée d’Urumqi, Région
Autonome Ouigoure du Xinjiang,
Lancaster/Londresd, 2013, no 1160,
d’archéologie, d’ethnologie et
R. P. de Chine. D’après Xinjiang Uygur
avec l’aimable autorisation
d’anthropologie de la branche sibérienne
Autonomous Region Museum, Xinjiang
de l’auteur.
de l’Académie des Sciences de Russie
Institute of Archaeology, Sampula in
(N. V. Polos’mak, « Nouvelles découvertes
de tentures polychromes brodées du début Xinjiang of China. Revelation and Study
de notre ère dans les tumuli no 20 et no 31 of Ancient Khotan Civilization, Urumqi,
Xinjiang People’s Publishing House,
de Noin-Ula (République de Mongolie) »,
2001, fig. 360, 1-4.
Arts asiatiques 70, 2015, fig. 39, p. 24).
28
HENRI-PAUL FRANCFORT
Les Indo-Grecs firent de même avant qu’elle soit abandonnée par les Indo-Scythes.
L’image princière indo-scythe et indo-parthe sur les monnaies délaisse le portrait,
lui préférant l’exposition de régalia associés à une iconographie royale nouvelle,
équestre, mais conservant des légendes écrites. En Bactriane, les droits des
imitations « barbarisées » d’Eucratide et d’Hélioclès émises par des Saka-Yuezhi
sont à leur manière aussi des « portraits ». Schématiques, ils nous paraissent
totalement anonymes, détachés qu’ils sont de tout modèle réaliste illusionniste.
Pourtant, certaines de ces schématisations ne sont pas plus éloignées d’un modèle
que les portraits de Madame Matisse ou de Dora Maar avec lesquels nous sommes
Bopearachchi, « A faience head of a Graeco-Bactrian king from Ai Khanum », Bulletin of the Asia
Institute 12, 1998, p. 23-30, avec les références sur les portraits d’Aï Khanoum ; Id., « Découvertes récentes
de sculptures hellénistiques en Asie centrale », in Art et archéologie des monastères gréco-bouddhiques du
Nord-Ouest de l’Inde et de l’Asie centrale. Actes du colloque international du Crpoga (Strasbourg, 17-18 mars
2000), Z. Tarzi et D. Vaillancourt éd., Paris, de Boccard, 2005, p. 51-65 tête de statue acrolithique en faïence
qui serait celle de Démétrios Ier, ensuite continuée avec Tahkal Bala, marque le passage dans le Bouddhisme
du savoir-faire grec ; p. 56-57, fig. 3 bulle d’Aï Khanoum (?) à tête barbue de souverain diadémé ; voir aussi
H.-P. Francfort, Fouilles d’Aï Khanoum III. Le sanctuaire du temple à niches indentées 2. Les trouvailles
(Mémoires de la Délégation archéologique française en Afghanistan, XXVII), 1984, p. 46. Il est curieux
qu’Aï Khanoum n’ait pratiquement pas donné de cachet ni de bulle royaux même au palais (voir cependant :
H.-P. Francfort, op. cit. [n. 50], p. 75, 78, pl. XXXV intailles dont une à buste féminin de type ptolémaïque ;
pl. XVII no 12, p. 45, bulle avec empreintes à tête masculine à droite ; pl. XVII no 19, p. 44, empreinte de
sceau au rapt de Ganymède ; O. Guillaume et A. Rougeulle, Fouille d’Aï Khanoum VII. Les petits objets.
Dessins de A. Rougeulle et G. Samoun (Mémoires de la Délégation archéologique française en Afghanistan,
XXXI), Paris, de Boccard, 1987, pl. XV, 9 empreinte d’Apollon sur l’Omphalos). Takht-i Sangin : B.
A. Litvinskij, « Hellenistic clay portraits from the temple of the Oxus », Parthica 5, 2003, p. 37-61 ; A.
S. Balakhvancev, « K voprosu ob atribucii glinjanykh golov iz Takhti-Sangina », in TiS III, p. 531-544 ;
main d’une statue monumentale en bronze (B. A. Litvinskij, TiS III, pl. 47). Voir ci-dessous pour le
portrait royal de l’emblèma al-Sabah. Nisa : A. Invernizzi, Nisa Parthica. Le sculture ellenistiche (Monografie
di Mesopotamia), Florence, Le Lettere, 2009 ; C Lippolis, « Parthian Nisa: art and architecture in the
homeland of the Arsacids », in ACOH, p. 223-30 ; V. N. Pilipko, « Clay sculptures from Nisa », in
A. Invernizzi éd., op. cit. (n. 11), p. 13-21 ; Id., « The second helmeted head from old Nisa », Iran 40/1, 2002,
p. 273-276 ; Id., « Gipsovaja skulptura iz bashennogo sooruzhenija Starogo Nisy (predvaritel’noe
soobshchenie), Problemy istorii filologii, kul’tury 4/58, 2017, p. 31-48 ; parmi les empreintes de Nisa datées
de la seconde moitié du ier siècle av. J.-C. au ier siècle apr. J.-C. on ne trouve apparemment pas de portraits
royaux (A. Bader, « Little known materials of Parthian sphragistics and epigraphy. Sealings from Old Nisa,
Turkmenistan », BCH, Suppl. 29 [Archives et sceaux du monde hellénistique/Archivi e sigilli nel mondo
ellenistico], M.-F. Boussac et A. Invernizzi éd., 1996, p. 395-408 ; P. Mollo, « Le sigillature di Nisa Vecchia »,
Parthica 3, 2001, p. 159-210). Khalchayan : G. A. Pugachenkova, Khalchajan, Tashkent, FAN, 1966,
reliefs passim et fig. 110, p. 235 : médaillon royal (palais, corridor 5, daté au plus tard de Vima Kadphisès ;
sa taille, sa forme et son sujet évoquent les emblèmata de l’orfèvrerie et les palettes gandhāriennes de pierre,
cf. infra) ; sculptures : M. Mode, « Die Skulpturenfriese von Chalchajan. Neue Rekonstruktionsversuche
zur Kunst der frühen Kuschan in Baktrien », in Zwischen Ost und West. Neue Forschungen zul antiken
Zentralasien. Wissenschaftliches Kolloquium 30.9-2.10.2009 in Mannheim, G. Lindström et alii éd.
(Archäologie in Iran und Turan, vol. 14), Darmstadt, Verlag Philipp von Zabern, 2013, p. 205-220 ;
G. A. Pugachenkova, Skulptura Khalchajana, Moscou, Iskusstvo, 1971. De manière plus générale, avec la
période kouchane mais sans les Parthes : J. M. Rosenfield, op. cit. (n. 7) ; F. Sinisi, op. cit. (n. 19).
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
29
aujourd’hui familiarisés et que nous reconnaissons 51. En effet, ils présentent bien la
tête du roi de profil, affichant parfois les caractéristiques d’une coiffure relevée en
chignon presque comme un crâne déformé, un visage rond joufflu, une arête nasale
et un menton bien marqués et même des yeux qui semblent bridés. Les « regardeurs »
de l’époque, habitués à repérer les traces les plus ténues observables dans les
paysages des steppes, pouvaient-ils ne pas y reconnaître un souverain particulier ?
Quoi qu’il en soit, ces effigies royales postérieures à la fin des Gréco-Bactriens se
placent incontestablement, à l’instar des portraits casqués et en une fréquence plus
grande que l’on eût cru, dans la suite de la tradition grecque des représentations
individuelles, absentes dans les steppes asiatiques 52. Cette continuation du portrait
hellénistique se remarque également sur celles des monnaies de Kujula Kadphisès
qui copient des émissions romaines, avec un profil de type augustéen au droit et, au
revers, comme pour assurer et renforcer l’analogie et la reconnaissance d’une
identité, le souverain siégeant sur la sella curulis (mais coiffé du haut bonnet conique
kouchan) 53 (fig. 10 et 11). Ce ne sera plus le cas avec Sôter Megas, dont les monnaies
51. Parmi une abondante bibliographie sur les schématisations dans l’art et le portrait, on pourra
toujours se référer utilement à E. H. Gombrich, « Méditations sur un cheval de bois », in Méditations sur un
cheval de bois, trad. G. Durand, Mâcon, éditions w, 1986, p. 15-32 ; Id., L’art et l’illusion. Psychologie de la
représentation picturale, trad. de 1960, Paris, Gallimard (Bibliothèque des sciences humaines), 1987. Voir
récemment par exemple : P. Dubus, Qu’est-ce qu’un portrait ?, Paris, L’insolite (L’art en perspective), 2006 ;
Th. Dufrêne, Giacometti Genet : Masques et portrait moderne, Paris, L’insolite (L’art en perspective), 2006 ;
H. Belting, Faces. Une histoire du visage, Paris, Gallimard (Bibliothèque illustrée des histoires), 2017 [2013].
52. Des images d’individus comme le cavalier de la tenture de Pazyryk V se situent dans une
perspective toute différente, celle de l’art des steppes et des compositons perses achéménides.
53. Voir J. M. Rosenfield, op. cit. (n. 7), p. 13 ; WmetE, p. 26 et Cat. no 30 ; NomInst, p. 1564, fig. 9 et
11, avec les rapprochements des broderies Yuezhi de Noin-Ula et, pour la chaise curule, avec celles, réelles,
de Sirkap et de Tillya Tépa. F. Sinisi (« Royal Imagery on Kushan Coins: Local Tradition and Arsacid
Influences », Journal of the Economic and Social History of the Orient 60/6, 2017, p. 826-827 ; 872-873) tente
de minimiser le rapport avec Rome au profit d’une tradition locale, mais il est indéniable que ces monnaies,
par leur iconographie et parce que le droit et le revers sont tous deux inspirés par Rome, indiquent un lien
étroit. Le tabouret pliant en forme de sella curulis n’est pas là par hasard pour évoquer un pique-nique : ceux
découverts à Tillya Tépa et à Sirkap dans les fouilles ou celui qui est représenté sur une broderie à Noin-Ula
(et peut-être en relief à Khalchayan) sont tous attachés à la fonction royale (que leurs détenteurs aient porté
le titre ou non). Rappelons aussi que le roi diadémé ou « guerrier macédonien » des agrafes en or de la tombe
no 3 de Tillya Tépa, avec sa cuirasse, sa lance et son bouclier, a été rapproché de monnaies de KujulaKadphisès (RoiAnon, fig. 12, p. 289 et fig. 14, p. 292 ; NomInst, fig. 11, p. 1565). La tombe de Tillya Tépa,
qu’elle soit celle de l’un des « Pulagides » ou non, est contemporaine ou proche du règne de Kujula
Kadphisès. H. Falk soutient aussi la connaissance du monnayage augustéen par Kujula Kadphisès (H. Falk,
« Kushan Religion and Politics », Bulletin of the Asia Institute 29 [2015-2019], 2019, p. 6, fig. 4, b et d)
monnaies émises en 30/29 av. J.-C. après la victoire d’Actium. Ce même savant (op. cit., p. 8-10, fig. 7)
mentionne d’autres monnaies d’Auguste (ém. 29-27 av. J.-C.) et de Trajan (ém. 98-117) comme ayant
inspiré des frappes de Vima Taktu/Sôter Megas. Sur des monnaies romaines trouvées en Asie centrale, voir
notamment : U. Scerrato, « On a silver coin of Traianus Decius from Afghanistan », East and West 13/1,
1962, p. 17-23 ; E. V. Zejmal, Drevnie monety Tadzhikistana, Dushanbe, 1983, p. 62-68 (au Tadjikistan) ;
30
HENRI-PAUL FRANCFORT
sont dispersées de Mathurā au Turkménistan : le portrait radié du souverain tenant
un sceptre au droit et le cavalier couronné par la victoire au revers, évoque alors
davantage un modèle standard plutôt que personnel du visage 54. Les statues
kouchanes, ensuite, ne paraissent plus chercher la ressemblance illusionniste, mais
à exprimer le pouvoir et la majesté royale en présentation frontale, debout ou
siégeant sur un trône aux lions, tout comme sur le médaillon de Khalchayan
(fig. 12). Curieusement, outre les portraits, la tradition hellénique de la Bactriane et
du Gandhāra se prolongea également dans un domaine d’apparence plus modeste,
mais dans lequel les Grecs excellaient, celui des artisanats d’art, des arts mineurs et
de l’ornement.
Ces arts mineurs reflètent le déclin de l’hellénisme en Asie centrale, mais
nous avons vu une solide résistance de formes symboliques importantes qui ont été
adoptées ou adaptées : économie et iconographie monétaires, écriture et vocabulaire
dans le domaine administratif des classes dirigeantes, images et effigies de profil,
images du pouvoir. Il est important de souligner aussi que non seulement les formes
iconiques, mais les supports matériels sont hellénisés, on le sait : monnayage,
glyptique, toreutique, coroplathie 55. Dans l’autre sens, la culture équestre, la
civilisation du cheval et ses modes hautement élaborés ont déteint sur les Grecs qui
se montrent en cavaliers et arborent une panoplie de manière originale. La question
des traditions et savoir-faire artistiques hellénistiques en Asie centrale après la
période gréco-bactrienne a fait l’objet d’études nombreuses, notamment de la part
de K. Abdullaev, qui montrent leur persistance, leur transformation et leur déclin
dans les arts populaires. Il a su identifier des thèmes iconographiques, des formes et
V. I. Sarianidi et G. A. Koshelenko, « Monety Tilljatepa », in Drevnjaja Indija. Istoriko-kul’turnye svjazy,
G. M. Bongard-Levin éd., Moscou, 1982, p. 313-315 (aureus de Tibère de Tillya Tépa) ; B. Ja. Staviskij,
« Central Asian Mesopotamia and the Roman World. Evidence of Contacts », in A. Invernizzi éd., op. cit.
(n. 11), p. 191-202, a élargi son enquête à un panorama incluant la plupart des antiquités romaines ou vues
comme telles qui étaient connues à l’époque, notamment à l’aide d’une étude sur les relations entre l’Égypte
et l’empire kouchan (T. A. Sherkova, Egipet i Kushanskoe Carstvo, Moscou, Nauka, 1991).
54. Il ne serait pas nécessairement identifiable à Vima Taktu, comme l’avance J. Cribb. Voir WmetE,
p. 27, avec les sources chinoises, l’inscription de Rabatak et les monnaies : Sôter Megas aurait régné
longtemps, sur un vaste territoire, et Vima Taktu, de la lignée royale kouchane, grand-père de Kaniška,
serait mort âgé un peu plus tôt. Vima Kadphisès reprit ensuite la couronne kouchane. Voir aussi :
O Bopearachchi, « Chronologie et généalogie des premiers rois kouchans : nouvelles données », Comptes
rendus des Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2006, fasc. III (juillet-oct.), p. 1433-1447 ;
Id., « Les premiers souverains kouchans voir aussi : chronologie et iconographie monétaire », Journal des
Savant 2008/2, p. 1-55.
55. Pas plus que de l’architecture, de ses éléments et de ses ornements, bien connus, nous ne traitons
ici des figurines féminines, masculines de cavaliers ou animalières qui ont ont déjà fait l’objet de nombreux
travaux, dont certains sont cités dans le cours de cet article. Dans leur immense majorité elles ne sont pas
vraiment datables, entre les périodes Saka-Yuezhi et kouchane, et leur degré d’hellénisation est assez faible.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
31
Fig. 10. – Monnaie de Kujula Kadphisès.
Bronze imité de monnaies romaines
augustéennes.
Droit : portrait royal ; revers : souverain sur
sella curulis. Cliché M. Alram (« Münzprägung
in Baktrien und Sogdien – von der graecobaktrischen Königen bis zu den Kuschan », in
S. Hansen, A. Wieczorek et M. Tellenbach éd.
Öffnung, Regensburg, Verlag Schnell &
Steiner GmbH, 2009, no 8, p. 188).
Fig. 11. – Broderie bactrienne ou gandhārienne trouvée à Noin-Ula (kourgane no 20, Mongolie).
Scène de filtrage du vin dans un cratère et boisson, personnage royal assis sur un siège pliant ;
au bas palmettes, motifs végétaux et makara. Musée d’Ulanbaatar. D’après N.-O. Erdene-Ochir,
« Khunnugiin shirdeg, torgo, nekhmel edlel / Felt rugs, silks and embroideries of the Xiongnu »,
in Khunnugiin öv : Nuugdelchdiin ankhny tör – Khunnu gurnii soël / Treasures of the Xiongnu.
Culture of Xiongnu, the first Nomadic Empire in Mongolia, National Museum of Mongolia,
Institute of Archaeology, Mongolian Academy of Sciences, Eregzen, Ulanbaatar, 2011, p. 252-253.
Fig. 12. – Médaillon à
effigie royale trônant de
Khalchayan : d’après
B. Stawiski, Kunst der
Kuschan, Leipzig, 1979,
VEB E. A. Seemann
Verlag, fig. 75.
32
HENRI-PAUL FRANCFORT
des compositions d’origine grecque, repris principalement dans les figurines, et
fortement transformés au cours du temps, très avant dans la période kouchane 56.
Avec les exemples qui suivent, des arts de prestige et des arts monumentaux, nous
pourrons voir non seulement que la prégnance des arts hellénisés semble rester très
grande, mais encore qu’une demande en Asie centrale et en Inde du nord-ouest y
appelle l’art gréco-romain de la Méditerranée. Peut-être n’est-ce rien d’autre qu’un
désir mimétique chez les uns et un désir de survie chez les autres, dans le long
crépuscule des formes, des pratiques, des savoirs, des modes de vie et des pensées ?
Des exemples rares mais éloquents aident à mieux comprendre ces questions.
Une sélection parmi des bijoux découverts dans des tombes centrasiatiques de
notre période établit des liens entre certaines sépultures de nécropoles du
Tadjikistan et les vestiges de Takht-i Sangin, Tillya Tépa et Sirkap 57 (fig. 13).
56. Ainsi que des changements de formes de mythologie et de divinités (ex. Niké, Héraclès, Tychè
dont la forme reste grecque mais dont la dénomination, le sens et la fonction changent, cela est bien connu :
Khvarenah/Farn, Vərəθraγna/Vajrapāni, Ardoxšo/Hārītī, etc.). Voir : WmetE, p. p. 60-66 pour Héraclès et
Tychè ; tous les travaux de K. A. Abdullaev, « Novye dannye k ikonografii Gerakla », IMKU 33, 2002,
p. 96-101 ; Id., « O kul’te Gerakla v Baktrii nekotorye voprosy ikonografii) », IMKU 22, 1988, p. 26-34 ; Id.,
« Reutilization of Old Images for New Iconographic Generations: The Question of the Destiny of Greek
Images in the Post-Hellenistic Period », East and West 52, 1/4, 2002, p. 53-69 ; « Transformacija grecheskikh
obrazov v terrakotovoj plastike Kampyrtepa », Materialy Tokharistanskoj Ekspedicii 3, 2003, p. 27-36 ;
« Izobrazhenie Afrodity v naose iz Tilljatepa (ellenisticheskie tradicii v sako-juechzhijskij period) », in
Materilay po antichnoj kul’ture Uzbekistana, K. A. Abdullaev éd., Samarkand, Institut Arkheologii
Akademii Nauk Respubliki Uzbekistana, 2005, p. 9-15 ; « Les motifs dionysiaques dans l’art de la Bactriane
et de la Sogdiane », in Afghanistan, ancien carrefour entre l’Est et l’Ouest, O. Bopearachchi et
M.-F. Boussac éd., vol. 3 (Indicopleustoi. Archaeologies of the Indian Ocean), Turnhout, Brepols, 2005,
p. 227-257 ; « Images et cultes de l’Occident dans l’Orient hellénisé : Héraclès en Asie Centrale et dans
l’Inde du Nord-Ouest », Comptes rendus des Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2007,
fasc. I (janvier-mars), p. 535-576 ; « A Bactrian Gold Buckle with the Contest Between a Hero and a Centaur
(Herakles and Nessos?) », Parthica 10, 2008, p. 1000-1015 ; « Aleksandr-Ares v Baktrii (k voprosu ob
identifikaciji obraza voina iz Tilljatepa) », VDI 76/3, 2016, p. 579-596 ; « Aphrodite ou Maîtresse des
animaux ? Une transformation iconographique dans l’art de la Bactriane à l’époque hellénistique », in Asie
centrale. Transferts culturels le long de la Route de la soie, M. Espagne et alii éd., Paris, Vendémiaire, 2016,
p. 115-125 ; « Ellinisticheskaja tradicija v iskusstve Sogda i Baktrii », IMKU 27, 1996, p. 52-61 ;
K. A. Abdullaev et A. Berdimuradov, « Antichnye sjuzhety v rannesrednevekovoj gliptike Sogda po bullam
gorodishcha Kafyrkala pod Samarkandom », in Materilay po antichnoj kul’ture Uzbekistana,
K. A. Abdullaev éd., Samarkand, Institut Arkheologii Akademii Nauk Respubliki Uzbekistana, 2005,
p. 25-32 ; K. A. Abdullaev et S. Radzhabov, « Terrakotovaja plitka s izobrazheniem Dionisa i Satira iz
Kashkadr’i », IMKU 31, 2000, p. 111-114 ; K. Abdullaev et S. Raimkulov, « A Triumph Scene on an
Engraved Gem From Kundzhulitepa (Kashkadarya) », Ancient Civilizations from Scythia to Siberia 2/2,
1996, p. 221-224.
57. B. A. Litvinskij, « Sravnitel’nye materaily po ukrashenjam kushanskogo vremeni iz pamjatnikov
Severnoj Baktrii (mogil’nik Tup-khona i drugie pamjatniki) », in TiS III, p. 481-90 : étude de détails
morphologiques qui conduit vers les ier-iie siècles apr. J.-C., dans un schéma chronologique incertain. Ces
bijoux bien connus ont été étudiés plus spécialement par T. F. Calligaro, « Analyse des matériaux : Tillia
tepe, étude des incrustations et de l’or », in Trésors retrouvés, p. 292-293 ; Petra Belaňová, « Ancient
Adornments of Central Asia Influenced by the Greek Jewellery of the Classical and Hellenistic Period »,
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
33
Fig. 13. – Pendeloques or et incrustations des tombes du sud du Tadjikistan.
D’après Catalogue, Kunst, Zurich, Museum Rietberg, 1989, nos 29-32, p. 58-59.
Il s’agit par exemple de bijoux en or à granulation, de disques à pendeloques, de
bracelets aux extrémités épaissies, d’anneaux de métal gravés comme des sceaux de
sujets hellénisants ou de pendeloques très singulières ornées d’amphorisques
flanqués de dauphins 58. Un chapitre décisif de cette recherche sur les bijoux a été
Studia Hercynia 20/1, 2016, p. 111-126, et certains ont fait l’objet d’analyses du metal : Maria Filomena
Guerra et alii, « Analytical study of the manufacturing techniques of Kushan gold jewellery (National
Museum of Antiquities of Tajikistan) », ArcheoSciences. Revue d’archéométrie 33, 2009, p. 177-185), mais ni
leurs dates, ni leurs lieux de fabrication n’ont pu être davantage précisés.
58. Ces pendeloques, traditionnellement datées du ier-iie siècle apr. J.-C., ont été découvertes dans des
kourganes de la vallée de Bishkent (A. M. Mandel’shtam, Kochevniki na puti v Indiju, Trudy Tadjikskoj
Arkheologicheskoj Ekspedicii Instituta Arkheologii AN SSSR i Instituta Istorii im. A. Donish AN
Tadzhikskoj SSR, vol. 5, Moscou, Nauka, 1966, pl. LIX, nos 1 à 5 et 7-8), à BM-V, au cimetière d’Ittifok
(très près de Farkhor et du site de Saksanokhur non loin d’Aï Khanoum, sur la rive tadjike et qui, lui,
continue d’exister jusqu’à la période kouchane : ART 1970, 1973, p. 12-14 ; Drevnosti TJ,
p.113-114 ; 115-117, no 309-315 ; KunstMitt, nos 29, 31) ainsi qu’à Takht-i Sangin dans le comblement d’un
puits (A. P. Druzhinina, H. Inagaki et T. U. Khudzhageldiev, « Rezul’taty arkheologicheskikh issledovanij
na gorodishche Takhti-Sangin v 2008 g. », Arkheologicheskie Raboty v Tadzhikistane XXXIV, 2010,
p. 191-216), dans des tombes du Ferghana (B. A. Litvinskij, Ukrashenija iz mogil’nikov zapadnoj Ferghany,
Moscou, Nauka, 1973), à Sirkap (Taxila, III, pl. 190, 1). Ces trouvailles dans des contextes différents
incitent à dater les plus anciennes des ier-iie siècles av. J.-C. puisque l’amphore d’une telle pendeloque a été
découverte à d’Aï Khanoum (O. Guillaume et A. Rougeulle, op. cit. [n. 50], pl. 18, no 62) ; voir aussi celles
de IndOx, no 93 et de M. L. Carter, « From Alexander to Islam: Hellenism in a non-Mediterranean
environment », in Splendors of the Ancient East. Antiquities from the al-Sabah Collection, D. Freeman éd.,
Londres, Thames & Hudson, 2013, p. 115-163, no 82, « Bactria, Indo-Scythian » ier siècle av. J.-C.-ier siècle
34
HENRI-PAUL FRANCFORT
écrit par M. Treister à propos des champlevés et des cloisonnés, qui confirme leur
attribution chronologique à la fin de la période hellénistique et au début de l’époque
impériale 59. Nous pouvons également souligner le rapprochement entre un bijou
en or à protome de sphinx ou de Sirène provenant la ville antique de Douchambé 60
qui possède un analogue dans une Sirène de la collection Kreitman 61. On ne saurait
oublier non plus à ce propos les boucles d’oreille en or portant un Éros ailé nu
découvertes dans la tombe no 2 de Degirmenlidge dans la région de l’Uzboy proche
de la mer d’Aral (Turkménistan) ; l’étude complète de ces objets dans le monde
parthe permet aux auteurs de conclure à une date située entre le iie et le début du
ier siècle av. J.-C. 62. Les productions des orfèvres pourraient donner des exemples
supplémentaires de rapprochements entre la bijouterie hellénisée du domaine
parthe, celle de l’Asie centrale Saka-Yuezhi et du Gandhāra pré-Kouchan 63. Nous
en verrons d’autres infra avec les « trésors », mais auparavant des antiquités trouvées
à Saksanokhur et à Takht-i Sangin au Tadjikistan ainsi qu’à Tilla Bulak en
Ouzbékistan doivent être examinées.
Parmi les sites bactriens, Saksanokhur, situé non loin du confluent du Surkh
Ab (Kyzyl Su) et du Pandj (Amou Darya supérieur), est assurément datable en
grande partie de notre période. Il s’agit d’une sorte de manoir, partiellement fouillé,
remontant à l’époque de la fin d’Aï Khanoum tout proche (une vingtaine de km),
avec de possibles pierres de remploi qui en proviendraient (?) : dalles de seuil,
apr. J.-C. : granulations et incrustations de turquoise et grenats, en forme de virgule. Leur utilisation au
cours de toute notre période est probable.
59. M. Treister, « Cloisonné and champlevé decoration in the goldwork of the late Hellenistic-early
Imperial periods », Acta Archaeologica 75, 2004, p. 189-219.
60. Musée National du Tadjikistan, Douchambé, inv. inconnu, long. 2,5 cm ; KunstMitt, no 23 =
Öffnung, no 269 (iie s. av. J.-C.).
61. BraceGrec, p. 263-266, époque hellénistique, portant un volumen où se lit ΘΕΑ en cursive grecque
(les parallèles pour les bracelets serpentiformes et les kètea sont enrichis du côté de la Chorasmie et du
monde romain dans IndOx, no 9i ; GrAs, p. i79 à droite) ; Crossroads, no 140 p. 138-140, daté du ier siècle av.
J.-C.-ier siècle apr. J.-C., peut-être un « … Greek work for the adornment of nobles, wether of Greek,
Parthian or Indian origin » ; un autre sphinx ou Sirène de Berlin, provenant du Pendjab grec oriental – ou
parthe –, daté des environs de 150 av. J.-C., peut également lui être comparé : Öffnung, no 272 d’après
G. Platz-Horster, Altes Museums Antiker Goldschmuck. Eine Auswahl der ausgestellten Werke, Mayence,
Antikensammlung Staatliche Museen zu Berlin, Preussischer Kulrurbesitz, Verlag Philipp von Zabern,
2001, no 48.
62. A. Bader et Kh. Usupov, « Gold earrings from north-west Turkmenistan », in A. Invernizzi éd., op.
cit. (n. 11) , p. 23-38.
63. Par exemple : IndOx, no 136 a : camée d’Afghanistan (M.-F. Boussac) ; nos 137, 138, 139, 145, 147 :
sceaux de Peshawar (G. Fussman) ; voir, plus bas, n. 155 (P. Callieri) ; pour des objets de même période,
mais steppiques : no 141, p. 150-151 : plaque de ceinture ajourée de Bactres (?) attribuée aux Yuezhi à
panthère ailée et cornue, cadre cordé en saillie, loup cornu et dragon et parallèles Xiongnu, à Aluchaideng et
Xigoupan, à Daodunzi, Ivolga, daterait 2e siècle av. J.-C. (V. Schiltz) ; no 143 : coiffe de type steppique
d’Afghanistan (V. Schiltz).
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
35
Fig. 14. – Plaque en or ajouré de Saksanokhur (Tadjikistan), chasse au sanglier,
le cheval porte un harnachement de « type Xiongnu », le chasseur les cheveux tirés en arrière
et noués en chignon. Musée National de Douchambé. D’après Kunst, catalogue de l’exposition « Oxus,
2000 Jahre Kunst am Oxus-Fluss in Mittelasien, neue Funde aus der Sowjetrepublik Tadshikistan »,
Zurich, Museum Rietberg, 1989, no 25, p. 43. Dos de cette plaque (photographie V. Zaleski).
tambours de colonne et chapiteaux corinthiens. En activité jusqu’à l’époque
kouchane, il a entretenu un atelier de céramiste et de coroplathe. Pour l’époque qui
nous intéresse, il a livré des figurines de terre cuite, parmi lesquelles un cavalier au
bonnet pointu et des statuettes féminines vêtues à la grecque, fort semblables à
celles d’Aï Khanoum et de la ferme hellénistique de Shortughaï 64. Une célèbre
plaque ajourée en or trouvée à la surface du site représente une chasse au sanglier
à l’épieu par un cavalier en tenue steppique, dans un cadre d’oves aménagées en
64. Sur Saksanokhur : B. A. Litvinskij et Kh. Ju. Mukhitdinov, « Antichnoe gorodishche Saksanokhur
(Juzhnij Tadzhikistan) », Sovetskaja Arkheologija 2, 1969, p. 160-177 ; Kh. Ju. Mukhitdinov, « Statuetki
zhenskogo bozhestva s zerkalom iz Saksonokhura », Sovetskaja Etnografija 5, 1973, p. 99-107 ; Id.,
« Izuchenie pogrebal’nykh pamjatnikov v Parkharskom rajone Tadzhikistana », Uspekhi sredneaziatskoj
arkheologii 3, 1975, p. 75 ; Id., « Parkhar v sisteme arkheologicheskogo izuchenija Juzhnogo Tadzhikistana »,
in Baktrija-Tokharistan na drevnem i srednevekovom Vostoke, B. A. Litvinskij et alii éd., Moscou, Nauka,
1983, p. 58-59 ; Id., « Razvedka v parkharskom rajone v 1964 g. », Material’naja Kul’tura Tadzhikistana 2,
1971, p. 189-198 ; Id., « Saksanokurskie matricy dlja formovki muzhskikh statuetok », Material’naja
Kul’tura Tadzhikistana 4, 1987, p. 91-114 ; A. Abdullaev, « Otchet pjandzhskogo arkheologicheskogo otrjada
za 1985 g. », Arkheologicheskie Raboty v Tadzhikistane 25, 1994, p. 171-179. Pour des figurines d’Aï
Khanoum proches : O. Guillaume et A. Rougeulle, op. cit. (n. 50), p. 60-62, pl. XVI, 1-13 visiblement
d’époques diverses, mais les nos 1-7 ressemblent à Saksanokhur, comme celle de la ferme grecque de
Shortughaï tout proche (H.-P. Francfort, « Habitat rural achéménide, hellénistique et kouchan dans la
plaine d’Aï Khanoum-Shortughaï », in Fouilles d’Aï Khanoum IX. L’habitat, G. Lecuyot éd., vol. XXXIV,
Paris, de Boccard, 2013, p. 157-178, pl. XLIII C).
36
HENRI-PAUL FRANCFORT
alvéoles destinées à recevoir des incrustations 65 (fig. 14). On peut aujourd’hui
l’attribuer à un art local dont l’intention était de satisfaire un patron cavalier
originaire des steppes lointaines et apparenté aux Xiongnu. En effet, si la chasse au
sanglier est bien un thème de l’art des steppes, comme le montre, entre autres, une
célèbre paire de plaques en or du musée de l’Ermitage, celle-ci se pratique en Asie
à l’arc, et non à la lance. La chasse montée au sanglier, au lion ou au lièvre à l’épieu
brandi est celle, classique, des Perses et des Grecs, bien connue dans leurs arts et
qui se retrouve dans les productions gréco-scythes de la mer Noire 66 ainsi que, par
exemple, sur une boucle ajourée qui serait parthe (?) 67. Maintenant, si l’on observe
le harnachement du cheval de Saksanokhur, l’attention est immédiatement attirée
par deux traits caractéristiques. On note d’une part que la queue du cheval est prise
dans un fourreau, comme celles des montures des cavaliers steppiques et que l’on
remarque dans l’Altaï (dans les kourganes de Pazyryk, Berel’ et autres) et sur les
monnaies des Indo-Scythes et d’Héraos 68. On distingue par ailleurs nettement la
croupière ornée de trois anneaux formant une chaînette, ainsi que, sur l’épaule de la
monture, une pendeloque en forme de pince très reconnaissable, suspendue à une
chaînette passant devant le poitrail et remontant jusqu’au pommeau de la selle,
dont les parallèles connus ne se trouvent pas chez les Scythes mais dans le domaine
des Xiongnu, sur des plaques de bronze provenant de Mongolie et de Chine 69
(fig. 15 et 16). En outre, les quatre ornements en forme de virgule de la crinière du
sanglier, destinés à recevoir des incrustations, de turquoise par exemple, renforcent
les analogies avec Tillya Tépa et l’art des steppes jusqu’à celui de Khokhlatch aux
65. Musée national du Tadjikistan (Douchambé), 5,4 x 5,3 cm ; GrAs, fig. XXIX ; KunstMitt, no 25
datée du ier-iie siècle apr. J.-C. ; NomInst, fig. 2, p. 1554.
66. V. Schiltz, Scythes, fig. 178, p. 242-243, p. 244-245 (= Nom. Inst., fig. 8 , p. 1558), rappelle les
chasses montées, héroïques ou royales, au lion ou au sanglier, qui se pratiquent toujours à la lance,
représentées par exemple à Koul-Oba (fig. 140 au lièvre) ou à Solokha (fig. 332, au lion).
67. Le cavalier, dont on ne voit pas l’arme, juché sur sa monture cabrée suit un cerf et un autre animal
plus petit qu’attaquent deux félins, l’un vers les jambes, l’autre au cou (GrAs, fig. 138 ; P. R. S. Moorey et
alii, Ancient Bronzes Ceramics and Seals. Los Angeles County Museum of Art, Los Angeles, 1981, no 666) :
la position et le rendu stylistique des fauves n’est pas sans rappeler ceux qui attaquent des chameaux sur des
plaques centrasiatiques des steppes (voir E. Korolkova, op. cit. [n. 46]). La première attribution de cette
plaque à la Bactriane et non aux Parthes serait-elle plus vraisemblable ? La question mérite d’être posée.
68. Voir supra p. 23 ; NomInst, p. 1556-1557 et IndOx (Chr. Sachs), p. 173.
69. M. Wagner et H. Butz, Nomadenkunst. Ordosbronzen der Ostasiatischen Kunstsammlung Museum
für Asiatische Kunst, Staatliche Museen zu Berlin, Berlin, Verlag Philipp von Zabern (Archäologie in
Eurasien), 2007, no 65, p. 86, sur le cheval de droite ; d’autres plaques trouvées en Chine représentent aussi
cette forme d’ornement : J. F. So et E. C. Bunker, Traders and Raiders on China’s Northern Frontier, Seattle
and Londres, Arthur M. Sackler Gallery, Smithsonian Institution in association with the University of
Washington Press, 1995, no 1, p. 90, plaque no 1, p. 22, etc. datée du iie siècle av. J.-C. Les plaques de la « chasse
des Iyrques » montrent aussi des éléments de harnachement Xiongnu : NomInst, p.1559, n. 34 et fig. 8.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
37
Fig. 15. – Plaque en or ajouré et incrusté de la collection sibérienne de Pierre Ier,
Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg. Chasse au sanglier, les chevaux portent des
harnachements de « type Xiongnu », les chasseurs les cheveux tirés en arrière et noués en chignon.
Photographie Vl. Térébénine, cliché aimablement communiqué par V. Schiltz†.
Fig. 16. – Plaque en bronze ajouré du nord-ouest de la Chine ou Mongolie intérieure méridionale centrale,
Xiongnu luttant, les chevaux portent des harnachements de « type Xiongnu ». D’après J. F. So et E. C. Bunker,
Traders and Raiders on China’s Northern Frontier, Seattle and Londres, Arthur M. Sackler Gallery,
Smithsonian Institution in association with the University of Washington Press, 1995, pl. I et no 1, p. 90.
ier-iie siècles 70. Il en va de même d’une autre chaînette, attachée au troussequin, à
laquelle pouvaient être suspendus divers accessoires. C’est là un témoignage
supplémentaire des liens directs de la Bactriane avec le monde des steppes
70. Scythes, fig. 230 à 235 ; I. P. Zasetskaya, « New research on the polychrome animal style », Eurasia
Antiqua 16, 2010, p. 283-300, et bien d’autres exemples en Asie.
38
HENRI-PAUL FRANCFORT
lointaines, déjà observés à Tillya Tépa 71. Le costume du cavalier est tout aussi
digne d’attention. Le personnage est vêtu d’un pantalon serré aux chevilles, comme
toujours dans les steppes, mais son manteau croisé et attaché à la taille par une
ceinture est très long, descendant jusqu’à sa jambe : il s’agit du costume « kouchan »,
en l’occurrence plutôt Yuezhi 72. Il se détache en haut-relief sur un grand tapis de
selle aux côtés arrondis retombant très bas au-dessus du sol. La coiffure du
chasseur, aux longs cheveux tirés en arrière et rassemblés en chignon, se retrouve à
Takht-i Sangin ; c’est celle des steppes orientales, que l’on remarque sur les plaques
de la chasse au sanglier « des Iyrques » 73 (fig. 15). Le lieu de provenance de cette
pièce, Saksanokhur, près de Farkhor (Tadjikistan) et proche d’Aï Khanoum
(Afghanistan), est remarquable car l’on y connaît non seulement le manoir
mentionné ci-dessus, mais aussi d’énormes kourganes « royaux » marquant la
terrasse du Surkh Ab (ou Kyzyl Su). Bien que ceux-ci n’aient pas été fouillés et ne
soient pas encore datés, il est tentant d’y reconnaître un ensemble funéraire proche
d’un site d’habitat et d’un domaine de chasse situé dans les ripisylves (« jungles ») de
la vallée proche du Pandj (Tigrovaja Balka, Darqat). Quoi qu’il en soit, cette plaque
est un exceptionnel témoignage d’art « gréco-steppique » bactrien Saka-Yuezhi : le
cadre d’oves est grec, comme le sont aussi le schéma de composition de la chasse et
le style d’exécution de l’orfèvre. Si la souplesse des postérieurs du cheval et la
torsion de trois-quarts du buste du cavalier lui confèrent un mouvement, une
71. V. Schiltz, « Tillia tepe, la “Colline de l’or”, une nécropole nomade », in Trésors retrouvés, p. 69-79 ;
270-283 ; RoiAnon.
72. KunstMitt, p. 52-53 le manteau est rapproché de celui de la statue de Kaniška de Surkh Kotal,
nous préférons lui comparer ici les tenues des personnages du groupe d’Héraos sur les broderies de
Noin-Ula (NomInst, fig. 12 et notre fig. 53 : le personnage de gauche et le deuxième à droite).
73. KunstMitt, p. 52-53 : « Das aus der Stirne gekämmte, im Nacken zusammengenommene Haar ist
typisch für Männerdarstellungen der Kuschan-Zeit », compare avec pertinence à cet objet les plaques de
chasse de Takht-i Sangin (B. A. Litvinsky, « The Bactrian Ivory Plate with a Hunting Scene from the
Temple of the Oxus », Silk Road Art and Archaeology 7, 2001, p. 137-166 ; TiS III, p. 335-356, fig. 61-64 ;
NomInst, fig. 3 chasse à l’arc au léopard, au mouflon et au lièvre à l’arc, à cheval au galop volant). Les
personnages de la chasse au sanglier à l’arc et à cheval de la plaque en or de l’Ermitage dite à la « chasse des
Iyrques » (Scythes, fig. 178, p. 242-243 et commentaire p. 244-245 ; NomInst, fig. 8) portent donc des
chevelures tirées en arrière et nouées en chignon ; cette observation s’ajoute à celles faites dans NomInst
(p. 1559 et n. 34 et supra, n. 69) où l’on remarquait les affinités Xiongnu des harnachements des chevaux de
ces plaques et où il était proposé d’abaisser leur date ; tous les parallèles ainsi relevés rendent difficile de les
dater très loin du iie-ier siècle av. J.-C. De plus, un passe-bride en or incrusté de Touva montre un chasseur
de sanglier à pied, assisté de son chien, qui plonge son poignard dans le défaut de l’épaule de la bête noire ;
sa coiffure est une fois encore apparemment la même, tirée en arrière et nouée en chignon (N. L. Grach et
A. D. Grach, « Zolotaja kompozicija skifskogo vremeni iz Tuvy », in Central’naja Azija. Novye pamjatniki
pis’mennosti i iskusstva, B. B. Piotrovskij et G. M. Bongard-Levin éd., Moscou, Nauka, 1987, p. 134-148) ; il
a été daté du ive siècle av. J.-C. (?) et renforce les parallèles présentés avec le cœur de l’Asie. Certaines
gravures de Takht-i Sangin et celles d’Orlat montrent des chevelures longues mais dénouées, comme le sont
celles des lutteurs des plaques ajourées Xiongnu de Mongolie et de Chine.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
39
Fig. 17. – Plaque en ivoire gravée de Tilla Bulak (Ouzbékistan),
dessin et cliché, avec l’aimable autorisation de MM. K. Kaniuth et M. Gruber.
animation dans la tradition hellénique, les détails des realia (harnachement,
costume, coiffure) sont néanmoins incontestablement steppiques, de type Xiongnu
ou Yuezhi (?). En ce sens, et bien qu’elle puisse remonter à la fin du iie ou du ier siècle
av. J.-C. (?), elle correspond à l’art gréco-oriental mixte et complexe de Tillya Tépa.
Cet ornement de ceinture, malgré la maladresse des oves de son cadre, manifeste
une belle survivance de l’art des habiles orfèvres hellénistiques gréco-bactriens,
mis au service des nouvelles élites venues de lointaines steppes des confins de la
Chine. Il offre un magnifique complément à l’art de Tillya Tépa, illustrant à la
manière grecque des thèmes et des conceptions mythologiques centrasiatiques 74.
Nous pouvons ainsi le regarder comme une version bactrienne et hellénisée des
plaques de chasse steppiques, celles de Takht-i Sangin ou celles « des Iyrques ».
Une autre plaque de ceinture, en ivoire, celle de Tilla Bulak, illustre quant à elle
un autre aspect saisissant de l’hellénisme en Bactriane et des rapports entre Grecs
et Scythes à cette période : la guerre.
Cette plaque, gravée d’une représentation de bataille (fig. 17), constitue un
document de première importance pour la période qui nous intéresse malgré son
74. P. Bernard, « À propos de l’or des rois anonymes de Tillja-Tepe (problèmes de style et de
connexions) », Abstracta Iranica 10, 1987, p. 68-69 ; RoiAn.
40
HENRI-PAUL FRANCFORT
mauvais état de conservation. Il s’agit de l’une de deux plaques trouvées in situ dans
une tombe (no 3) du site de Tilla Bulak en Ouzbékistan, dans les collines du piémont
ouest de la vallée du Surkhan-Darya, à l’ouest de Sherabad. Elle avait été déposée
dans la sépulture d’un personnage, un guerrier selon toute vraisemblance, inhumé
isolément entre le ier siècle av. J.-C. et le ier siècle apr. J.-C. dans les ruines d’un
établissement plus ancien, daté de l’âge du bronze.
L’objet, réparé dans l’Antiquité après un possible coup d’épée (?), est
rectangulaire (21,5 x 6,3 cm env.), lègèrement rétréci à une extrémité, et bordé par
un motif d’encadrement d’oves et rais de cœur dans une tradition hellénistique du
kymation ionique bien attesté à Takht-i Sangin et Tillya Tépa en Bactriane.
Il montre une bataille entre deux groupes symétriques affrontés de trois cavaliers
galopant que l’on ne distingue pas tous bien malgré une observation et des dessins
très précis. À droite de la plaque, le dernier des trois cavaliers paraît revêtu d’une
armure à écailles et lambrequins ; il tire à l’arc, son goryte accroché au flanc gauche
de sa monture dont la queue semble prise dans un fourreau et la crinière rassemblée
en toupet ; un oriflamme est représenté accroché à la monture. Ces divers éléments
placent le personnage dans la catégorie des représentations de cavaliers « scythes »
ou Saka, comme l’ont bien vu les auteurs de la publication 75. Le deuxième cavalier
est peu visible, mais le premier « is turned towards the viewer in a three quarter
perspective » ; coiffé d’un bonnet de type « phrygien » (ou simplement scythe), il
paraît porter un caftan (ou veste croisée) et lève la main droite « possibly holding
either a whip or a weapon » (ou ne tenant rien, voir infra). Du groupe de gauche, qui
galope vers la droite, le premier cavalier a disparu, le deuxième est peu lisible, mais
il paraît porter un casque rond et une cuirasse (?). Le troisième tire à l’arc en
galopant vers ses adversaires ; il est coiffé d’un casque hémisphérique à rebords
horizontaux et paragnathides de type macédonien ou béotien très bien
reconnaissable. Les comparaisons s’imposent dès lors, non seulement avec la tête
casquée du camée de Tillya Tépa mentionné par les auteurs, mais aussi avec les
effigies monétaires des principicules Pulagides et tous les profils casqués évoqués
plus haut, qui dérivent de monnaies frappées depuis Eucratide. La figure du
75. M. Gruber, J. Ya. Il’yasov et K. Kaniuth, « A Decorated Ivory Belt from Tilla Bulak, Southern
Uzbekistan », Ancient Civilizations from Scythia to Siberia 18, 2012, p. 339-375 ; on peut ajouter à leurs
références des publications qui replacent ces tenues guerrières dans un contexte précis, celui des
Indo-Scythes : O. Bopearachchi et C. Sachs, art. cité (n. 43), p. 321-355 ; Osmund Bopearachchi, An
Indo-Greek and Indo-Scythian Coin Hoard from Bara (Pakistan), Amir Nawaz Khan, 2003 ; M. L. Carter,
« Indo-Scythian Regalia: the Numismatic Evidence », in South Asian Archaeology 2001. Volume II
(Historical Archaeology and Art History), C. Jarrige et V. Lefèvre éd., Paris, Éditions Recherche sur les
Civilisations, 2005, p. 427-435 ; sur les plaques de Takht-i Sangin et d’Orlat : NomInst, p. 1554 s. avec
bibliographie.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
41
portrait équestre casqué pour les représentations de rois grecs au revers est apparue
avec Antimaque II 76, mais le plus saisissant des rapprochements est encore avec les
monnaies d’Hermaios (80-45 av. J.-C.) qui régna dans l’Hindou Kouch. Casqué de
la même manière que le cavalier de Tilla Bulak, il porte son goryte et son arc
accrochés au flanc droit du cheval bondissant et une lance à gauche, sur des
émissions où son portrait figure au droit avec celui de son épouse Calliope 77.
Ce casque a donc été très populaire, non seulement d’Eucratide (170-145 av. J.-C.)
à Amyntas (90-80 av. J.-C.), mais aussi chez d’autres, comme les souverains cavaliers
rappelés ci-dessus, au revers de médailles où ils se font représenter à cheval, en
partie équipés à la mode steppique, avec lance, goryte et arc, mais vêtus à la grecque,
le torse cuirassé mais sans l’armure de cataphractaire. Le Saka cavalier gravé de la
turquoise de Takht-i Sangin, dont le cheval lève le pied et qui porte le goryte à
carquois fixé à droite, appartient lui aussi à ce groupe de représentations, nous le
verrons. Le port affiché de ce casque macédonien-béotien montre toujours un désir
de se présenter comme étant intégré à la tradition grecque. La scène représentée sur
la plaque de Tilla Bulak figurerait donc la confrontation armée d’une troupe
grecque ou hellénisée, casquée et armée d’arcs, et d’une compagnie bien identifiable
de cavaliers-archers scythes ou Saka-Yuezhi. D’autres indices permettent de
préciser la situation. Nous relèverons d’abord qu’il est courant dans les
représentations de batailles que nous connaissons que le vainqueur soit figuré à la
gauche de la composition, se dirigeant ou chargeant vers la droite où sont figurés les
vaincus. Nous l’observons des plus monumentales aux plus petites scènes, depuis
l’époque achéménide 78. À la période hellénistique, cette convention est illustrée par
76. Voir supra p. 22-26 ; RoiAnon, p. 787-784.
77. Voir supra fig. 3 ; rois cavaliers casqués : IndOx, no 76 Antimaque II (entre 162 et 145 av. J.-C.) ;
no 107, p. 137 : Hermaios et Calliope, roi cavalier cuirassé et casqué ; nos 103, 104 : Philoxène (entre 110 et
90 av. J.-C.) diadémé sur un tétradrachme mais ne règne pas en Bactriane ; ensuite Hippostrate à Charsada
et Taxila après Apollodote II (no 112 mais non armé) puis Našten avec diadème mais sans arme. Des
émissions indo-grecques de Ménandre le représentent au droit casqué en buste de dos, brandissant la lance
de la main droite, l’égide sur l’épaule gauche, comme Archébios après lui (90-80 av. J.-C. ; WmetE, cat.
no 27). Une intaille romaine de Boston (MAF no 61. 206) datée de la fin de la République ou du début de
l’Empire représente un cavalier nu coiffé d’un casque dit bactrien, à rebords et paragnathides, mais il n’est
pas possible de savoir si cet objet possède le moindre rapport avec la Bactriane.
78. Poutres de Tatarlı en Turquie, peigne achéménide de Taksai-I au Kazakhstan (S. J. Simpson et
S. V. Pankova éd. Scythians warriors of ancient Siberia, Londres, Thames & Hudson-The British Museum,
2017, no 214, p. 300), nombreux cachets (par exemple : J. Boardman, Greek Gems and Finger Rings. Early
Bronze Age to Late Classical, Londres, Thames & Hudson, 1970, nos 849, 864, 881, 882, 864, 974), que
l’adversaire soit grec ou Saka. Ce n’est pas une règle absolue, mais dans une très grande majorité de cas
(deux ou trois fois plus fréquemment) l’orientation des batailles est figurée de gauche (vainqueurs) à droite
(vaincus). Le pectoral achéménide du Musée Miho représente une telle scène : Paul Bernard et Hajime
Inagaki, « Un torque achéménide avec une inscription grecque au musée Miho (Japon) », Comptes rendus des
Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2000, fasc. IV (nov-déc), p. 1371-1437, où les Perses
42
HENRI-PAUL FRANCFORT
exemple sur le Sarcophage d’Alexandre de Sidon 79, sur la mosaïque d’Alexandre de
Pompéi et bien attestée dans les arts mineurs, depuis les monnaies de Babylone
montrant Alexandre à cheval attaquant Pôros sur son éléphant jusqu’aux
représentations de Nisa et de Takht-i Sangin 80. Un détail de la gravure de Tilla
Bulak est particulièrement significatif. Il s’agit du geste du premier cavalier du
groupe de droite, celui des « Saka » qui, tourné de trois-quarts, lève le bras droit. Ce
geste, qui est justement celui du cavalier des Scythes vaincus et en fuite du pectoral
du Musée Miho 81 et du Saka à pied ornant peigne du kourgane no 6 de Taksai-I au
Kazakhstan 82, fait référence à une tradition iconographique bien établie dans le
domaine oriental de l’art perse puis hellénisé. Cette tradition atteste sur notre
plaque que le groupe hellénisé est vainqueur et les Saka vaincus. Si cette plaque ne
relève pas d’un usage secondaire, butin ou prise de guerre, comme l’est certainement
celle de Taksai-I dans les steppes, nous devons penser qu’elle a été gravée et utilisée
dans un milieu de cavaliers archers gréco-bactriens ou de leurs alliés, descendants
ou successeurs hellénisés, affrontant des Scythes ou Saka-Yuezhi. Le défunt à qui
elle appartenait était armé à la mode scythique comme le montrent les restes des
clous d’un fouet, arme bien connue des cavaliers des steppes dont des tombes de la
vallée de Bishkent ont livré des spécimens. Mais la maçonnerie en brique de sa
sépulture indique son rattachement ou sa proximité avec une communauté
chargeant sont réduits à un fantassin et un cavalier, tout comme les Scythes en fuite. Voir aussi :
H.-P. Francfort, « Pratiques guerrières dans les steppes et les oasis de l’Asie centrale au premier millénaire
av. J.-C. », in Archéologie de la violence et de la guerre dans les sociétés pré et protohistoriques, éd. électronique,
O. Buchsenschutz, O. Dutour et L. Mordant éd., Paris, Éd. du CTHS (Actes des congrès nationaux des
sociétés historiques et scientifiques), 2013, p. 81-98.
79. F. Queyrel, La sculpture hellénistique. Tome 1 : Formes, thèmes et fonctions (Les manuels d’art et
d’archéologie antiques), Paris, Picard, 2016, p. 70-74 et p. 341 (mais pas sur les frontons).
80. Plaque de Takht-i Sangin dite « d’Alexandre chargeant les Perses » : B. A. Litvinskij et
I. R. Pichikjan, « Aleksandr makedonskij srazhaet Persov (dalekoe ekho Sidinskogo sarkofaga v khrame
Oksa - Severnoj Baktrii) », Atti della Accademia Nazionale dei Lincei. Rendiconti. Serie IX VIII, 1, 1997,
p. 5-18, puis : TiS III, fig. 27) ; composition en bronze de Nisa : V. N. Pilipko, Staraja Nisa. Osnovye itogi
arkheologicheskogo izuchenija v sovetskij period, Moscou, Nauka, 2001, fig. 231 ; ibid., fig. 195 la peinture
murale de Nisa qui représente une grande scène de bataille, malgré un Scythe ou Parthe qui semble fuir vers
la gauche en s’abritant sous son bouclier d’une volée de flèches (pl. VI.3) ; voir aussi : V. N. Pilipko, « On the
wall-paintings from the tower-building of Old Nisa », Parthica 2, 2000, p. 69-86.
81. Paul Bernard et Hajime Inagaki, op. cit. (n. 78), p. 1371-1437 : ce geste se rencontre fig. 22, sur le
scaraboïde no 882 du répertoire de J. Boardman ; il se retrouve sur la mosaïque d’Alexandre de Naples, où
Darius Il s’enfuit, ou sur les peintures des vases apuliens des environs de 330 (p. 1415-1416) ; il serait un
réflexe d’épouvante ou de supplication. On peut le prendre aussi pour une convention artistique destinée à
montrer la défaite, la reddition, d’origine achéménide et reprise par les Grecs.
82. L. Summerer et Y. Lukpanova, in Scythians warriors of ancient Siberia, S. J. Simpson et
S. V. Pankova éd., Londres, Thames & Hudson/The British Museum, 2017, no 214, p. 300 : peigne en bois
de Taksai-I, tbe 6 ; un Scythe démonté et désarmé lève la main droite face à la charge d’un archer perse
monté sur un char conduit par un cocher.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
43
sédentaire bactrienne (ici le site de Dabilkurgan tout proche). La date de la plaque
(ier s. av. J.-C.-ier s. apr. J.-C.) a été déterminée après une étude comparative serrée,
notamment avec celles de Saksanokhur, Takht-i Sangin et Orlat, représentant des
scènes de chasse et une bataille (Orlat), ainsi qu’avec une plaque du cimetière de
Tulkhar (vallée de Bishkent), aniconique mais de forme et de dimensions analogues
(c. 21,5 x 6,3 cm). Enfin, l’ivoire de la plaque a été daté au radiocarbone de la
période protohistorique (2561-2149 cal. av. J.-C.) ce qui montrerait selon les auteurs
de l’étude qu’il aurait pu soit arriver sur les rives de l’Oxus avec des colons ou des
marchands de la civilisation de l’Indus, soit être apporté dans l’Antiquité avec des
marchands gandhāriens ou des soldats gréco-bactriens. On pourrait imaginer
encore que le guerrier de Tilla Bulak ait pu guerroyer dans les Paropamisades ou
dans l’Inde du nord-ouest avec une armée ou l’autre, ou acquérir cette plaque à la
guerre sur un ennemi hellénisé venu de ces contrées, ou sur un gréco-bactrien, les
scénarios envisageables étant multiples. L’important, cependant, est la manière de
représenter des « Grecs » vainqueurs de « Scythes » sur une plaque de ceinture
(accessoire vestimentaire « scythe »), d’époque Saka-Yuezhi, dont le décor, encadré
d’oves et de rais de cœur, est « grec ». Témoignage d’un hellénisme pâlissant,
hybride ou luttant à armes égales en Bactriane avec les peuples des steppes, cette
plaque montre une relation antagoniste, entre des groupes identifiables, vers les
ier siècle av. J.-C.-ier siècle apr. J.-C., mais différente de celle de Saksanokhur où un
artiste hellénisé est placé au service d’un maître de culture steppique. D’autres
œuvres bactriennes de cette période renforcent ce point de vue nuancé sur un art
plus complexe que la simple dichotomie grec/non-grec.
À Takht-i Sangin, situé au Tadjikistan à une centaine de kilomètres en aval de
Saksanokhur au confluent du Vakhsh et de l’Amou Darya, quelques œuvres
hellénisées d’époque Saka-Yuezhi peuvent être aussi relevées. Le sanctuaire bien
connu de la divinité de l’Oxus dans le sud du Tadjikistan, s’élevait sur la rive du
Pandj, il a été fouillé durant de nombreuses années et largement publié. Il recélait
un nombre important d’objets rattachés au monde hellénique et à son art, celui des
Séleucides et des Gréco-Bactriens. Son occupation continue jusqu’à la période
kouchane et l’abondance des trouvailles, malgré des bouleversements et des pillages
au cours des âges, méritent de retenir notre attention. En effet, la période
Saka-Yuezhi y est représentée, mais elle est très délicate à isoler dans l’architecture
et la stratigraphie où, avec des artefacts achéménidisants (pierre, ivoire, bronze) ou
indianisants (ivoire gravé), l’on rencontre des œuvres hellénisées variées sinon
disparates. Bien que notre période ait été ignorée dans les publications de Takht-i
Sangin au point de n’y jamais figurer comme une catégorie, elle peut parfois
apparaître dans des objets qui ont été attribués aux époques achéménide,
hellénistique ou kouchane. Nous en proposons une liste succincte.
44
HENRI-PAUL FRANCFORT
On relève ainsi le médaillon à la tête casquée Saka-Yuezhi mentionné plus
haut, à panache et paragnathides, dont l’art s’écarte nettement de celui des frappes
d’Eucratide mais correspond aux imitations de ses monnaies et à la plaque de Tilla
Bulak 83 (fig. 18) ; un disque de bronze à face féminine dite « de Gorgone » trouve un
très étroit parallèle dans une plaque gandhārienne du Metropolitan Museum de
New York réputée provenir de Charsada 84 ; un bouton passe-bride à panthères de
type steppique 85 ; deux plaques d’ivoire à représentations de chasse, gravées dans
un style d’art des steppes, que les contextes et les parallèles incitent à attribuer au
ier siècle 86. Une plaque de bronze circulaire montre un personnage barbu en tenue
« steppique », pantalon et veste croisée ceinturée à galon sur les revers, tenant deux
chevaux réduits à des protomes : le style animé aussi bien que le costume et les
protomes, comme la forme discoïdale de l’objet, indiquent la période Saka-Yuezhi 87
(fig. 19). Un sceau en turquoise représentant un cavalier dont le goryte et l’arc sont
placés derrière la selle serait certainement bien à sa place parmi les représentations
83. Supra, n. 47, Musée national de Douchambé, Tadjikistan, inv. 1247/2539, diam. 2,6 cm.
L’entourage maladroit de perles et pirouettes fait songer à un médaillon de bronze de Mir-Zakah-1 plus
qu’aux disques d’Hārītī ou Ardoxšo que nous verrons ci-dessous.
84. Takht-i Sangin : Musée national de Douchambé, Tadjikistan, inv. TS 2043/1091, diam. 5,5 cm ;
New York : no 1987.142.280 a, b ; TiS III, p. 171-175, Ill. 26, pris pour un gorgoneion, il est daté des
iv-iiie siècles av. J.-C., certainement trop tôt (Öffnung no 256, p. 362, le date du iie-ier s. av. J.-C.). La même
relation se constate entre une anse gréco-bactrienne à bustes féminins du début du iie siècle av. J.-C. (?)
(AHE, no 45), et une anse en bronze d’Aï Khanoum (H.-P. Francfort, op. cit. [n. 50], p. 56-57, pl. 20, no 27,
avec des parallèles parmi lesquels figure une anse de Charsada et d’autres). L’anse de Charsada est plus
probablement une fabrication locale indo-grecque qu’une importation syrienne du iiie siècle apr. J.-C.,
comme le pensait jadis Coarelli (« The Bronze Handles of Chârsada », East and West, 1966, p. 94-108).
85. Musée National de Douchambé, Tadjikistan, inv. 1108/1091, diam. 2,9, h. 2,2 cm : TiS III,
p. 272-275, ill. 27, suit A. Alekseev et date des ier siècle av. J.-C.-ier siècle apr. J.-C. à juste titre ; DrevTaj
no 220 date des iiie-iie siècles av. J.-C. ; il s’agit d’un passe-bride ou d’une attache de courroie, d’un modèle
bien connu dans les steppes, à l’époque pré-kouchane ; le trésor no IV de Malibu et Tillya Tépa, entre
autres, en ont livré des exemplaires proches dans le temps et l’espace.
86. Musée national de Douchambé, Tadjikistan, inv. ?, 21,3 x 6, 2 cm ; TiS III, p. 335-356, fig. 61-64,
date du iiie siècle apr. J.-C., mais voir aussi NomInst, p. 1553-1554 et fig. 3, avec les références et les
arguments, partagés par également J. Ilyasov, pour une date au ier siècle.
87. Musée national de Douchambé, Tadjikistan, inv. ?, diam. 4,1 cm ; TiS III, p. 176-178, fig. 25 ;
DrevTaj, no 2i9, p. 95 (ill. N&B) et ill. couleur p. 78, datent cette pièce de l’époque achéménide, mais nous
pensons plutôt au ier siècle av. ou apr. J.-C. ; des comparaisons avec des scènes animées représentant des
Scythes et leurs chevaux dans l’art gréco-scythe européen vers la mer Noire (Tolstaya Mogila ou
Chertomlyk, ive s. av. J.-C.) ne permettent pas totalement d’exclure une datation plus haute au iiie siècle.
Toutefois, les protomes de chevaux sont plutôt répandus à notre époque dans l’Asie centrale steppique, ce
qui va dans le sens d’une date Saka-Yuezhi (sur les protomes de chevaux : RoiAn, p. 287-288). Une figurine
anthropomorphique de « guerrier tokharien ou kouchan » de Regar (Hissar) évoque le personnage de notre
disque par sa tenue et sa posture tandis que sa coiffe est analogue à celle du personnage trônant du médaillon
de Khalchayan, du ier siècle (fig. 12) : N. Negmatov, « Terrakotovaya statuetka vojna iz regarskogo rajona »,
Arkheologicheskie Raboty v Tadzhikistane X, 1970 [1973], p. 291-293, pl. 8.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
Fig. 18. – Takht-i Sangin
(Tadjikistan). Tête casquée :
d’après TiS III, fig. 41.
45
Fig. 19. – Takht-i Sangin (Tadjikistan). Rondelle
de bronze à personnage en costume scythe et
protomes de chevaux. Cliché de l’auteur.
Fig. 20. – Takht-i Sangin
(Tadjikistan). Cachet en
turquoise à cavalier.
D’après DrevTaj, no 216, p. 94.
de rois cavaliers de l’époque Saka-Yuezhi 88 (fig. 20). Se pose enfin la question de
l’origine de la fonte, soit steppique et peut-être d’origine chinoise, soit grecque, de
88. Musée national de Douchambé, Tadjikistan, inv. ?, 1,25 x 0,95 cm ; TiS III, p. 145-150 ;
B. A. Litvinskij, « A Golden Ring with a Horseman Incised on its Turquoise », Parthica 2, 2000, p. 125-130,
fig. 1-2, p. 127, l’attribue à la période achéménide, mais la pose du cheval, la chevelure du cavalier (des
rubans ?), le goryte sur lequel un carquois est fixé (sur cette particularité qui se retrouve du Xinjiang à
Palmyre, voir : RoiAn, p. 312-314, n. 168 et fig. 33 à 38), l’arc à extrémité en crochet (comme sur les
monnaies d’Hermaios et Calliope : IndOx, no 107 b), ainsi que la veste à revers ne laissent guère de doute, il
appartient bien à notre période.
46
HENRI-PAUL FRANCFORT
grands cratères de bronze dans le sanctuaire de l’Oxus à cette époque et de l’origine
de cette technique 89 ; les fragments de grands moules découverts brisés (diam.
105-110 cm) portent des inscriptions en grec (lettres quadrangulaires), mais d’une
onomastique non-grecque, et mentionnent un « garde des sceaux », personnage
important qui dédie à l’Oxus un cratère de sept talents (180 kg). Le contexe
archéologique 90 et les analyses paléographiques et linguistiques 91 se réfèrent à notre
période, probablement pas avant les dernières décennies du iie siècle av. J.-C., ou
89. N. Boroffka et J. Mei, « Rasprostranenie tekhnologij v central’noj Azii : vzaimoproniknovenie
kitajskoj, grecheskoj i skifo-sakskoj tradicij metalloobrabotki », V. D. I. 4, 2011, p. 49-76 (= N. Boroffka et
J. Mei, « Technologietransfer in Mittelasien – chinesische, griechische und skytho-sakische Interaktion in
der Gusstechnik », in Zwischen Ost und West. Neue Forschungen zul antiken Zentralasien. Wissenschaftliches
Kolloquium 30.9-2.10.2009 in Mannheim (Archäologie in Iran und Turan, 14), G. Lindström et alii éd.
Darmstadt, Verlag Philipp von Zabern, 2013, p. 143-170) ; S. V. Demidenko, « Kotly tipa “Takhti-SanginBarmashino”: k probleme vzajmoproniknovenija tradicij metalloobrabotki v central’noj Azii », Rossijskaja
Arkheologija 4, 2014, p. 75-88.
90. Ces débris de moules proviennent d’une couche de rejet postérieure à celle d’une monnaie
d’Hélioclès, trouvée dans un comblement de puits, et qui contenait aussi de la céramique de l’époque dite
des migrations (vase tripode, gobelet à piédouche, etc.) ; voir la discusion de P. Bernard (« Le sanctuaire du
dieu Oxus à Takht-i Sangin au Tadjikistan, ou l’esprit de l’escalier », in V. Schiltz éd., op. cit. [n. 35],
p. 53-70). Des datations au radiocarbone ont été publiées : Y. Kuvabara, « Rezul’taty radiouglerodnogo
analiza (14C) obrazcov iz raskopov na gorodishche Takhti Sangin », Arkheologicheskie Raboty v
Tadzhikistane XXXIV, 2010, p. 217-225 : couche de la fonte ; le matériel provient des fouilles 17 (complexe
supérieur du quart SE de la fouille) et 18 (de la couche du moule), il est daté entre le dernier quart du
iiie siècle av. J.-C. et la seconde moitié du ier siècle av. J.-C., soit 213 à 38 av. J.-C. ; voir : S. B. Bolelov,
« Zametki o baktrijskoj keramike (k voprosu o datirovke litejnoj formy bronzovogo kotla iz khrama Oksa,
Takhti-Sangin) », Ross. Arkh. 4, 2014, p. 64-74. Ces dates très larges sont sans contradiction avec les
publications des inscriptions qui s’accordent pour ne pas faire remonter ces couches plus tôt que le deuxième
quart du iie siècle av. J.-C. Sur les problèmes posés par la période fin hellénistique et début kouchane sur ce
site, voir aussi I. R. Pichikjan et A. P. Kerzum, « Takhti Sangin. Altarno-bashennogo pomeshchenie », in
Uchenye zapiski Komissii po izucheniju pamjatnikov civilizacii derevnego i sredevekovogo Vostoka. Arkheologicheskie istochniki, G. A. Koshelenko et S. A. Uzjanov éd., Moscou, Nauka, 1989, p. 177-184, et les
importantes remarques de P. Bernard dans Abst. Ir., 13, 1990, nos 42, 46 et 47.
91. Épigraphie du moule du cratère (mais plusieurs ont été coulés) : A. Drujinina, « Gussform mit
griechischer Inschrift aus dem Oxos-Tempel », Archäologische Mitteilungen aus Iran und Turan 40, 2008,
p. 121-136 (fin iiie à deuxième quart du iie s. av. J.-C.) ; G. Rougemont, IGIAC, no 96 bis, p. 274-276, avec
des remarques sur la date par P. Bernard (vers 50 apr. J.-C.) ; A. Ivantchik, « Neue griechische Inschriften
aus Tacht-i Sangin und das Problem des Entstehung der baktrischen Schriftlichkeit », in Zwischen Ost und
West. Neue Forschungen zul antiken Zentralasien. Wissenschaftliches Kolloquium 30.9-2.10.2009 in Mannheim
(Archäologie in Iran und Turan, vol. 14), G. Lindström et alii éd., Darmstadt, Verlag Philipp von Zabern,
2013, p. 125-42 (date comme A. Drujinina) ; A. S. Balakhvancev, « Novaja nadpis’ iz Takhti-Sangina i
nekotorye problemy vostochnogo ellinizma », Ross. Arkh. 4, 2014, p. 89-96 (2e moitié du ier s. apr. J.-C.) ;
Marina Veksina, « Zur Datierung der neuen Weihinschrift aus dem Oxos-Tempel », Zeitschrift für
Papyrologie und Epigraphik, 2012, p. 108-116 (après le milieu du iie s. av. J.-C.) ; Id., « Sprachliche
Untersuchungen zur neuen griechischen Weihinschrift aus dem Oxos-Tempel », Glotta (Göttingen) 90,
1-4, 2014, p. 216-240. Ces auteurs proposent aussi d’importantes réflexions sur les transformations du grec
en Bactriane jusque sous Kouchans. En tout état de cause, la fabrication du moule, les fontes (l’une a
apparemment échoué) et le rejet des débris dans un remblai ne sortent pas de notre période.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
47
Fig. 21. – Takht-i Sangin (Tadjikistan).
Appliques de bronze doré aux amours vendangeurs. Cliché aimablement
communiqué par G. Lindström, Deutsches Archäologisches Institut.
quelque temps plus tard dans le ier siècle apr. J.-C. Cette découverte est capitale
pour l’histoire de l’hellénisme en Bactriane à cette époque durant laquelle, après les
migrations Saka-Yuezhi, des populations hellénisées rendaient toujours un culte à
une très grande et très ancienne divinité locale, l’Oxus.
À Takht-i Sangin, le monde gréco-romain semble apparaître nettement au
temple de l’Oxus, avec des éléments d’incrustation ou de placage de décor
ornemental aux Amours vendangeurs 92 (fig. 21). Il s’agit d’un lot de plaquettes
en bronze doré découpé et incisé représentant des Érotes ailés nus visiblement
engagés dans une scène champêtre viticole. L’un brandit une grappe et deux autres
lèvent les mains, comme dans un geste de cueillette de raisin, deux grappes isolées
ont aussi été recueillies. Un quatrième, assis, joue de la lyre. À ce groupe s’ajoutent
92. Érotes bactriens : Musée national de Douchambé, Tadjikistan, douze éléments, inv. ?, de 1,5 à
6,4 cm, ép. 0,5 à 2 mm ; TiS III, p. 298-335, ill. 24, fig. 52-60. Ils ont été découverts en deux lots, séparés
par des remaniements, l’un, le plus profond, près de la plaque d’un côté de larnax de 47 cm qu’ils pouvaient
orner. Après avoir d’abord proposé le ier siècle (B. A. Litvinskij et I. R. Pichikjan, « Kushanskie eroty »,
V. D. I. 2, 1979, p. 89-109), l’auteur les date des ii-iiie siècles apr. J.-C. (B. A. Litvinsky, « Bronze Appliqués
of Erotes from the Temple of the Oxus. The Question of their Dating in the Light of Connections between
Rome and Central Asia », Journal of Inner Asian Art and Archaeology 1/1, 2006, p. 85-88). Cette datation
tardive n’est pas convaincante, notamment le parallèle avec l’Ariadnetablett datant du règne de l’empereur
Constance.
48
HENRI-PAUL FRANCFORT
deux petites figures féminines ailées, en chiton et himation ceinturé haut sur la
poitrine (Psychè probablement). L’une tend la main vers une grappe ou une fleur,
l’autre, fragmentaire et très schématique, est vue de face. Deux calices floraux et
deux fragments d’oiseaux complètent ces découvertes. Cet ensemble rappelle des
incrustations en ivoire ou en os découvertes à Nisa, représentant des grappes de
raisin, des feuilles de vigne, des faces barbues de Silène, des personnages non
identifiables (Dionysos ?) ainsi que des fleurs, des ornements géométriques, et
d’autres motifs encore 93. Cependant, les figures de Takht-i Sangin – si maladroite
leur exécution soit-elle, parmi de nombreuses compositions d’Amours vendangeurs
et musiciens liricines dans un cadre champêtre (oiseaux, fleurs, vignes) du monde
gréco-romain – rappellent avant tout le « gobelet aux Amours vendangeurs »
d’Alexandrie (daté du ier s.) 94 et le « vase bleu » de Pompéi (daté avant 79) 95.
Le parallèle ne se limite pas aux seuls éléments des compositions, mais il s’étend
aussi à la morphologie des Érotes potelés qui n’est pas différente sur ces pièces de
celle des exemples centrasiatiques, comparable mutatis mutandis malgré des
approximations, des maladresses et un certain provincialisme, aux splendides
réalisations du ciseleur alexandrin ou du créateur du verre-camée de Pompéi 96.
Une petite figurine d’ivoire en relief du même Takht-i Sangin représente un Éros
ailé marchant d’un air décidé, une corbeille sans doute chargée de raisin sur son
épaule gauche 97. Il est donc opportun de rappeler aussi ici le « skyphos aux Amours »
93. V. N. Pilipko, op. cit. (n. 80), p. 323-324, fig. 241, photographie d’après les archives de la mission,
en ivoire ou os, ces fragments du « Trésor » de la Salle carrée, selon G. Pugachenkova, ne viennent pas
nécessairement d’un seul objet.
94. A. Adriani, Le gobelet en argent des Amours vendangeurs du Musée d’Alexandrie, Société Royale
d’archéologie d’Alexandrie, Cahier no 1, Paris, Société des Publications égyptiennes, 1939 ; Jean-Yves
Empereur, Alexandrie : redécouverte, Fayard, 1998, p. 217, ier siècle.
95. Malgré les nombreuses représentations des sarcophages romains, nous nous tournons vers le Vase
bleu de Pompéi (h. 31 cm) avec ses treilles, ses putti vendangeurs et musiciens ; voir aussi R. Stuveras, Le
putto dans l’art romain (Latomus, XCIX), Bruxelles, 1969. En Asie, les Amours sont surtout guirlandophores
(PeintMiran, p. 23-64) mais aussi parfois vendangeurs, voir ainsi : calice de Datong (F. Baratte, « De la
Méditerranée à la Chine : Dionysos, Héraklès et les autres dans les profondeurs de l’Asie, au miroir de la
vaisselle d’argent », in La Grèce dans les profondeurs de l’Asie [Cahiers de la Villa « Kérylos », 27], J. Jouanna,
V. Schiltz et M. Zink éd., Paris, AIBL, 2016, p. 257-287, p. 265) propose une production centrasiatique
d’inspiration méditerranéenne et doute de la date très basse de Marshak (J. C. Y. Watt éd., China. Dawn of
a Golden Age, 200-750 AD, New Haven-Londres, The Metropolitan Museum of Art [New York], Yale
University Press, 2004, no 59 : ive s. apr. J.-C.) ; Carter (M. L. Carter, « A Note on Metalwork from the
Hellenistic East », Bulletin of the Asia Institute 9, 1995, p. 257-266) : ier-iie siècle apr. J.-C. ; Boardman
(GrAs : fig. 65) : ier-iie siècle apr. J.-C. ?
96. Öffnung, no 258, les date des ier-iie siècles apr. J.-C. Cette proposition n’est pas déraisonnable, mais
j’incline vers le ier siècle.
97. Sans doute aussi un décor de coffre : Musée national de Douchambé, Tadjikistan, inv. 4137/1091,
h. 3 cm ;TiS III, p. 299, ill. 24 (dit kouchan) = Öffnung, no 241 : daté des ier-iie siècles apr. J.-C.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
49
du « Trésor de Buner », attribuable vraisemblablement « à un orfèvre certes tout à
fait au courant des productions de l’orfèvrerie romaine, mais travaillant quelque
part en Asie centrale » 98. Tous ces Amours vendangeurs semblent décidément
appartenir au ier siècle plutôt qu’à la fin du iie ou au iiie 99. Ces décors de Takht-i
Sangin, comme celui de Nisa 100, s’inscrivent dans une iconographie de scènes
champêtres, mythologiques et vinicoles, répandue au ier siècle dans le monde
méditerranéen gréco-romain et bien au-delà.
Bien que l’on puisse proposer d’ajouter d’autres antiquités de Takht-i Sangin
à celles que nous venons de passer en revue pour la période qui nous intéresse,
passée largement inaperçue jusqu’ici, nous ne pousserons pas plus loin ici l’analyse,
leurs caractéristiques étant insuffisantes pour lever tous les doutes. En revanche,
des trouvailles fortuites apparues de la Bactriane aux frontières afghano-pakistanaises, les « trésors », comprennent des objets pouvant être attribués à la période qui
nous occupe.
Autres trouvailles, les « trésors »
Les relations du monde gréco-romain avec l’Orient hellénisé de l’Asie centrale
au nord-ouest de l’Inde paraissent toujours actives au cours de ces âges dits
« obscurs », malgré les incertitudes de certaines des datations, entre le milieu du
98. F. Baratte, « Orient et Occident : le témoignage d’une trouvaille d’argenterie d’époque parthe en
Asie centrale », Journal des Savants, 2001, p. 271-275, fig. 10 et 11, avec des parallèles éclairants, notamment
avec un fragment d’une collection particulière provenant de la même coupe (fig. 12 : Crossroads, no 98, p. 95
et pl. p. 21). Les scènes rustiques de ces pièces sont apparemment pour l’instant les seuls exemples de
paysages « sacro-idylliques » de notre domaine, avec le gobelet d’un trésor (Crossroads, no 97 = GrAs,
fig. 101, p. 159). Il faut ajouter maintenant à la série « augustéenne » d’Asie centrale une coupe ovoïde de la
coll. Al-Sabah publiée (AHE, no 71) avec des commentaires sur les relations avec le monde romain à la
période indo-parthe de la fin du ier siècle av. J.-C. au ier siècle apr. J.-C. (p. 254-257). Il n’est pas possible
d’indiquer un milieu artistique parthe plutôt que centrasiatique en l’état actuel des connaissances.
99. Aucune des trouvailles assignées à l’époque kouchane dans la publication du site (TiS III, p. 273 s.)
ne peut être attribuée à cette période sans que de sérieux doutes ne subsistent. Nous ne pouvons discuter ici
toutes les attributions proposées par B. Litvinskij et I. Pichikyan, qui ont dû se résoudre à dater les
découvertes par le style, les niveaux de l’époque kouchane de Takht-i Sangin étant très problématiques,
quasiment inconnus ou non publiés pour ceux du sanctaire fortifié entourant le temple proprement dit (voir
les analyses approfondies de P. Bernard, op. cit. [n. 90] ; Id., « Le temple du dieu Oxus à Takht-i Sangin en
Bactriane : temple du feu ou pas ? », Studia Iranica 23, 1994, p. 81-121). Après les fouilles de 1983 à 1996
(B. Litvinskij et I. Pichik’jan), les travaux des années 2000 à 2008 (A. Drujinina et H. Inagaki), d’ampleur
limitée, n’ont porté que sur des niveaux gréco-bactriens à Saka-Yuezhi ou sur l’habitat dans la cité autour
du sanctuaire qui n’ont rien révélé de kouchan.
100. Ajoutons qu’une figurine en argent doré de ce site représente un Éros ailé levant les mains, datée
du iie siècle. av. J.-C. (G. A. Koshelenko, Rodina Parfjan, Moscou, 1977, fig. 48-50, p. 115-118 ; V. N. Pilipko,
op. cit. [n. 80], fig. 232).
50
HENRI-PAUL FRANCFORT
iie siècle av. J.-C. et la fin du ier siècle apr. J.-C. Certains bijoux issus de tombes de
Tillya Tépa et un objet exceptionnel, l’étonnante « coupe al-Sabah », permettent de
mieux définir les termes de la question de l’hellénisme en Bactriane à cette époque
(fig. 22).
De rares et très caractéristiques ornements de Tillya Tépa du ier siècle se
présentent comme une série de médaillons en or faits de quatre ou cinq cœurs de
turquoise disposés en quatre-feuilles rythmés en alternance par des séparateurs en
forme de demi-cercles ou de parenthèses 101 (fig. 23). Le motif cordiforme est
abondamment utilisé dans l’ornementation à Tillya Tépa 102, et l’étude de
M. Treister mentionnée ci-dessus, qui présente une synthèse des bijoux incrustés
et cloisonnés en tenant compte de ceux des nécropoles du sud du Tadjikistan et de
Tillya Tépa, établit qu’ils apparaissent aux ier-iie siècles apr. J.-C. Or, le décor de
quatre-feuilles et séparateurs en parenthèse de Tillya Tépa trouve un analogue
exact dans celui d’un bandeau ornemental très particulier entourant le portrait en
buste de l’emblèma d’une large et profonde coupe de la collection al-Sabah, datée du
« late third to mid-second century BCE » 103. Le problème se pose donc de l’écart
chronologique d’un siècle au moins entre ces décors si singuliers. En effet, soit les
bijoux de Tillya Tépa sont anciens, d’époque gréco-bactrienne, et ils sont réutilisés
plus tardivement 104, soit la tradition d’orfèvrerie de la fin iiie-iie siècle av. J.-C. s’est
maintenue jusqu’au ier siècle apr. J.-C. en Bactriane, au moins pour ce qui concerne
les éléments décoratifs considérés (quatre-feuilles et parenthèses) ; soit la coupe
101. V. Schiltz, « Tillia tepe, la “Colline de l’or”, une nécropole nomade », in Trésors retrouvés, no 145,
tbe VI et no 73, tbe II ; cet agencement, dont des exemples se retrouvent dans les parures no 72 et le collier
no 129 de Tillya Tépa, a bien été vu par V. Schiltz qui l’a très justement rapproché d’une variante de la
tombe V (no 129) et de ceux de Sirkap à Taxila : « une succession d’éléments circulaires que vient enserrer la
courbure de doubles croissants », Taxila III, pl. 193, nos 56 à 58).
102. V. Schiltz, « Le cœur et le lierre, une expression du pouvoir à Tillia Tépa », in Orientalismes. De
l’archéologie au musée. Mélanges offerts à Jean-François Jarrige, V. Lefèvre éd.,Turnhout, Brepols
(Indicopleustoi), 2012, p. 335-353, p. 343, n. 32 : avec de fines remarques sur Tillya Tepe et sur les
cordiformes en pâte de verre incrustée dans l’or d’une fleur d’un bijou dans laquelle s’étend un Éros de
Sirkap « cette ville où avait trouvé refuge ce qui restait du royaume gréco-bactrien... ».
103. Carter, AHE, p. 146-149 (inv. LNS 1235 M ; cat. no 29, diam. 27,3 cm ; haut. 11,2 cm ; diam. de
l’emblèma 16,5 cm), le drapé et l’agrafage de la chlamyde seraient caractéristiques de la Bactriane ; si c’est
effectivement le cas, l’objet serait d’origine locale, mais l’orfèvre peut aussi bien être bactrien que de
n’importe où en Orient hellénisé. Le cordon de l’attache de la fibule de la chlamyde qui ondule sur l’épaule
du roi se retrouve sur des effigies monétaires d’Agathocle (WmetE, cat. no 16) et d’Hélioclès (WmetE,
cat. no 21).
104. C’est par exemple le cas de l’intaille au griffon en chalcédoine de la tombe no 5, qui remonte au
ive siècle et voisine avec un sceau du ier siècle en malachite représentant une Niké ailée brandissant une
couronne (Trésors retrouvés nos 132 et 133, p. 205). Cependant les trois occurrences de ce décor rencontrées à
Tillya Tépa ajoutées à celles de Sirkap excluent pratiquement qu’il s’agisse d’utilisations tardives de parures
vieilles de plus d’un siècle.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
51
Fig. 22. – Coupe à emblèma.
Collection al-Sabah. Inv. LNS 1235 M.
© The al-Sabah Collection,
Dar al-Athar al-Islamiyyah, Koweït.
Diam. : 27,2 cm.
Fig. 23. – Tillya Tépa (Afghanistan). Éléments
de parure à quatre-feuilles cordiformes
de demi-cercles en or et turquoise. D’après P. Cambon
et J.-F. Jarrige éd., Afghanistan, les trésors retrouvés.
Collections du musée national de Kaboul, Paris,
RMN, 2006, no 145 (tombe no VI).
al-Sabah est de fabrication plus récente et sa date doit être abaissée jusqu’aux
environs du ier siècle de notre ère. Il est très difficile de lever l’incertitude et d’opter
avec de bons arguments pour l’une plutôt que l’autre solution. On a pu proposer de
reconnaître Euthydème Ier dans le portrait du buste, bien qu’il ne porte aucun
insigne de royauté, ce qui est aussi le cas de l’imago clipeata d’Auguste du musée de
Toledo, à laquelle M. Carter compare le buste bactrien 105. La coupe al-Sabah
pourrait-elle être datée de l’époque julio-claudienne ? À condition que ce bandeau
n’ait pas été ajouté seul à la coupe au ier siècle 106, cela résoudrait en partie la question
du hiatus dans la tradition d’orfèvrerie hellénique en Bactriane (?) en nous plaçant
à une période postérieure au pouvoir gréco-bactrien, dans une sorte de
« renaissance » de l’hellénisme dans l’art vers le début de notre ère. N’oublions pas
que des orfèvres pouvaient voyager. Un argument supplémentaire en faveur d’une
datation des environs de notre ère, sinon du ier siècle, est donné par les pétales
cordiformes des quatre-feuilles, qui sont réalisés en pâte de verre coloré, une
technique qui se répand à la fin de la période hellénistique et au début de l’époque
impériale 107. Cette observation ouvre une nouvelle fois sur des liens possibles avec
le monde gréco-romain d’Auguste à Néron au moins, à l’époque Saka-Yuezhi,
d’Héraos et de de Kujula Kadphisès. Sans aller jusqu’à proposer que ce portrait
anonyme puisse être celui de Kujula Kadphisès, ce que rien n’indique, il reste
105. AHE, fig. 2.14, p. 149.
106. Ainsi une phiale achéménidisante de la coll. al-Sabah (AHE, no 58), datée des ive-iiie siècles av.
J.-C., a reçu un décor hellénisé au iie-ier siècle av. J.-C.
107. M. Treister, op. cit. (n. 59), p. 189-219, fig. 1, 9-10, Artyukhov region du Pont (fin hellénistique,
début romain) ; fig. 5, 1-6 pour Tillya Tépa.
52
HENRI-PAUL FRANCFORT
possible de soulever la question d’une date et d’une identification postérieures aux
Gréco-Bactriens, éventuellement entre le ier siècle av. J.-C. et le ier siècle apr. J.-C.
Une telle suggestion ne heurte ni le style, ni ce que nous savons de l’art du portrait,
de celui de l’ornement, ou des rapports avec le monde méditerranéen. Nous le
verrons encore ci-dessous.
Une partie importante de la vaisselle de luxe, orfèvrerie et toreutique, y
compris inscrite, que nous connaissons pour être censée provenir de notre région à
cette époque, est issue de trouvailles faites hors des fouilles scientifiques officielles,
ce sont les « trésors ». Rarissime dans les fouilles, cette vaisselle est apparue depuis
plusieurs années et les musées, publics ou privés, en ont fait l’acquisition pour
enrichir leurs collections. Il ne peut être question d’en donner ici une étude même
sommaire, mais certaines pièces (ou certains lots) pourraient être rattachées à notre
période, entre la fin des Gréco-Bactriens et le début des Grands Kouchans. C’est le
cas d’un premier ensemble d’objets dits « parthes », qui comprend des œuvres
inscrites, supposées provenir de la région de la frontière afghano-pakistanaise 108.
Un deuxième ensemble, peut-être originaire des mêmes régions, inclut des pièces
inscrites, en grec et en kharoṣṭhī 109. Un troisième, au Getty Museum, est publié
dans un chapitre d’ouvrage ; il rassemble des pièces hellénistiques et d’autres
steppiques, paraissant assez proches de certaines de Tillya Tépa 110. D’autres
trouvailles supposées provenir des mêmes regions frontières sont conservées au
108. Nombreux objets dans ce « trésor », excellemment publié par F. Baratte (op. cit. [n. 98], p. 249-307 ;
H. Falk, « Annexe: Names and weights inscribed on some vessels from the silver hoard », Journal des
Savants, 2001, p. 308-319) ; voir aussi : J. Boardman, GrAs, p. 159 et n. 359-360, à propos d’un exceptionnelle
coupe à scène théâtrale avec Dionysos, Déméter, Érotes, masques et paysage sacro-idyllique (fig. 101),
ier siècle av. J.-C. ; Id., in Crossroads, no 97 (Dionysos, Érotes, masques), et no 98 (scène à Érotes, masques
vigne), un fragment qui n’est pas le même que le « skyphos à scènes rustiques » de F. Baratte (op. cit. [n. 98],
no 6, fig. 12, p. 276-280) rapproché d’un médaillon de Begram étudié jadis par O. Kurz (le sacrifice du porc).
109. Sur les neuf ou onze objets datés pas plus tard que le ier siècle av. J.-C. (mais certains plus anciens)
voir M. L. Carter, AHE, nos 58 à 64 (avec les Érotes étendus) et commentaires p. 222-239 ; pour les
inscriptions indiennes et les Érotes : H. Falk, « Greek Style Dedications to an Indian God in Gandhāra »,
Indo-Asiatische Zeitschrift 13, 2009, p. 25-42 ; pour les inscriptions grecques : G. Rougemont et P. Bernard,
IGIAC, no 88 bis et no 88 ter. Ces inscriptions sont très importantes pour les questions de l’art, de
l’onomastique, des pratiques et des titulatures administratives ainsi que des cultes et croyances.
110. M. Pfrommer, Metalwork from the Hellenized East. Catalogue of the Collections, Malibu, The
J. Paul Getty Museum, 1993 : trésor IV (les trésors I à III seraient parthes), p. 54-64, dit indo-scythe, avec
des coupes hellénistiques (nos 75-80) est daté du ier siècle av. J.-C. au début du ier siècle apr. J.-C. et associé à
des pièces de harnachement steppiques (nos 76-126) de la fin du ier siècle av. J.-C. au ier apr. J.-C.
(comparaisons avec Pazyryk) mais ces pièces auraient pu être ajoutées au lot principal par un collectionneur ;
pourtant Tillya Tépa montre bien la coexistence et même la cohabitation des deux arts, grec et steppique ;
à cet ensemble est associé l’emblèma de Dionysos et Ariane avec un Silène, debout sous la treille (p. 64-66,
no 127) du iie ou ier siècle av. J.-C. en Orient (Asie centrale ou Gandhāra). Sur cet emblèma et ses rapports
avec d’autres pièces ainsi qu’avec les palettes du Gandhāra, voir BraceGrec, FigEmbl et infra.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
53
Darmuseum (coll. al-Sabah) 111. Enfin, bien qu’ils rassemblent des œuvres
principalement d’époque achéménide, le Trésor de l’Oxus du British Museum et
surtout le grand Trésor de Mir-Zakah 2 au Musée Miho comptent des pièces
hellénistiques et certaines de notre période 112. L’étalement dans le temps de la
manufacture de tous ces objets est par conséquent très large et leurs passages
successifs entre des mains diverses, depuis les élites historiques qui les ont
patronées, posent des problèmes d’attribution ardus, les remises en question et les
variations interprétatives étant par conséquent normales 113. L’ouvrage de
M. L. Carter, étude soignée très bien illustrée et documentée, ne date pratiquement
aucun objet d’orfèvrerie bactrienne de notre période, postulant peut-être qu’après
le milieu du iie siècle av. J.-C., les arts hellénisés avaient disparu de la Bactriane avec
le pouvoir grec et que, à l’exception d’un art hellénisé résiduel rendant compte de
Tillya Tépa, ils n’auraient survécu que dans l’Inde du nord-ouest entre les
Indo-Grecs et les Indo-Scythes 114. Cette délicate question peut recevoir un nouvel
111. AHE : trésor de Khuzdar au Baloutchistan, serait celui d’un Indo-Scythe (nos 17, 31, 42, 48,
52-55) ; cache de Nahrin près de Baghlan (Afghanistan) (nos 19-25, et 92), enfoui au ve siècle apr. J.-C. (?)
mais la plupart des objets sont plus anciens. Il est toujours tentant d’essayer de rattacher ces trouvailles à
des personnages illustres ou à des événements historiques connus par des textes (ainsi par exemple le trésor
de Mithridate VI : K. Parlasca, « Ein hellenistisches Achat-Rhyton in China », Artibus Asiae 37, 1975,
p. 280-286 ; Id., « Neue Beobachtungen zu den hellenistischen Achatgefäßen aus Ägypten », The J. Paul
Getty Museum Journal 13, 1985, p. 19-22, à propos d’un fameux rhyton en agate de Xian), mais il est rare
que de telles conjectures trouvent confirmation et nous nous gardons de nous livrer à cet exercice.
112. Oxus : O. M. Dalton, The Treasure of the Oxus with other examples of early oriental metal-work,
3e édition, Londres, The British Museum, 1964 ; pour les premières découvertes de Mir-Zakah : R. Curiel
et D. Schlumberger, Trésors monétaires d’Afghanistan (Mémoires de la Délégation archéologique française
en Afghanistan, XIV), Paris, Klincksieck, 1953. Pour Mir-Zakah 2 : O. Bopearachchi et Ph. Flandrin, Le
portrait d’Alexandre le Grand. Histoire d’une découverte pour l’humanité, Monaco, Éditions du Rocher, 2005.
Un catalogue des œuvres de Mir-Zakah 2 a été publié : Treasures of Ancient Bactria, Miho Museum, 2002.
ive sièce av. J.-C.-ier siècle apr. J.-C. Je ne cite pas ici de nombreuses études et publications partielles. Les
monnaies de ces trésors appartiennent en partie à notre période. Le problème se pose néanmoins d’additions
possibles aux trouvailles d’origine, peut-être elles-mêmes déjà amputées de certaines œuvres.
113. La tentation de les considérer comme des trouvailles homogènes et complètes est forte et peut
conduire parfois à des comparaisons hasardeuses entre des « trésors » qui ont perdu leur intégrité d’origine
par fontes, partages, etc. Par ailleurs, les tentatives de séparer des pièces originales ce qui pourrait être
considéré comme des contrefaçons modernes repose souvent sur des critères d’appréciation esthétique
subjectifs qui font écarter ce qui ne semble pas au niveau de pièces dignes d’entrer dans les collections de
grands musées ; cette démarche nie la possibilité de tout art populaire ou malhabile. Vues ainsi, certaines
des pièces d’Aï Khanoum et de Takht-i Sangin seraient prises pour des contrefaçons modernes.
114. Des comptages sommaires peuvent être effectués dans AHE. Le groupe B (de Bactriane séleucide
et gréco-bactrienne) compte 33 objets (nos 17-50) dont 27 sont attribués au royaume bactrien et datés
antérieurement au milieu du iie siècle av. J.-C., un seul serait de « l’époque Yuezhi », au iie siècle av. J.-C.
(plaquette à ours), et un autre « indo-scythe de Bactriane » du ier siècle av. J.-C. (no 42 : un calice floral au
fond d’une coupe), qui montre « skilled craftsmen...[with] background in the tradition of Hellenistic Bactria
still available... but without its refinement » ; 3 sont « Bactriane Kingdom/Indo-Greek-era South Asia
mid-late second cent. BCE » : ce sont des images dionysiaques au sens large et une Athéna. Le groupe C est
54
HENRI-PAUL FRANCFORT
éclairage à l’aide des quelques œuvres qui suivent, sans exclure qu’il pût subsister
en Bactriane sinon des poches de pouvoir grec, du moins des communautés actives
d’habitants hellénisés, comme dans l’empire parthe.
Les emblèmata : Orfèvrerie, moulages et nouveaux éléments sur des palettes
du Gandhāra.
Quelques objets permettent d’examiner la possibilité de la transmission depuis
la Bactriane hellénistique de pièces et de thèmes, sujets et motifs vers le nord-ouest
de l’Inde et même de proposer une continuité entre les arts des deux régions durant
notre période.
Le cas bien connu de Begram en Capisène est remarquable, avec la présence
d’exceptionnels objets venus de la Méditerranée romaine, de l’Inde et de la Chine.
Nous ne revenons pas sur ce « trésor », qui se situe déjà dans le sud de l’Hindou
Kouch et qui est bien daté du ier siècle apr. J.-C. par l’ensemble des études consacrées
aux diverses catégories d’objets 115. Les interrogations sur la date tardive de certains
verres, notamment le vase peint homérique 116, n’ont assurément plus lieu d’être
indo-grec et indo-scythe, il compte 22 objets (nos 51-73) datés entre le milieu du iie siècle avant et le ier siècle
apr. J.-C. à l’exception des objets inscrits (mais les inscriptions, dédicatoires ou d’appartenance, ne datent
pas la confection de leur support). Ces attributions chronologiques et géographiques laissent donc un vide
en Bactriane après le milieu du iie siècle av. J.-C. et ouverte l’énigme de Tillya Tépa avec son orfèvrerie de
bijoux hellénisés reconnue au milieu du ier siècle apr. J.-C., après environ deux siècles qui seraient restés
totalement improductifs.
115. Déjà O. Kurz avait daté les objets du « trésor » venus d’Occident du ier siècle apr. J.-C. (O. Kurz,
« Begram et l’Occident gréco-romain », in Nouvelles recherches archéologiques à Begram (ancienne Kâpicî)
(1939-1940) (Mémoires de la Délégation archéologique française en Afghanistan), J. Hackin éd., Paris,
Imprimerie nationale-Presses universitaires, 1954, p. 96-150) ; ils seraient plutôt d’origine alexandrine que
de Syrie ou de Mésopotamie (Antioche, Séleucie du Tigre, etc.), et venus par voie de mer ou de terre, bien
que des origines syriennes ne soient pas à exclure (WmetE, p. 54). Les études plus récentes n’apportent rien
de nouveau (M. Menninger, Untersuchungen zu den Gläsern und Gipsabgüssen aus dem Fund von Begram
(Afghanistan) (Würzburger Forschungen zur Altertumskunde), S. Böhm et U. Sinn éd., vol. 1, Würzburg,
Ergon Verlag, 1996) et la date du ier siècle n’est pas en remise cause, par exemple : P. Cambon, « Begram
entre l’Inde, l’Asie centrale et le monde méditerranéen », in ACOH, p. 239-244 ; Trésors retrouvés ; Sanjyot
Mehendale, « Begram: along ancient Central Asian and Indian trade routes », Cahiers d’Asie centrale 1/2,
1996, p. 47-64 ; Id., « The Begram Ivory and Bone Carvings: Some Observations on Provenance and
Chronology », Topoi 11/1, 2001, p. 485-514 ; Id., « The Begram Carvings: itinerancy and the Problem of
“Indian” Art », in Afghanistan: Forging Civilizations along the Silk Road, J. Aruz et E. Valtz Fino éd., New
Haven-Londres, The Metropolitan Museum of Art-Yale University Press, 2011, p. 64-77 ; M. Pirazzolit’Serstevens, « Les laques chinois de Begram. Un réexamen de leur identification et de leur datation »,
Topoi 11/1, 2001, p. 473-484.
116. D. Whitehouse, « Begram: the Glass », Topoi 11/1, 2001, p. 437-449 ; Id., « The Glass from
Begram », in Afghanistan: Forging Civilizations along the Silk Road, J. Aruz et E. Valtz Fino éd., New
Haven-Londres, The Metropolitan Museum of Art-Yale University Press, 2011, p. 54-63, en particulier sa
note sur la chronologie p. 62-63. Un verre du type de ceux de Begram a été découvert récemment dans une
sépulture de Lebedevka au Kazakhstan de la fin du iie au iiie siècle ; les auteurs tiennent pour la date la plus
récente – celle de la tombe –, pensant qu’un tel objet est trop fragile pour s’être conservé depuis le ier siècle,
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
55
puisque nous savons bien que les Tables iliaques ne sont pas aussi tardives que
l’illustration de l’Iliade ambrosienne, comme on a pu le penser jadis, et qu’elles
remontent à l’époque augustéenne 117. De plus, nous savons que l’histoire des
moulages de plâtre de notre domaine commence avec l’orfèvrerie hellénistique
gréco-bactrienne, originaux, empreintes ou tirages positifs 118. Les fouilles d’Aï
Khanoum en ont donné un certain nombre, au sanctuaire du temple à niches
indentées et à la maison du quartier sud-ouest 119. Il est de plus possible que des
poteries de ce site aient porté des reliefs autres que simplement végétaux ou des
bustes, mais nous n’en connaissons guère 120. Après l’arrêt des fouilles en 1978, des
ce qui est certainement discutable (M. Treister, « Nomaden an der Schnittstelle von transeurasischen
Karawanrouten. Importobjekte aus den spätsarmatischen Gräbern von Lebedevka », in Unbekanntes
Kasachstan. Archäologie im Herzen Asiens. Band II, T. Stöllner , Z. Samashev éd., Bochum, Deutsches
Bergbau-Museum Bochum, 2013, p. 737 et fig. 6 ; M. G. Moshkova et Mihail Yu Trejster, « Steklannyj
kubok so scenoj poednika gladiatorov iz kochevnicheskogo pogrebenija mogil’nika Lebedevka v (Zapadnij
Kazakhstan) », Rossijskaja arkheologija 2, 2014, p. 108-119). D. Whitehouse suggérait que les verres
pouvaient être importés blancs et peints ensuite en Asie, ce qui n’est pas impossible, à regarder l’un d’entre
eux qui représente un chasseur à l’arc, vêtu à la scythe, monté sur un cheval et représenté avec un tigre, félin
asiatique qui était présent dans la vallée de l’Indus mais également en Bactriane à l’époque (A. Schnitzler et
L. Hermann, « Chronological distribution of the tiger Panthera tigris and the Asiatic lion Panthera leo
persica in their common range in Asia », Mammal Review, 2019, p. 1-14 ; Katsumi Tanabe, « A KushanoSasanian Silver Plate and Central Asian Tigers », Silk Road Art and Archaeology VII, 2001, p. 167-186).
Sur le verre translucide taillé à facettes avec des sujets plus champêtres, du ier siècle : Catherine Delacour,
« Redécouvrir les verres du trésor de Begram », Arts asiatiques, 1993, p. 53-71.
117. Filippo Coarelli, « The painted cups of Begram and the Ambrosian Iliad », East and West 13/ 4,
1962, p. 317-335 : il n’y a pas de raison pour que ces illustrations soient de même époque que celles des
verres de Begram. Voir par exemple : David Petrain, Homer in Stone: the Tabulae Iliacae in their Roman
context, Cambridge University Press, 2014 ; Michael Squire, « Texts on the tables: The Tabulae Iliacae in
their Hellenistic literary context », The Journal of Hellenic Studies 130, 2010, p. 67-96 ; Id., The Iliad in a
nutshell: visualizing epic on the Tabulae Iliacae, Oxford University Press, 2011.
118. Bons exemples : BraceGrec, p. 267-270.
119. Voir avec la bibliographie antérieure, les principales comparaisons et références : P. Bernard, « Les
moulages en plâtre retrouvés dans la maison du quartier sud-ouest », in Fouilles d’Aï Khanoum IX. L’habitat
(Mémoires de la Délégation archéologique française en Afghanistan), G. Lécuyot éd., Paris, de Boccard,
2013, p. 68-74, fig. 24 et pl. XIV : Athéna et Poséidon, avant-train de cheval, Ajax arrachant le xoanon à
Cassandre (scène de l’Ilioupersis) ; il rappelle les moulages du temple à niches indentées : un gorgoneion, un
buste féminin en plâtre et un médaillon de coupe négatif en argile représentant un buste féminin, « véritable
chef-d’œuvre de ciselure » ; il mentionne aussi le médaillon à la gigantomachie de Termez ; enfin, un
médaillon à buste de Dionysos de la coll. al-Sabah a été publié depuis : M. L Carter, « From Alexander to
Islam: Hellenism in a non-Mediterranean environment », in Splendors of the Ancient East. Antiquities from
the al-Sabah Collection, D. Freeman éd., Londres, Thames & Hudson, 2013, p. 115-163, fig. 14, p. 120.
120. B. Lyonnet, « La céramique de la maison du quartier sud-ouest d’Aï Khanoum », in Fouilles d’Aï
Khanoum IX. L’habitat (Mémoires de la Délégation archéologique française en Afghanistan),
G. Lécuyot éd., Paris, de Boccard, 2013, p.179-191, avec des céramiques mégariennes à décor végétal
(pl. XLVII, XLVIII) et des décors de fond de coupe en relief (pl. XLIX : méduse, femme à calathos). Leur
apparition daterait d’après 225 et celle des décors de longs pétales d’après 145 ( ?) ; voir aussi infra pour un
buste d’Athéna.
56
HENRI-PAUL FRANCFORT
objets sont sortis d’Afghanistan dont cinq fournissent de nouveaux exemples de la
fonderie du bronze, de la glyptique (rarissime à Aï Khanoum, tout comme les
empreintes et scellements) et de la sculpture, mais aussi de la ciselure de l’ivoire,
avec un médaillon inspiré par un emblèma 121. À côté des autres sites essentiels pour
cette période que sont encore Nisa, Takht-i Sangin et Tillya Tépa, des trouvailles
hellénisantes provenant de niveaux pré-kouchans de sites comme Dal’verzin Tépé,
ainsi que d’autres, fortuites, sont aussi largement publiées 122.
Les moyens de copie et de transmission des œuvres désirables à reproduire
ont été développés et amplifiés par les Grecs d’Orient à l’époque hellénistique pour
travailler la pierre (tournage) mais également l’argile, le métal, la terre, le stuc.
Les techniques de copie et de réplication par moulage d’objets entiers ou de parties
à monter ensuite (statuaire, orfèvrerie...) ont été particulièrement utilisées pour
faire face à une demande accrue d’art de qualité dans un monde élargi, comme cela
a été remarqué jadis 123.
121. O. Bopearachchi, « Découvertes récentes de sculptures hellénistiques en Asie centrale », in Art et
archéologie des monastères gréco-bouddhiques du Nord-Ouest de l’Inde et de l’Asie centrale. Actes du colloque
international du Crpoga (Strasbourg, 17-18 mars 2000), Z. Tarzi et D. Vaillancourt éd., Paris, de Boccard,
2005, p. 51-65 ; O. Bopearachchi, « Recent Archaeological Discoveries from Afghanistan and Pakistan »,
Bulletin of the Miho Museum 5, 2005, p. 19-30 ; pour le médaillon en ivoire voir BraceGrec.
122. Sur le « trésor » de Dal’verzin Tépé : infra p. 104-105. Je rappelle ici la célèbre phalère grécobactrienne à éléphant de guerre de l’Ermitage (GrAs, fig. 53 = Öffnung, no 77, p. 272-273 = ACOH, pl. I)
datée du iiie-iie siècle av. J.-C., mais la tête casquée de profil, l’allure du kètos du tapis et surtout le décor
sagittal et triangulaire des archères de la muraille indiquent un rempart à galerie, comme à l’époque
kouchane, et non le rempart massif résistant de la poliorcétique grecque, et donc probablement une date
plus récente, peut-être le iie siècle (sur les éléphants en Asie centrale et le crochet de cornac de la broderie de
Noin-Ula, NomInst, p. 1568, n. 64) ; un médaillon au buste de Dionysos de Douchambé (Öffnung, no 270,
p. 369) daté du ier siècle av. J.-C.-ier siècle apr. J.-C. (notre fig. 24) ; emblèma transformé en phalère à Bellérophon
monté sur Pégase et combattant la Chimère de Volodarka au Kazakhstan (notre fig. 25) (M. Treister, « Silver
Phalerae with a Depiction of Bellerophon and the Chimaira from a Sarmatian Burial in Volodarka (Western
Kazakhstan). A Reappraisal of the question of the So-Called Graeco-Bactrian Style in Hellenistic Toreutics »,
Ancient Civilizations from Scythia to Siberia 18/1, 2012, p. 51-109) ; une centauromachie de Bactriane (notre
fig. 26) (K. A Abdullaev, « A Bactrian Gold Buckle with the Contest Between a Hero and a Centaur (Herakles
and Nessos?) », Parthica 10, 2008, p. 135-149), proche par son style et ses incrustations en virgule de la plaque
de Saksanokhur (supra) et d’objets de Tillya Tépa, donc d’antiquités du ier siècle (et non des iiie-iie s. av. J.-C.)
mais qui pourrait « descendre » de celle du « casque de Ménélas » de la fin du iie ou du ier siècle (F. Queyrel, op.
cit. [n. 79], p. 252 fig. 261), et dans laquelle je verrais, comme J. Boardman, un héros combattant à l’épée plutôt
qu’un Héraclès (sans massue ni léonté) contre Nessos. Tillya Tépa possède une place particulière eu égard à sa
richesse en arts hellénisés et steppiques et à sa date, bien assurée vers le milieu du ier siècle : V. I. Sarianidi, L’or
de la Bactriane. Fouilles de la nécropole de Tillia-tepe en Afghanistan septentrional, Léningrad, Aurora, 1985, et
de nombreuses autres études (V. Schiltz, « Tillia tepe, la “Colline de l’or”, une nécropole nomade », in Trésors
retrouvés; GrAs, p. 111 et 115-120 ; RoiAn). En revanche, si rien n’indique que le buste d’un médaillon en argent
doré de l’Ermitage de « Tyché-Oaninda », ailée, coiffée du calathos, diadémée (?) et tenant une grenade, provienne
de Bactriane (Öffnung, no 214, p. 336), rien ne s’y oppose non plus. D’autres œuvres se rattachent apparemment
à notre domaine, publiées par M. L. Carter, « From Alexander to Islam: Hellenism in a non-Mediterranean
environment », in Splendors of the Ancient East. Antiquities from the al-Sabah Collection, D. Freeman éd.,
Londres, Thames & Hudson, 2013, parmi les nos 64 à 86.
123. H.-P. Francfort, op. cit. (n. 50), p. 35-41 : « Cette capacité à copier, transposer et transporter,
developpée au plus haut point avec les moyens techniques de l’époque, peut être comprise comme la
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
Fig. 24. – Phalère de
Douchambé (Tadjikistan),
Musée national du Tadjikistan.
Buste de Dionysos. D’après
B. Stawiski, Kunst der Kuschan,
Leipzig, 1979, fig. 131.
Diam. 14,5 cm.
57
Fig. 25. – Phalère à emblèma, Bellérophon combattant
la Chimère. Volodarka (Kazakhstan). Cliché aimablement
communiqué par M. Treister (« Silver Phalerae with a
Depiction of Bellerophon and the Chimaira from a
Sarmatian Burial in Volodarka (Western Kazakhstan) »,
Ancient Civilizations from Scythia to Siberia 18/1, 2012,
p. 51-109, fig. 1. burial in Mound No. 4
of the Volodarka-I Burialground. Excavations led by
G. A. Kushaev, 1981. View of front surfaces.
Ural’sk, West-Kazakhstan Regional Museum. 1 – Inv.
No. 4831/1. 2 – Inv. No. 7949). Diam. 23,5 cm.
Fig. 26. – Boucle en or à centauromachie.
D’après K. A. Abdullaev, « Images
et cultes de l’Occident dans l’Orient hellénisé :
Héraclès en Asie Centrale et dans l’Inde du
Nord-Ouest », Comptes rendus des Séances de
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2007,
fasc. I (janvier-mars), fig. 16, p. 563.
solution trouvée par un appareil de production qui était resté confiné à la Méditerranée orientale jusqu’à la
conquête d’Alexandre, aux problèmes qui se posent lorsqu’il se trouve soudain confronté à un monde élargi
à la dimension d’un continent et à une demande sans cesse accrue de la part des Grecs nouvellement enrichis
installés sur les terres de l’Orient ». Pour la toreutique bactrienne, le stuc et la terre crue (p. 44-46 :
empreintes de sceaux et bustes féminins) ; sur les moyens et les techniques de réplication rapide et en grande
quantité (p. 104 ; 118-119 ; 123-124), avec référence à Kurz qui avait parfaitement compris que les
médaillons appliqués sur la céramique, les intailles, etc. tiraient leurs modèles de l’orfèvrerie (O. Kurz, op.
cit. [n. 115], p. 96-150, p. 145). R. Mairs, (« Models, moulds and mass production: the mechanics of stylistic
influence form the Mediterranean to Bactria », Ancient West & East 13, 2014, p. 175-195) reprend de telles
idées. La question de la diffusion des techniques grecques comprend également d’autres domaines :
« héritage technique grec » en général (H.-P. Francfort, op. cit. [n. 50], p. 123), les statues acrolithes (supra
n. 50), et des secteurs plus domestiques comme le tissage (H.-P. Francfort, op. cit. [n. 50], p. 47 : pesons
d’argile et tissage sur métier vertical) ou le broyage du grain en grande quantité avec de lourdes meules à
trémie à Aï Khanoum mais aussi à Sirkap (H.-P. Francfort, op. cit. [n. 50], p. 86-87 ; Id., « Habitat rural
achéménide, hellénistique et kouchan dans la plaine d’Aï Khanoum-Shortughaï », in Fouilles d’Aï
Khanoum IX. L’habitat, G. Lecuyot éd., vol. XXXIV, Paris, de Boccard, 2013, p. 157-178).
58
HENRI-PAUL FRANCFORT
À côté des trouvailles de médaillons de plâtre d’Aï Khanoum et de Begram,
une autre pièce importante a été récemment découverte sur le site de l’ancienne
Termez (fig. 27). Il s’agit d’un positif de moulage en stuc d’un fragment d’une
gigantomachie, trouvé dans les fouilles de la Mission archéologique franco-ouzbèque
dirigée par P. Leriche et Sh. Pidaev. Héraclès brandit sa massue au-dessus d’un
personnage dont n’apparaît que la jambe droite tendue, tandis qu’un géant
anguipède lui saisit le bras droit et attaque ses jambes avec les têtes de serpent de
ses pieds ophidiens ; la léontè du héros, assez rigide, est suspendue à son bras
gauche et derrière son épaule gauche apparaissent cinq rémiges d’une aile gauche
disposée sans aucune attache organique ni logique 124. La pièce originale d’argenterie
hellénistique et l’empreinte d’argile sont datées vers la fin des royaumes
gréco-bactriens, par comparaison avec les moulages de Begram et des terres cuites
de style grec des premiers siècles. P. Leriche écrit : « Peut-on alors parler d’un
maintien, au moins dans certains milieux, du goût pour l’art grec dans l’Asie
centrale post-grecque ? Un goût entretenu par des importations de ce type qui
participent par leur iconographie, plus que par leur sens, à l’élaboration de ce qu’on
appelle “l’art kouchan” ? » 125. Pourtant, un petit détail apparemment banal et passé
inaperçu semble pouvoir apporter d’autres informations. Les marques représentant
les rangées d’écailles sur les jambes serpentiformes du géant barbu se présentent
sous la forme d’un galon perlé, analogue à ceux qui s’étirent sur les queues de
poisson des êtres marins de certaines des palettes du Gandhāra, notamment des
124. Il peut s’agit d’une incohérence, d’une erreur d’assemblage du tirage du positif ; au sujet de telles
erreurs, P. Bernard avait attiré oralement mon attention sur le second portrait de poète et de Muse d’un
médaillon de Begram qui, très gravement endommagé, a été complété dans l’Antiquité de manière fautive :
O. Kurz, op. cit. (n. 115), p. 134-136, « deux portraits de poètes », no 226, fig. 310. La forme de cette aile, à
quatre ou cinq rémiges nettement détachées, se rapproche de celle qui apparaît sur la broderie de Shanpula
derrière le centaure musicien (voir supra n. 49) et de celles de Miran, toutes deux du ier siècle.
125. Trouvé dans une fosse de rejets de potier d’époque kouchane (env. 24 cm). Pierre Leriche,
« Héraclès, l’anguipède et le géant », in Animals, gods and men from East to West: papers on archaeology and
history in honor of Roberta Venco Ricciardi, F. Dorna Metzger A. Peruzzetto et L. Dirven éd., Oxford, 2013,
p. 85-98 ; Id., « La gigantomachie de l’Ancienne Termez », in Géants et gigantomachies entre Orient et
Occident. Actes du colloque organisé par Centre Jean Bérard (CNRS/EFR)-AOROC-AeScAn-LABEX Les
passés dans le présent. Naples 14-15 novembre 2013 (Collection du Centre Jean Bérard), F.-H. Massa-Pairault
et Cl. Pouzadoux éd., Naples, Diffusion de Boccard, 2017, p. 233-242. Les publications sur les
gigantomachies sont abondantes depuis F. Vian ; pour le domaine oriental, voir : P. Linant de Bellefonds,
« Le Géant ailé, entre Occident et Orient », in Géants et gigantomachies..., p. 217-232. Sur d’autres scènes de
combat héroïque en Asie centrale et en Orient : centauromachie (K. A. Abdullaev, op. cit. [n. 122]),
gigantomachie (F. Baratte, « Une Gigantomachie sur un vase d’argent au Yémen », Comptes rendus des
Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2017, fasc. II [avril-juin], p. 753-759 ; Id., « Une
gigantomachie dans la péninsule arabique », Monuments et Mémoires de la Fondation Eugène Piot 97, 2019,
p. 5-37). Pour les aspects littéraires : É. Prioux, « Géants et gigantomachie dans la poésie hellénistique »,
in Géants et gigantomachies..., op. cit. supra, p. 143-172.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
59
Fig. 27. – Médaillon en plâtre de Termez (Ouzbékistan). Fragment de gigantomachie.
Avec l’aimable autorisation de P. Leriche.
kètea montures de Néréides et sur divers anguipèdes 126. Ce modeste trait figuratif
établit un lien artistique nouveau entre l’Asie centrale et le Gandhāra, comme l’on
peut en observer encore entre les rhytons de Nisa et certaines palettes gandhariennes,
ou entre des bustes de Dionysos ou de Ménades en orfèvrerie et en poterie 127.
126. PdG, nos 33, 34, 41, 42 ; BraceGrec, fig. 18, p. 272 ; GrAs, fig. 89, p. 151. La question des êtres
composites aquatiques en Asie centrale et au Gandhāra est vaste, elle concerne aussi bien les anguipèdes que
les kètea et les divers monstres marins (ichtyocentaures et autres), qui sont très répandus dans les arts
mineurs et connus aussi dans des versions végétalisées. Voir par exemple des anguipèdes sur les monnaies
de l’Indo-Grec Telephos, ainsi que sur une paragnathide du casque porté sur une tête de personnage en
argile de Nisa (GrAs, fig. 33, 34, p. 75) tout comme sur celle du camée des Ptolémées ; je renvoie pour ces
êtres aux travaux en cours d’O. Bopearachchi et O. Bordeaux et, pour une comparaison avec les dragons
chinois à J. Boardman (« Tillya Tepe: Echoes of Greece and China », in Afghanistan: Forging Civilizations
along the Silk Road, J. Aruz et E. Valtz Fino éd., New Haven-Londres, The Metropolitan Museum of
Art-Yale University Press, 2011, p. 102-111).
127. PGSC pour une composition de sacrifice dionysiaque (Nisa et Ganhāra) ; médaillon à tête
féminine « Gorgone » de Takht-i Sangin et Charsada (supra, p. 44) ; un emblèma de buste féminin de Barikot
est daté du ier siècle (P. Callieri, « Barikot, an Indo-Greek Urban Center in Gandhāra », in D.
M. Srinivasan éd., op. cit. [n. 3], p. 157, fig. 6.38) ; des bustes de Ménades en médaillon en relief au fond
d’assiettes en céramique de Shaikhan-Dheri (notre fig. 28) (A. H. Dani, « Shaikhan Dheri Excavations (1963
and 1964 seasons) », Ancient Pakistan 2, 1965-1966, p. 17-214, pl. XXXI ; K.W. Dobbins, « Gandhāran art
60
HENRI-PAUL FRANCFORT
Ce rapprochement sur un détail indique que l’original peut être bactrien ou
gandhārien, dater des alentours de notre ère et qu’il ne remonte peut-être pas
nécessairement à deux siècles auparavant. Cette pièce remarquable montre que les
productions de toreutique et leurs moulages circulaient et que des œuvres d’art
étaient toujours ciselées, copiées et moulées, entre la Bactriane et le Gandhāra où
régnait un goût prononcé pour les thèmes grecs, resté vif entre la fin du iie siècle av.
J.-C. et le ier siècle apr. J.-C.
Des médaillons en terre cuite sont aussi un moyen de reproduction de pièces
d’orfèvrerie, un intermédiaire qui n’est pas sans lien avec la ciselure des palettes en
pierre du Gandhāra. On en connaît plusieurs qui sont presque des reproductions
de palettes (ou l’inverse) ou qui en sont proches par leur décor. Nous en retenons
trois : une scène de banquet du type de ceux du groupe de palettes « B » (« parthe »
de PdG) 128, une Néréide chevauchant un kètos 129 (fig. 29) et un couple assis de
Sanghol au Pendjab 130 (fig. 31). De son côté, le médaillon en terre de Khalchayan
représente un souverain couronné par une Nikè en vol ; représenté barbu coiffé
d’un haut bonnet, siégeant sur un trône aux lions flanqué d’un assistant
debout 131 (fig. 12), il peut être rapproché d’une palette en ivoire de Hatra 132, mais
aussi de deux scènes ressemblantes dites « d’investiture » sur de petits reliefs de
from stratified excavations », East and West 23/3-4, 1973, p. 283, fig. 7-9) apparemment d’époque
indo-grecque ; ils sont comparables à ceux d’Aï Khanoum, en général (supra, n. 120, et maisons, pl. XLIX
1-4) ou particulièrement, comme une tête féminine coiffée d’un casque à boule et ailé (O. Guillaume et
A. Rougeulle, op. cit. [n. 50], pl XVII 7-12, le no 8) qui est un buste d’Athéna mal compris visiblement
dérivé d’un original semblable à un moulage de Memphis à Hildeshein (G. M. A. Richter, « Ancient plaster
casts of Greek Metalware », A.J.A., 1958, p. 369-377, pl. 88, fig. 4 ; A. Ippel, Die Bronzefund von Galjub
(Modelle eines hellenistischen Goldsmieds), Berlin, 1922, Ab. 51 ; LIMC, s. v. Athéna, no 54 sur un médaillon
de terre cuite hellénistique d’Égypte, no 325 un bol pergaménien et comparaison avec le médaillon de Kul
Oba – no 298). Ils procèdent donc de l’orfèvrerie telle que les montrent, mutatis mutandis, Kul Oba ou les
luxueux emblèmata de coupes de la coll. al-Sabah ornées de bustes Dionysos ou de Ménades au thyrse, qu’ils
reprennent modestement (AHE, nos 25, 26, 28, 48, tous datés d’avant le milieu du iie s.) ; mais voir aussi
pour le no 28 la phalère en bronze au Dionysos de Douchambé (supra, notre fig. 24). Un emblèma de Bactres
à buste royal diadémé rappelle des monnaies d’Hélioclès (notre fig. 30) (J.-C. Gardin, Céramiques de Bactres
[M.D.A.F.A.], vol. XV, Paris, 1957, pl. XI, 2).
128. AOM Tokyo no P-972; comparable à PdG, nos 27 à 31.
129. Ashmolean Museum, Oxford : J. C. Harle, « Artefacts of the Historical Period from Bannu », in
South Asian Archaeology 1987, vol. 2, M. Taddei éd., Rome, IsMEO, 1990, p. 643-655.
130. Sanghol archaeological museum, Pendjab, Inde : C. A. Picón et S. Hemingway éd. Pergamon and
the Hellenistic Kingdoms of the Ancient World, New Haven-Londres, The Metropolitan Museum of
Art-Yale University Press, 2016, no 188, fig. 132.
131. En terre brûlée plus que vraiment cuite : G. A. Pugachenkova, Khalchajan, Tashkent, FAN, 1966,
fig. 110, p. 235; K. A. Abdullaev, E. V. Rtveladze et G. V. Shishkina éd. Culture and Art of Ancient
Uzbekistan, vol. 1, Moscow, Vneshtorgizdat, 1991, no 183, p. 142, 11 x 10 cm argile, daté du ier siècle apr. J.-C. ;
le personnage trônant couronné par une Niké volant est parfois identifié à Vima Kadphisès.
132. PdG, pl. LIII.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
Fig. 28. – Shaikhan Dheri (Pakistan).
Emblèmata de coupes en céramique
à bustes de Ménades. H. : env. 5 cm.
Photographie de l’auteur.
Fig. 30. – Bactres (Afghanistan).
Emblèma de coupe en céramique à
buste royal diadémé (type proche
d’Hélioclès). D’après J.-C.
Gardin, Céramiques de Bactres
(M.D.A.F.A., XV), Paris, 1957,
pl. XI, 2. H. : env. 3 cm.
Fig. 31. – Médaillon en terre cuite de Sanghol
(Pendjab, Inde). Cliché F. Tissot†. Diam. : env. 10 cm.
61
Fig. 32. – Fragment de
céramique à relief des
environs de Peshawar. Musée
de Lahore (Pakistan). Avec
l’aimable autorisation de
R. S. Dar. H. : 5,2 cm.
Fig. 29. – Médaillon en terre cuite. Néréide chevauchant
un kètos. Ashmolean Museum, Oxford. D’après
J. C. Harle, « Artefacts of the Historical Period from
Bannu », in South Asian Archaeology 1987, M. Taddei éd.,
vol. 2, Rome, IsMEO, 1990, p. 643-655. Diam. : env. 10 cm.
62
HENRI-PAUL FRANCFORT
Suse 133. De plus, un unique fragment de céramique à relief de la région de Peshawar
représente un « trio dionysiaque » ou Héraclès avec deux personnages féminins
(Ménades ?) (fig. 32). Il avait été considéré par Marshall comme représentant une
scène de l’Antigone d’Euripide. Ce fragment démontre aussi la possibilité de
transferts iconographiques par l’intermédiaire de céramiques à reliefs 134. L’Asie
centrale et le nord-ouest indien n’ont jusqu’ici pas produit de céramiques à relief
autres que des bols à décor de feuilles ou fleurs, à l’exclusion des productions
mégariennes ou pergaméniennes figuratives, narratives, ou de bols homériques, qui
eussent pu donner de précieuses répliques de pièces de toreutique. Car la toreutique
hellénistique est évidemment à l’origine de tous ces transferts de scènes et de motifs
sur les palettes du Gandhāra par l’intermédiaire de supports plastiques, ou
peut-être directement. Nous évoquions naguère et verrons ci-dessous, à propos
essentiellement d’Aphrodite et d’Éros, les rapprochements possibles entre des
palettes et des emblèmata hellénistiques, mais aussi avec des médaillons en ivoire,
133. L. Martinez-Sève, Les figurines de Suse. De l’époque néo-élamite à l’époque sassanide, Paris,
Éditions de la réunion des Musées nationaux, 2002, nos 1062, 1063, p. 621-623, « époque séleuco-parthe » ;
il s’agit d’un surmoulage d’un moule en plâtre ; la ligne de sol qui forme le rebord de l’exergue, tout comme
le rebord circulaire de la scène qui dessine un médaillon d’une dizaine de cm de diamètre, rappellent très
fortement la forme des palettes gandhāriennes.
134. De la région de Peshawar, Musée de Lahore, publié par Marshall, in JRAS de 1909, p. 1060-1061,
pl. III a et dans ASI, 1914-1915, p. II, n. 2, (selon Tarn, GBI, p. 382, note 6) ; cependant, Euripide ne
semble pas s’imposer, bien que R. S. Dar, récemment, reprenne cette idée (R. S. Dar, « Three Rare
Gandhāran Terracotta Plaques of Hellenistic Origin in the Lahore Museum: were these plaques mobile
models for travelling foreign artists? », Ancient Pakistan XXIX, 2018, p. 141-159) ; Boardman opte, avec
raison me semble-t-il, pour Héraclès et deux figures dont l’une au moins est féminine (GrAs, n. 306 :
« Heracles pulls at the dress of a woman on a clay relief vase in Lahore Museum , LIMC IV, Herakles
no 1546 ») ; en effet, bien que la figure de gauche paraisse dotée d’un fort menton, les formes de son corps et
le drapé de son vêtement laissent voir qu’il s’agit d’une femme ; le personnage de droite, plus petit, qui sert
d’appui peut être masculin (un satyre ?) ; quand au plus grand, sa silhouette massive et musculeuse est très
héracléenne et sa tête est barbue, il semble même qu’il puisse tenir une massue de la main gauche (mais
incomplète ?) ; on peut cependant hésiter entre Héraclès ivre, connu également sur les palettes
gandhariennes, ou Héraclès et Augè, groupe bien représenté dans l’orfèvrerie, la peinture etc. Nombreux
parallèles de « dionysiac trio » en relief sur poterie : p. ex. Susan I Rotroff, Hellenistic pottery: Athenian and
imported wheelmade table ware and related material, vol. 29, ASCSA, 1997, pl. 82, nos 210-212. Deux autres
plaques du Musée de Lahore sont publiées par R. S. Dar : « Ménade présentant une grappe de raisin à
Dionysos enfant » (fig. 2) et « Psychè offrant une coupe à Éros » (fig. 3), mais où nous pourrions voir un
simple « couple buvant » comme sur tant de palettes où la femme présente la coupe à son compagnon. De son
côté l’applique en pâte de verre de la tombe no 4 de Tillya Tépa qui représente les Héraclides tirant au sort
leurs futurs royaumes près d’un autel consacré à Zeus (Trésors retouvés, no 120) n’indique pas nécessairement
que son dernier détenteur, un roitelet anonyme du ier siècle de Bactriane occidentale, était familier du
théâtre d’Euripide, à la différence, peut-être, de l’artiste ou de son patron si ce n’était pas lui-même. Il en va
de même pour l’emblèma de la mort de Penthée du trésor publié par F. Baratte (op. cit. [n. 98], p. 263-264,
fig. 6) qui laisse seulement supposer que l’artiste ou son commanditaire oriental auraient pu éventuellement
avoir connaissance des Bacchantes d’Euripide.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
63
Fig. 33. – Disque en argent
à déesse trônant. British
Museum, Londres.
Inv. OA 1937.319.4.
Diam. : 7,4 cm.
eux-aussi ciselés comme les palettes, et non moulés 135. Les rapports entre l’art des
métallurgistes, toreutes et orfèvres, et celui des ciseleurs de palettes ont été relevés
depuis longtemps pour le domaine indianisé 136. Cependant, un disque d’argent
Śunga du British Museum 137 (fig. 33), daté du iie siècle av. J.-C., apporte une
135. Il s’agit de médaillons représentant Aphrodite et Éros et/ou un personnage sur un pilier qui
permutent ces composantes en une sorte de combinatoire artistique. Voir : BraceGrec, p. 266-270 = IndOx,
no 92, p. 119-120 : le médaillon en ivoire du ier siècle av. J.-C., indo-grec, est rapproché d’un couvercle de
miroir de Tarente du British Museum, et d’un plâtre d’Hildesheim (les modèles hellénistiques remontent
au milieu du iiie s. av. J.-C.) ; voir également FigEmblém, à propos de la palette d’Aphrodite châtiant Éros.
Un autre plâtre provenant d’Afghanistan (?), daté des iie-ier siècles av. J.-C., au Metropolitan Museum de
New York, représente Aphrodite, Éros, un miroir, un bouclier et un pilier hermaïque : C. A. Picón et
S. Hemingway éd. Pergamon and the Hellenistic Kingdoms of the Ancient World, New Haven-Londres, The
Metropolitan Museum of Art-Yale University Press, 2016, no 188, donnent des comparaisons avec Begram
et suggèrent des modèles de marchands, en proposant une origine alexandrine par la mer Rouge et un
rapprochement avec le médaillon de Sanghol dit « Satyre et femme buvant » (identification peu convaincante)
attribué aux ier-iie siècles apr. J.-C. (voir supra, notre fig. 31). Nous pouvons ajouter ici que l’Aphrodite au
buste dénudé, le bas du corps drapé, assistée ou accompagnée d’Éros, se retrouve encore à Nisa
(E. Pappalardo, Nisa Partica. I rhyta ellenistici, Monografie di Mesopotamia, Florence, Casa Editrice Le
Lettere, 2010, fig. 9.1, p. 233) : apparemment Éros lui présente un miroir et E. Pappalardo fait un
rapprochement précis avec l’Aphrodite « kouchane » de Tillya Tépa qui, ailée, pourrait être une Psychè
(fig. 9.2, légendée par erreur « Aphrodite bactrienne », alors que cette dernière, différente, est celle
reproduite à la fig. 9.3) à qui un Éros ailé debout sur une colonnette présente quelque chose ; les deux
déesses semblent l’une et l’autre également coiffées en krobylos.
136. R. Curiel et D. Schlumberger, « Le trésor de Mir Zakah près de Gardez », in Trésors monétaires
d’Afghanistan (Mémoires de la Délégation archéologique française en Afghanistan, XIV), R. Curiel et
D. Schlumberger éd., Paris, Klincksieck, 1953, p. 83-84, pl. VII centre bas, à propos du rang d’oves grossier
(mais aussi de la couronne de feuillage) qui entourent un buste de femme sur un médaillon de bronze.
137. British Museum OA 1937.3-19.4, diam. 7,4 cm ; J. Boardman dans Crossroads, no 142, p. 142-143.
L’objet a été acquis à Rawalpindi avec les objets du Trésor de l’Oxus (O. M. Dalton, The Treasure of the
64
HENRI-PAUL FRANCFORT
précieuse information complémentaire sur les transferts par copie-moulage et les
relations entre les styles hellénisé et indien qui ne paraît pas, à ma connaissance,
avoir jusqu’ici attiré l’attention. Proche de semblables images sur d’autres disques
(Metropolitan Museum 138, Ashmolean Museum 139, coll. al-Sabah 140 notamment),
il représente une déesse, Hārītī ou Ardoxšo, trônant sur un siège dont les moulures
basses des pieds, de type hellénistique en cloche, sont proches de celles des pieds de
trône en ivoire d’Aï Khanoum et de Nisa 141, ce qui répond bien au caractère
hellénisé des perles et pirouettes entourant la scène. Cette déesse est accompagnée
d’un petit personnage féminin vêtu à la grecque d’un chiton et himation tenant une
coupe au-dessus de laquelle la déesse tend une grappe de raisin. J. Boardman en
donne une notice détaillée où il remarque le costume et l’attitude de ce petit
personnage en les rapprochant d’un autre, féminin également, juché sur une
colonne figurant sur un couvercle de Tarente du iie siècle av. J.-C., représentant
Aphrodite à sa toilette ; il souligne judicieusement que l’artiste connaissait ce type
d’œuvre hellénistique, tout aussi bien que les codes de l’art indien. Le groupe
hellénistique et indo-grec des médaillons aux Aphrodites, piliers et petits assistants
doit donc être augmenté du disque en ivoire mentionné ci-dessus et sa parenté avec
au moins un disque Śunga mérite d’être soulignée. De plus, P. Bernard a attiré
l’attention sur l’aspect archaïsant des plis raides des vêtements de ce petit
personnage dont nous pouvons immédiatement ajouter qu’il est, au premier coup
d’œil, exactement celui de servantes ou d’assistantes sculptées sur des palettes
gandhariennes de banquet couché, de Dionysos ou de sacrifice, appartenant au
groupe B (« parthe » de PdG) 142 (fig. 34), assez proche également par son style de
figures féminines des rhytons de Nisa au drapé parfois plus rigide que celui des
pièces de l’orfèvrerie hellénistique 143. La petite figure du disque d’Ardoxšo/Hārītī
du British Museum donne presque l’impression d’avoir été directement moulée sur
Oxus with other examples of early oriental metal-work, 3e éd., Londres, The British Museum, 1964, no 198).
À cette série se rattachent aussi des rondelles plus franchement indiennes, sans aucun trait hellénisant,
figurant soit Hārītī, soit des personnages sur un éléphant : Crossdroads, nos 161, 162 ; AHE, no 69.
138. Lotus transcendent, no 3.
139. GrAs, p. 153, fig. XXXIX.
140. AHE, no 68.
141. P. Bernard, « Sièges et lits en ivoire d’époque hellénistique en Asie centrale », Syria, 1970,
p. 327-343 ; voir maintenant : Niccolò Manassero, A banchetto con gli eroi. La mobilia in avorio dalla Casa
Quadrata a Nisa Partica. Con contributi di Giorgio Affani e Carlo Lippolis, Alessandria IT, Edizioni
dell’Orso, 2018 ; sur ces formes et des moules de Suse : H.-P. Francfort, op. cit. (n. 50), p. 9-10 et pl. 9 ;
pl. I-II avec des parallèles.
142. Voir supra, n. 135 et 137 et PdG, nos 25, 27, 28, 31, qu’elles soient assises ou debout la ressemblance
est frappante avec le disque du British Museum.
143. E. Pappalardo, op. cit. (n. 135), p. 267-301 à propos du style des rhytons.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
65
Fig. 34. – Palette gandhārienne à trio dionysiaque. Swāt (?).
Victoria and Albert Museum, inv. IM. 109-1939, Londres. D’après PdG no 25. Diam. : env. 10 cm.
une matrice semblable à une palette. Ces rapprochements procurent un bon
synchronisme avec l’art indo-grec sous les dynasties des Indo-Grecs ou des
Indo-Parthes, aux iie-ier siècles av. J.-C. 144.
Les palettes du Gandhāra fournissent de précieux jalons intermédiaires
entre l’art hellénistique, la toreutique gréco-bactrienne et indo-grecque largement
disparue et l’art du Gandhāra. Elles ont fait l’objet d’un certain nombre d’études 145.
Des questions de chronologie ont été soulevées qui tentaient d’en abaisser la date et
144. PdG no 21 (personnage de gauche, servante à chiton himation tenant une coupe), nos 27 et 28
(banquets), no 41 (Néréide sur kètos).
145. PdG ; S. R. Dar, « Toilet Trays from Gandhāra and beginning of Hellenism in pakistan », Journal
of Central Asia 2/2, 1979, p. 141-184 ; H. Falk, « Libation Trays from Gandhāra », Bulletin of the Asia
Institute 24, 2014 ; J. Pons, « From Gandhāran trays to Gandhāran Buddhist art: the persistence of
Hellenistic motifs from the second century BC and beyond », in From Pella to Gandhāra. Hybridation and
Identity in the Art and Architecture of the Hellenistic East, A. Kouremenos, S. Chandrasekaran et R. Rossi éd.
(BAR International Series), Oxford, Archaeopress, 2011, p. 153-175 , avec bibliographie antérieure ;
H.-P. Francfort, FigEmbl ; PGSC.
66
HENRI-PAUL FRANCFORT
de les détacher de l’univers hellénistique et indo-grec 146, mais des rectifications ont
été données 147. Des réflexions sur leur fonction ont également été avancées, visant
principalement à en faire systématiquement des objets à destination uniquement
cultuelle 148. La fonction d’objet de toilette féminine de la plupart d’entre elles peut
cependant être réaffirmée, sans exclure d’autres usages pour certaines, ni
évidemment une symbolique de l’ivresse et, nous le verrons, avant tout de
l’amour 149. J’apporte ici quelques compléments nouveaux, dans la perspective de
146. C. Lo Muzio, « Gandhāran Toilet-Trays: Some Reflections on Chronology », Ancient Civilizations
from Scythia to Siberia 17/2, 2011, p. 331-340, exclut la période des Indo-Grecs et les populations hellénisées
de la production des palettes après environ 150 av. J.-C., s’appuyant sur une stratigraphie mal comprise de
Sirkap ; le même auteur, dans un petit article, apporte une ouverture vers l’art indien, mais en sélectionnant
isolément quelques compositions, thèmes et motifs, souvent mal datés, de l’art monumental de Bharhut et
de Sāñcī (« On the relationship between Gandhāran toilet-trays and the early Buddhist art of northern
India », in Problems of Chronology in Gandhāran Art: Proceedings of the First International Workshop of the
Gandhāra Connections Project, University of Oxford, 23rd-24th March, 2017, W. Rienjang et P. Stewart éd.,
Archaeopress, 2018, p. 123-134). Pour une vue équilibrée de l’art indien maurya et śunga au regard de l’art
grec en Inde du nord-ouest : O. Bopearachchi, « Achaemenids and Mauryans: Emergence of Coins and
Plastic Arts in India », dans India and Iran in the Longue Durée (Ancient Iran Series), A. Patel et
T. Daryaee éd. , Irvine, UCI Jordan Center for Persian Studies, 2017, p. 15-47 ; WmetE, p. 37-43.
147. PGSC : discussion détaillée avec références sur une compréhension archéologique erronée de
Sirkap et de la distribution des monnaies et des palettes dans les couches stratigraphiques qui ont amené à
proposer le règne de Mauès pour la fondation du site, en éliminant la période indo-grecque, qui existe
pourtant indéniablement là, comme à Charsada (R. E. M. Wheeler, Charsada, Londres, 1962), à Shaikhan
Dheri (A. H. Dani, op. cit. [n. 127]) ou à Barikot dans le Swāt, comme le montrent les découvertes de la
mission archéologique italo-pakistanaise : P. Callieri, « The North-West of the Indian Subcontinent in the
Indo-Greek Period: the Archaeological Evidence », in A. Invernizzi éd., op. cit. (n. 11), p. 293-308 ; Id.,
« Barikot, an Indo-Greek Urban Center in Gandhāra », in D. M. Srinivasan éd., op. cit. (n. 3), p. 132-164 ;
Luca Maria Olivieri, « Vajīrasthāna/Bazira and beyond: Foundation and current status of the archaeological
work in Swāt », in Buddhism and Gandhāra, H. P. Ray éd., Routledge India, 2017, p. 191-230 ; O. Tribulato
et L. M. Olivieri, « Writing Greek In The Swat Region: A new Graffito From Barikot (Pakistan) »,
Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 204, 2017, p. 128-135 ; Luca Maria Olivieri et alii, « A new revised
chronology and cultural sequence of the Swāt valley, Khyber Pakhtunkhwa (Pakistan) in the light of current
excavations at Barikot (Bir-kot-ghwandai) », Nuclear Instruments and Methods in Physics Research Section B:
Beam Interactions with Materials and Atoms, 2019 ; Michael Zellmann-Rohrer et Luca Maria Olivieri, « An
Inscribed Sherd in Aramaic Script from Barikot, Pakistan », Bulletin of the American Schools of Oriental
Research 381/1, 2019, p. 203-210.
148. Interprétations religieuses ou cultuelles récentes : K. Tanabe, « Symbolic Meaning of Toileting
Lady in Gandhāran Buddhist Reliefs », Bulletin of the Ancient Orient Museum XXV, 2005, p. 73-86 ; Id.,
« Two unique stone dishes from Gandhāra. The function of the so-called toilet-trays from Gandhāra
restated », in Un impaziente desiderio di scorrere il mondo. Studi in onore di Antonio Invernizzi per il suo
settantesimo compleanno, C. Lippolis et S. De Martino éd., Florence, Le Lettere, 2011, p. 345-352 ; Id.,
« Greek, Roman, and Parthian Influences on the Pre-Kushana Gandhāran “Toilet Trays” and Forerunners
of Buddhist paradise (Pâramitâ) », Silk Road Art and Archaeology 8, 2002, p. 73-100 ; H. Falk, op. cit.
(n. 145), p. 89-114.
149. PGSC : une réflexion sur les représentations divines et les scènes de culte qui, pas plus que pour
les représentations « dionysiaques » répandues dans l’art hellénistique et romain, ne font de leurs supports
des accessoires de rituels religieux. Pour mémoire, je signale que K. Parlasca a publié des palettes
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
67
l’hellénisme et de sa transmission dans le Gandhāra sous les Indo-Grecs et ensuite,
soit directement d’Asie centrale, soit avec de nouveaux apports du monde
gréco-romain. La difficulté, aujourd’hui encore, est de parvenir à distinguer ce qui
relève de la tradition de l’hellénisme gréco-bactrien ou en général centrasiatique
d’époque hellénistique, et à faire la part des apports possibles du monde romain,
tout aussi bien hellénisé en Occident qu’en Orient 150. Quoi qu’il en soit, quelques
palettes du groupe le plus hellénisé (groupe « A » de PdG) montrent un lien très net
avec l’art hellénistique de l’Asie centrale 151 et d’autres (autres groupes, autre style)
avec l’art Saka-Yuezhi. En tout état de cause, aucun hiatus ne se manifeste entre la
fin des royaumes gréco-bactriens, l’avènement des Indo-Grecs et de leurs
successeurs au Gandhāra, et le début de l’art des palettes. La relation que nous
envisageons entre certaines des palettes et l’Asie centrale ou l’Iran hellénisés est
une partie de cette discussion 152. La palette en ivoire de Hatra n’est pas datée avec
égyptiennes d’époque fin hellénistique jusqu’au début de l’empire où l’on voit qu’à côté de la présentation
de divinités égyptiennes, apparaissent aussi des scènes profanes et même érotiques : K. Parlasca,
« Griechisch-römisch Steinschälchen aus Ägypten », in Das Römisch-Byzantinische Ägypte, Akten des
Internationalen Symposions 26.-30. Sept. 1978 in Trier (Aegyptiaca Treverensia), G. Grimm, H. Heinen et
E. Winter, éd., Mayence, Verlag Philipp von Zabern, 1983, p. 151-160 : Aphrodite au bain du BM (pl. 22.1)
et erotica (pl. 20.2 Musée de Louxor ; 20. 3 Munich) ; voir aussi la même scène sur une autre sorte de
support : Christopher S. Lightfoot et Carlos A. Picón, « A Fragment of a Mold-Pressed Glass Bowl in the
Metropolitan Museum of Art », Journal of Glass Studies, 2015, p. 21-28, fig. 6, identique à un bol de verre
et à d’autres représentations, du 1er siècle av. J.-C. Une importante étude fait état d’analyses chimiques de
restes de cosmétiques dans des palettes : A. Hori, Chemical Analysis of Gandharan toilet-trays, Tokyo,
Ancien Orient Museum, 2007, 24 p.
150. Il s’agit d’une question dont tout le monde s’accorde à reconnaître qu’elle est difficile à traiter ;
dernièrement sur cette question : J. Boardman, GrAs, p. 162-166 « Greek and/or Roman – a memo », où les
possibilités restent largement ouvertes.
151. Avec les rhytons de Nisa (voir PGSC : scènes de sacrifices dionysiaques) ; avec un disque en ivoire
de Bactriane ou indo-grec (supra, p. 63 : Aphrodite et Éros) ; avec la gigantomachie de Termez (supra,
p. 58-59) ; avec les broderies de Noin-Ula (NomInst : kètea, filtrage et boisson) ; avec les revers de monnaies
d’Eucratide (PdG no 20, Dioscures cavaliers), etc. La question demeure pourtant de savoir si ces liens avec
l’Asie centrale hellénisée sont exclusifs de tout autre.
152. Cinq palettes seulement, de piètre facture pour quatre d’entre elles, ont été découvertes en Asie
centrale, dans des contextes mal datés ou d’époque kouchane (B. A. Litvinskij et A. V. Sedov, Tepai-Shakh.
Kul’tura i svjazi kushanskoj Baktrii, Moscou, Nauka, 1983, pl. XI, 1, palettes de Bezymjannoe poselenie
[site anonyme] ; XI, 2 Javan ; XI, 3 Ushtur-mullo) et celle de Dal’verzin Tépé (G. A. Pugachenkova,
E. V. Rtveladze et B. A. Turgunov, op. cit. [n. 43], p. 139-140, fig. 99) ; une autre, du musée de Tashkent, de
provenance inconnue, montre un couple buvant en buste sous une arche : usée mais d’exécution soignée, elle
semble importée du Gandhāra (E. V. Rtveladze, Velikij Indijskij Put’. Iz istorii vazhnejshikh torgovykh dorog
Evrazii, Saint-Pétersbourg, Nestor-Istorija, 2012, ill. p. 238) ; tout ceci montre que ces petits objets ne sont
pas des créations de l’Asie centrale, mais bel et bien du Gandhāra d’où ils ont été apportés (Tachkent,
Bezymjannoe ?) ou copiés (Javan, Ushtur-mullo, Dal’verzin ?). Nous pensons toujours que les modèles des
thèmes des palettes du groupe A de PdG sont à chercher essentiellement dans les emblèmata de l’Orient
hellénistique.
68
HENRI-PAUL FRANCFORT
précision 153, mais celles de Palmyre, trouvées dans des sépultures du sanctuaire de
Baalshamin, sont bien du ier siècle apr. J.-C. 154. La présence des Grecs en Inde à
partir des conquêtes gréco-bactriennes du deuxième quart ou du milieu du iie siècle
av. J.-C., et plus massive encore peut-être après la chute du royaume grec de
Bactriane vers 130 (hypothèse la plus répandue), ne fait pas de doute et le vaste site
de Taxila (Sirkap) a pu être occupé depuis Démétrios Ier 155. Les plus anciennes
palettes hellénisées ont sûrement été tournées et ciselées sous l’influence de leur
art, peu importe ici qu’il s’agisse de Taxila (Sirkap), de Charsada et Shaikhan
Dheri, de Barikot ou d’ailleurs, au Gandhāra ou au Swāt 156.
Les décors des palettes hellénisantes peuvent être commodément classés en
quelques grandes catégories 157. La première dépeint des fables mythologiques telles
153. PdG, pl. LIII.
154. PdG, p. 91, pl. L A et B ; LI, R. Fellmann, Le sanctuaire de Baalshamin à Palmyre, vol. V : Die
Grabanlage (Bibliotheca helvetica romana, X, V), Institut suisse de Rome, 1970, p. 96-103 ; Id., « Le tombeau
près du temple de Ba’alsamên, témoin de deux siècles d’histoire palmyrénienne », in Palmyre, bilan et
perspectives. Colloque de Strasbourg (18-20 Octobre 1973) organisé par le C.R.P.O.G.A. à la mémoire de Daniel
Schlumberger et de Henri Seyrig, E. Frézouls éd., Strasbourg, AECR, 1976, p. 213-231.
155. Sur la culture indo-grecque, voir les travaux de O. Bopearachchi et de P. Callieri, archéologiques
mais aussi historiques, sur la pénétration de la culture grecque et ses rapports avec la civilisation indienne,
rencontrée et reconnue : « ... some at least of the Hellenistic objects found at Sirkap may go back to the
Indo-Greek period, and that they were employed possibly into the Śaka and Parthian periods until they
were past using. Here instead of speaking of the philhellenism of the Śakas and the Parthians it seems more
reasonable, in this case, to think of the objects as having belonged to generations of local families and
handed down from the Indo-Greek to the Parthian period. (...) the date of their finds is not necessarily that
of their archaeological context. » (« The North-West of the Indian Subcontinent in the Indo-Greek Period:
the Archaeological Evidence », in op. cit. [n.43], p. 293-308) ; et encore : P. Callieri, « Gli Indo-Greci nel
Pakistan settentrionale », in Il Maestro di Saidu Sharif. Alle origini dell’arte del Gandhara, P Callieri et
A. Filigenzi éd., Rome, 2002, p. 47-55 ; Id., « Les villes du nord-ouest du sous-continent indien des
Indo-Grecs aux Kouchans », in IndOx, p. 211-212 ; Id., « Barikot, an Indo-Greek Urban Center in
Gandhāra », in D. M. Srinivasan éd., op. cit. (n. 3), p. 132-164. Récemment : L. Olivieri et Anna Filigenzi,
« On Gandharan sculptural production from Swat: Recent archaeological and chronological data », in
Problems of Chronology in Gandhāran Art Proceedings of the First International Workshop of the Gandhāra
Connections Project, University of Oxford, 23rd-24th March, 2017, W. Rienjang et P. Stewart éd., Oxford,
Archaeopress Archaeology, 2018, p. 71-92.
156. L’usage du tour pour la confection des palettes est une caractéristique importante de ce groupe
hellénisé (groupe « A » de PdG), tout comme l’est leur mode de compartimentation (voir PdG, p. 73-74,
pl. LIV à LVV, avec les dessins des profils caractéristiques de chacun des différents groupes) ainsi que le
choix de la pierre qui majoritairement caractérise ces différents groupes.
157. Voir PdG ; FigEmbl ; PGSC ; GrAs. Rappelons ici l’attachement dont ont fait preuve les
Gréco-Bactriens et les Indo-Grecs aux grandes divinités grecques, panhelléniques peut-on dire, jusqu’à
l’ultime moment de leur domination, mais sans exclure les cultes, les symboles ni l’écriture indiens ;
O. Bopearachchi (WmetE p. 44-45 ; 1991, p. 377-385) donne la liste des dieux grecs dans le monnayage au
Gandhāra jusqu’au dernier Indo-Grec en 10 apr. J.-C. : Zeus, Poséidon, Athéna, Apollon, Hélios, Tychè,
les Dioscures, Sélénè, Artémis, Hermès, Nikè, Dionysos et Héraclès. Il souligne que cette iconographie est
un prolongement de l’art hellénistique et qu’Athéna se trouve sur les monnaies d’Agathocleia et Straton Ier,
Straton Ier seul, Polyxène, Amyntas, Épandre, Thrason, Nicias, Apollodote II, Dionysos, Zoïle II,
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
69
que Daphné et Apollon, Artémis et Actéon, Éros, Héraclès et Omphale, Nymphe
et Satyre, Europe, Adonis ou Méléagre, Aphrodite et Éros, les Dioscures, et
d’autres que nous verrons comme Andromède et Persée ou Phèdre et Hippolyte.
Toutes ces images peuvent représenter pour leurs commanditaires la manifestation
d’une attirance pour des objets à caractère mythologique ou même des symboles
amoureux, des tableautins aimables et légers, dont les réalisations en pierre étaient
désirables. Mais ne peuvent-ils pas indiquer aussi un goût et une connaissance des
légendes ainsi véhiculées, et donc de la littérature et de la poésie grecques ? Ensuite,
un groupe « dionysiaque » est également important en lui-même, avec des thèmes
mythologiques fréquemment répétés comme Dionysos et Ariane ou Dionysos et
des Ménades, des thiases. Sur l’ensemble des palettes, les variantes de scènes
« dionysiaques » au sens large sont nombreuses, incluant les banquets couchés, les
« couples buvant » et autres scènes de boisson. De plus, on remarque la fréquence
des Néréides chevauchant des kètea et de leurs variations avec divers personnages
chevauchant des monstres aquatiques ou marins (kètea, hippocampes, tritons, etc.)
qui représentent une importante proportion des motifs 158. Enfin, des palettes à
scènes cultuelles, de sacrifice ou de libation à un autel, au sens grec (ou parthe), peu
nombreuses, ont fait l’objet d’une étude particulière ; on en compte deux seulement
qui appartiennent au groupe hellénisant (groupe « A » de PdG) 159. Le sacrifice
dionysiaque permet de relier presque directement une palette et des frises de scènes
de sacrifice de rhytons de Nisa, nous l’avons dit, mais un type de Ménade dansant
Apollophanès et Straton II et III (WmetE, p. 44-45 et n. 32 avec les références), comme Athéna Alkidemos,
« protectrice du peuple », son épithète de Pella en Macédoine capitale ville natale d’Alexandre. Quant à
Apollon, le dieu de Delphes au cœur du monde grec, il apparaît, lui ou le tripode apollinien, jusqu’au tout
dernier roi (FigEmbl). Il faudrait ajouter à ce tableau la glyptique, abondante et riche qui constitue un vaste
sujet ; les études les plus complètes sont dues à P. Callieri, « La glittica romana nel Gandhāra : presenze e
influssi », Rendiconti dellAccademia Nazionale dei Lincei, 1989 ; Id., « The Sakas in Afghanistan: Evidence
from the Glyptics », in Central’naja Azija. Istochniki istorija kul’tura, E. V. Antonova et T. K. Mkrtychev éd.,
Moscou, Vostochnaja Literatura RAN, 2005, p. 359-364 ; Id., éd. Seals and Sealings from the North-West of
the Indian Subcontinent and Afghanistan (4th Century BC-11th Century AD), Local, Indian, Sasanian,
Graeco-Persian, Sogdian, Roman with Contributions by E. Errington, R. Garbini, Ph. Gignoux,
N. Sims-Williams, W. Zwalf, Naples, IUO/IsIAO, 1997, p. 259-273, pl. 1-3, 48-49, 52-53, 60-61, 66-67 ; sur
les rapports avec le monde romain et les importations et imitations de la glyptique romaine : Id., « Seals
from Gandhāra. Foreign imports and local production », in BCH, Suppl. 29 (Archives et sceaux du monde
hellénistique/Archivi e sigilli nel mondo ellenistico), M.-F. Boussac et A. Invernizzi éd., 1996, p. 413-422.
Voir aussi : G. Fussman, « Intailles et empreintes indiennes du cabinet des médailles de Paris », R. N. XIV,
6e série, 1972, p. 22-42.
158. On relevait dans les différents styles, montés ou non, une vingtaine de palettes portant des êtres
aquatiques, in PdG : nos 9, 12, 23, 24, 33, 34, 35, 36, 37, 41, 42, 43, 44, 53, 55, 67, 68, 69, 79.
159. PGSC : sacrifice dionysiaque et comparaisons ; Apollon versant une libation sur un trépied,
H. Falk, op. cit. (n. 145) ; FigEmbl, fig. 16.
70
HENRI-PAUL FRANCFORT
tisse un réseau beaucoup plus vaste de rapports iconographiques 160. La libation
apollinienne, pour sa part, s’attache étroitement aux monnaies d’Antimaque Ier
(vers 180 av. J.-C.) et d’Euthydème II qui ont régné en Bactriane et au Gandhāra à
la même époque 161. Quatre autres palettes à scène de culte encore sont connues :
une du groupe indo-parthe (groupe « B » de PdG) 162 et trois du groupe indo-scythe
(groupe « C » de PdG) 163.
Tous les groupes de palettes ici sommairement définis sont porteurs d’images
issues de modèles gréco-romains. Une relation historique chronologique et
thématique peut ainsi s’établir correctement entre l’art des imagiers lapidaires de
nos palettes, les antiquités de Charsada, de Sirkap, les débuts de l’art bouddhique
du Gandhāra dans le Swāt, les ivoires de Nisa, l’orfèvrerie de Tillya Tépa et les
broderies Yuezhi trouvées à Noin-Ula, et au-delà vers la Méditerranée. Nous y
reviendrons. Les populations grecques ou hellénisées du Gandhāra paraissent ainsi
se placer dans la continuation des réseaux d’échange des Grecs établis dans l’Orient
lointain, des Gréco-Bactriens et de leurs successeurs et voisins 164. Nous pouvons
maintenant examiner quelques palettes reflétant plus directement dans leur décor
la littérature et le théâtre grecs, qui manifestent un autre aspect de la culture lettrée
au Gandhāra hellénisé pré-kouchan.
Sur quelques thèmes grecs de palettes du Gandhāra : Apollon et Daphné,
Persée et Andromède, Achille et Penthésilée, Phèdre et Hippolyte.
Apollon et Daphné (fig. 35). Une palette conservée au Metropolitan Museum
de New York est divisée en deux registres 165. Elle représente Apollon et Daphné, au
moment où la métamorphose va s’accomplir. Le dieu est vêtu d’une tunique, un
manteau jeté sur les épaules ; de sa main droite, il touche le sein de Daphné.
La jeune femme dénudée est coiffée d’un chignon et son voile tombé passe entre ses
jambes et remonte sur son bras gauche. De la main gauche, elle saisit la ramure du
laurier. Un second arbre, symétrique, est placé à la droite du fils de Lèto. Même si
160. Voir infra, p. 76 s et n. 182.
161. FigEmbl, p. 334-335.
162. PGSC = PdG, no 21.
163. PGSC = PdG, no 47 pour l’une d’entre elles.
164. Sans mentionner les palettes, E. Pappalardo (op. cit. [n. 135], p. 231-236 et 296-301), dans sa belle
étude de l’art des rhytons de Nisa, a mis en perspective historique l’iconographie et les styles des ivoires,
établissant un lien avec l’art parthe et l’art kouchan, en s’appuyant sur les recherches d’A. Invernizzi et
retrouvant, entre autres, des conclusions établies jadis par Schlumberger. La « frontalité parthe » apparaît
ainsi dans son groupe stylistique no 7 (rhytons nos 1, 8, 78), et elle propose même de dater du ier siècle apr.
J.-C. le groupe stylistique no 8 (rhyton no 81) à l’aide de parallèles gandhāriens du ier siècle apr. J.-C.
165. Lotus Transcendent, no 17 (Metropolitan Museum, no 1987-82-307, diam. 10 cm).
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
Fig. 35. – Palette gandhārienne,
Apollon et Daphné. Metropolitan Museum
New York inv. 1987.142.307. Diam. : 10 cm.
71
Fig. 36. – Palette gandhārienne, Persée et Andromède.
Musée de Karachi inv. 189/1932-1933. Diam. : 11 cm.
Cliché aimablement communiqué par O. Bopearachchi.
Daphné, le bras passé sur l’épaule d’Apollon, regarde son poursuivant et ne semble
guère fuir ou implorer Zeus, cette identification semble admissible.
Persée et Andromède (fig. 36). Une autre palette, provenant de Taxila même
(Sirkap), porte généralement le même intitulé que la précédente mais cette
identification n’est rien moins qu’assurée 166. Son dos porte une fleur de lotus en
relief et son rebord s’orne d’un rang de perles et d’une frise de postes. La scène se
déroule dans un paysage rocheux suggéré par des bosses polygonales. Un couple y
figure où l’homme, debout, portant sur ses épaules une chlamyde à l’extrémité
flottante, est coiffé d’un bonnet pointu. Il se penche vers une femme agenouillée, la
main posée sur un rocher et écarte le vêtement qui enveloppe ses jambes, couvre
son dos et retombe sur son avant-bras gauche. Le cou paré d’un pectoral à
pendeloques ou segments bien visible entre ses seins 167 (fig. 37), elle est coiffée d’un
166. Victoria and Albert Museum, inv. I. S. 695-1950, diam. 10,2 cm ; PdG, no 1, p. 9-10, pris
pour « Apollon et Daphné » ; Boardman, Crossroads, p. 155, n. 1 doute à raison de cette identificaton car
aucun des accessoires de l’histoire n’est présent, tout comme manque le schéma usuel de l’agression (LIMC,
III, s. v. Daphne).
167. Sur cette sorte de bijoux voir : Taxila III, pl. 193, nos 56 à 58 ; V. Schiltz, « Tillia tepe, la “Colline
de l’or”, une nécropole nomade », in Trésors retrouvés, no 129, p. 204 et 281.
72
HENRI-PAUL FRANCFORT
chignon et tourne la tête vers l’homme. Le paysage, nettement rocheux, l’attitude
des deux partenaires de la composition et la coiffe du personnage masculin nous
portent à reconnaître une représentation de Persée et Andromède. La jeune femme
semble se laisser approcher et même dévêtir sans réticence par le héros plein
d’attention qui l’a délivrée, vainqueur récent du monstre marin, amoureux et
empressé avant leurs noces 168.
Persée et Andromède (fig. 38) apparaissent encore sur la palette suivante, du
Metropolitan Museum de New York, le plus souvent prise aussi pour représenter
Apollon et Daphné 169. Elle ne comporte qu’un unique registre ornemental et son
rebord est orné de postes et d’un rang de perles. Le personnage féminin est assis sur
un amoncellement de blocs voulant représenter des rochers. Cette jeune femme est
nue, tournée à gauche, et son vêtement, sur lequel elle est assise, passe derrière son
corps ; son bras droit est porté à sa tête tandis que le gauche est posé sur son genou
droit remonté. Sa tête, coiffée en rouleau (on ne distingue pas de chignon) et
tournée vers l’arrière, regarde le personnage masculin. Celui-ci s’avance sur un sol
rocheux, manteau passé sur les épaules et volant au vent vers la droite, dans une
posture évoquant le mot de Philostrate : « il laisse flotter au gré des vents sa
chlamyde de pourpre » 170. Il est coiffé d’un bonnet conique, de nouveau le pilos de
Persée, le Héros qui, après s’être débarrassé du monstre marin, semble vouloir
courir délivrer Andromède paraissant encore comme attachée à un amoncellement
rocheux.
Je ne connais pas de parallèle parfait à cette composition de nos deux palettes.
Si la plupart des peintures de Pompéi où ce thème mythologique apparaît sont
168. Les thématiques des palettes appartiennent à des groupes très analogues à ceux dont a traité
É. Prioux (Petits musées en vers. Épigrammes et discours sur les collections antiques (L’art et l’essai), Paris,
CTHS, INHA, 2008, p. 280-281) qui rappelle à propos du catalogue de Martial (dont les Apophoreta sont
comparés aux œuvres de Posidippe de Pella, bien qu’il vécût bien plus tard, sous Domitien à la fin du
ier siècle) le décor des pièces 27-28 de la maison dite de Marcus Holconius Rufus à Pompéi (avant 79) où l’on
trouve, comme sur les palettes (entre autres évidemment) des images associées à l’univers marin (Néréide,
Europe) d’autres empruntées au cortège bachique (Hermaphrodite et Silène, Bacchus et Ariane à Naxos,
Adonis – ? –, Narcisse, Danaé) ; par ailleurs, la maison des Dioscures présente des vignettes montrant
l’enlèvement d’Europe et la libération d’Andromède, thèmes de palettes encore ; là, et avec Martial, l’on
célèbre un retour de l’âge d’or ; voir aussi Agnès Rouveret, « Retour à Ithaque : peinture du paysage et de
l’intimité domestique à Rome du dernier siècle de la République au début de l’Empire », Comptes rendus des
Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2013, fasc. I (janvier-mars), 2013, p. 289-312.
Indépendamment de la forme plastique des œuvres de notre domaine, nous pouvons constater que l’on
retrouve une congruence de thèmes en partie associés et récurrents qui remontent à l’époque hellénistique.
169. Lotus Transcendent... no 18 (Metropolitan Museum no 187-142-108, diam. 10,6 cm).
170. Philostrate, La galerie de tableaux, préface de Pierre Hadot, texte révisé et annoté par F. Lissarague,
Paris, Les Belles Lettres (La roue à livres), 2013, 29 (= Bougot, 1881, XXVIII) ; malgré la date plus récente
du texte, la référence est licite car les œuvres ne sont probablement pas toutes aussi tardives.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
Fig. 37. – Collier à pendeloques, or turquoise,
grenats. Tillya Tépa, tombe no 5. D’après
V. I. Sarianidi, L’or de la Bactriane. Fouilles de
la nécropole de Tillia-tepe en Afghanistan septentrional,
Léningrad, Aurora, 1985, pl. 64.
73
Fig. 38. – Palette gandhārienne,
Persée et Andromède. Metropolitan Museum
New York inv. 1987.142.108. Diam. : 10,6 cm.
traitées différemment, l’une d’entre elles, mal conservée, et des décors de mosaïques
plus récentes fournissent néanmoins des compositions approchantes 171. Une
terre-cuite hellénistique de Gnathia du musée de Naples fournit le meilleur
parallèle : Persée s’avance, manteau flottant, en se penchant vers Andromède assise
sur le rocher, le buste partiellement dénudé 172. Le paysage de rochers très
sommairement sculpté sur ces deux palettes évoque fortement le rocher auquel
171. Les peintures bien connues de Pompéi et de Boscotrecase dépeignent généralement ce thème de
manière différente : Andromède y est attachée au rocher les bras écartés tandis que Persée s’approche, ou
parfois Persée, ayant délivré la jeune fille et placé en contrebas, lui donne la main lorsqu’elle descend du
rocher ; une mosaïque de Zeugma, de date plus récente, donne une image plus proche de celle de notre
palette (voir : Catherine Abadie-Reynal, « Les maisons à décors mosaïqués de Zeugma », Comptes rendus des
Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2002, fasc. II [avril-juin], p. 743-771, fig 13). Une
peinture de la pièce 11 de la Casa del Menandro de Pompéi propose une version approchante, après la lutte,
l’issue heureuse : Persée est debout plus haut qu’Andromède, et non volant ou plus bas l’aidant à descendre
du rocher du supplice, mais il brandit la tête de Méduse, absente sur les palettes (Katharina Lorenz, « The
Casa del Menandro in Pompeii: rhetoric and the topology of Roman wall painting », in Jaś Elsner et Michel
Meyer éd., Art and rhetoric in Roman culture, Cambridge University Press, 2014, p. 196-197, fig. 5.5).
172. LIMC, s. v. Andromeda (K. Schauenburg), I, 97 mais le kètos y est figuré ; s. v. Perseus, no 210,
une intaille (perdue) de la seconde moitoé du ier siècle av. J.-C. montre une composition analogue, mais le
gorgoneion et la harpè y sont représentés.
74
HENRI-PAUL FRANCFORT
était attachée la fille de Céphée, même si les accessoires manquent (le monstre n’est
pas plus représenté que la harpè de Persée), à l’exception notable du pilos 173.
Les palettes, on le sait, mettent souvent en scène des couples dans lesquels
l’amour et la veine idyllique, héroïque, ou même parfois l’opposition et les amours
malheureux, impossibles ou transgressifs se mêlent 174. Un tel couple est
parfaitement ici à sa place et ne saurait donc surprendre.
Une autre palette, de réalisation très malhabile, représenterait selon A. Di
Castro un thème homérique, Achille se penchant sur Penthésilée mourante 175
(fig. 39). Seraient ainsi figurés à gauche la Tychè de Troie, à droite le Scamandre et,
derrière, un personnage indéterminé. Cette identification est ingénieuse, mais la
porte peut être ouverte sur d’autres interprétations que permet la facture imprécise
des personnages. Le génie aquatique de droite, dont l’identification est certaine,
peut tenir un trident, ce qui en ferait un Poséidon (possibilité évoquée par A. Di
Castro). La femme de gauche, n’était la couronne tourrelée, ferait, avec sa lance et
son bouclier rond, une parfaite Athéna. Dans ce cas, les divinités seraient
interverties, Troie étant figurée à droite et les Achéens à gauche. Et dès lors, le
choix serait à faire entre Achille et Cassandre, Ulysse et Circé (plutôt que Calypso
ou Thétis et Pélée, sinon même Ulysse découvrant Achille déguisé à Skyros ?).
On peut hésiter et les répertoires ne sont pas d’une grande aide dans ce cas 176. De
plus on notera qu’Achille semble curieusement peu armé (de même que l’Amazone,
dans l’interprétation d’A. Di Castro) tandis qu’Ulysse (dans d’autres hypothèses)
serait sans pilos, que la déesse n’est guère cohérente et la divinité aquatique peu
claire. Dans tous les cas, et malgré toutes ces incertitudes, nous ne sortons
apparemment guère des thèmes homériques qui étaient répandus dans notre
173. Tout comme le pétase, parfois ailé, le bonnet, le pilos et la tiare perse sont des coiffures possibles
pour Persée. Ulysse aurait pu être évoqué aussi, mais les épisodes de l’Odyssée où il approche de femmes,
Nausicaa, Circé ou Calypso, s’accommodent fort mal de l’image de nos deux palettes.
174. Liebeslust und Leid (PdG) avec des variations sur des thèmes d’amours on été évoqués (voir
FigEmbl). Voir aussi : A. Anguissola, « Mode et propagande. Les décors privés et la révolution culturelle
augustéenne », Perspective. Actualité en Histoire de l’Art 1, 2017, p. 150 : sur les formes transgressives du
désir et la source d’inspiration que sont les Métamorphoses d’Ovide, poèmes qui n’ont guère de raison
d’avoir inspiré les sujets des palettes, dans la mesure où la littérature grecque est riche de toutes les sources
littéraires nécessaires pour les populations grecques et hellénisées du Gandhāra. Les thèmes des palettes
peuvent se comparer à la peinture murale, toutes proportions gardées, avec la répétition de certains sujets et
l’absence d’autres (supra, n. 168 et David Fredrick, « Beyond the atrium to Ariadne: erotic painting and
visual pleasure in the Roman house », Classical Antiquity 14/2, 1995, p. 266-288).
175. Angelo Andrea Di Castro, « Hestia, a Tabula Iliaca and Poseidon’s trident: Symbols’ adaptations
of some Bactrian and Gandhāran divinities », in Refereed Papers from the 33rd Annual Conference of the
Australian Society for Classical Studies, 2012, p. 7, au Metropolitan Museum, (http://en.wikipedia.org/wiki/
File:StonePaletteMythologicalScene.jpg).
176. A. Di Castro, p. 8, n. 10, renvoie au LIMC pour « Achille et Penthésilée » mais les parallèles
iconiques ne sont pas très précis.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
Fig. 39. – Palette gandhārienne, Achille et Penthésilée.
Metropolitan Museum, New York. http://en.wikipedia.
org/wiki/File:StonePaletteMythologicalScene.jpg.
Diam. : env. 10 cm.
75
Fig. 40. – Palette gandhārienne, Hippolyte
partant pour la chasse et la nourrice. Victoria
and Albert Museum, Londres, inv. IS 1218.
D’après PdG no 2. Diam. : env. 10 cm.
domaine depuis l’époque hellénistique. Rappelons l’enlèvement du Palladion et les
références à l’Ilioupersis d’Aï Khanoum 177, Ulysse et Diomède sur les médaillons
de plâtre de Begram, et la mort d’Hector au pied des murailles de Troie, scène
peinte sur un verre de Begram bien connu 178.
Une quatrième palette nous met en présence du théâtre d’Euripide, comme
celle de l’Hippolyte et la nourrice précédemment publiée 179 (fig. 40). Celle-ci
177. P. Bernard, « Les moulages en plâtre retrouvés dans la maison du quartier sud-ouest », in Fouilles
d’Aï Khanoum IX. L’habitat (Mémoires de la Délégation archéologique française en Afghanistan),
G. Lécuyot éd., Paris, de Boccard, 2013, p. 68-74.
178. Pour Ulysse et Diomède : O. Kurz, op. cit. (n. 115), nos 105, 131, 144, 149 bis ; la mort d’Hector sur
un verre de Begram : ibid., no 27, p. 103, fig. 261 à 263 bis, 369 : nous ne nous écartons pas du ier siècle. Une
partie de cette même scène se trouve aussi sur un fragment d’une autre palette que je n’ai malheureusement
pas pu localiser. F. Coarelli, op. cit., n. 117, fait le rapprochement avec les Tables iliaques, mais elles sont de
date augustéenne : voir ci-dessus, n. 117 et F. Queyrel, op. cit. (n. 79), p. 248-249. Les palettes, comme les
Tables iliaques, pouvaient constituer des supports de mémoire pour certaines parties de textes : A. Rouveret,
Histoire et imaginaire de la peinture ancienne (Ve siècle av. J.-C.-Ier siècle apr. J.-C.) (Bibliothèque des écoles
françaises d’Athènes et de Rome, 274), Rome, École française de Rome, 1989, p. 354-371 ; Id., « Les Tables
iliaques et l’art de la mémoire », Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France 1988/1, 1990,
p. 166-176.
179. Victoria and Albert Museum, Londres, inv. I.S. 695-1950, diam. 10,2 cm ; PdG, no 2, p. 10-11,
l’identification de la scène est maintenant assurée (H.-P. Francfort, FigEmbl, p. 305-339. p. 330-332),
76
HENRI-PAUL FRANCFORT
représente Phèdre malade d’amour 180 (fig. 43). L’héroïne est assise les jambes
croisées sur un siège rocheux, dans l’attitude de l’affliction. Vêtue d’un chiton et
d’un himation, elle porte un double collier sur la poitrine et un pectoral
probablement à pendeloques 181. Sa tête est penchée à sa gauche et sa coiffure en
rouleau ou bandeau est touchée par le bras droit levé d’un personnage féminin
debout vu de dos, dénudé qui porte aussi un collier croisé et dont le vêtement tombe
correspondant aux v. 605-606 de la tragédie d’Euripide où le jeune chasseur, nu, son arc à ses pieds et outré
de l’aveu, fuit la nourrice : « La nourrice : Je t’en conjure, par ta main que je touche ; Hippolyte : Ne porte pas
la main sur moi ; garde-toi de me toucher » (cette proposition avait été avancée par M. Galli : « Hellenistic
Court Imagery in the Early Buddhist Art of Gandhāra », Ancient Civilizations from Scythia to Siberia 17,
2011, p. 279-329). Un dessin de Filippino Lippi du Musée des Offices à Florence, datant des années 1490,
en est le parallèle le plus proche par les attitudes des deux personnages au moment de la « révélation » par la
nourrice de l’amour incestueux de Phèdre et du refus d’Hippolyte (notre fig. 41). Filippino a copié des
figures aujourd’hui illisibles d’une grande composition de la Volta Dorata de la Domus Aurea de Néron
datée de 64, mais plus fidèlement que les reproductions un peu rigides de cette même peinture dans son
ensemble qui sont données dans l’album de Mirri et Carletti publié au xviiie siècle (sur ce dessin, voir : Innis
H. Shoemaker, « Drawings after the Antique by Filippino Lippi », Master Drawings 16/1, 1978,
p. 35-43+97-104, pl. 28 sur un dessin ; George R. Goldner et Carmen Bambach éd. The drawings of Filippino
Lippi and his circle, New York, The Metropolitan Museum of Art, 1997, no 65, p. 234-237 ; E. Parlato,
« L’archéologie créatrice dans les décors de Filippino Lippi », in Les Cahiers de l’Ornement I, P. Caye et
F. Solinas éd., vol. 1, De Luca Editori d’Arte, 2016, p. 106-120, fig. 7 : Filippino Lippi, Départ d’Hippolyte
à la chasse, Florence, Galleria degli Uffizi, GDS 1255E v. ; fig. 8 : F. Smugliewicz et M. Carloni, Départ
d’Hippolyte à la chasse, in Mirri 1776, II, tav. 43 avec de bonnes reproductions (notre fig. 42). Il est
raisonnable de voir dans cette peinture romaine néronienne, ou dans une copie (de Méditerranée orientale ?),
l’origine de la scène de la palette (voir aussi infra, sur les décors des maisons romaines augustéennes ou
néroniennes et l’art de notre région). En effet, la scène de notre palette semble un extrait à deux personnages,
détaché d’une composition plus complexe qu’il cherche à rappeler, comme le sont d’autres sujets de palettes,
réduisant des ensembles plus importants par un procédé qui s’apparente métaphoriquement à la synecdoque.
Par exemple, une « Aphrodite au bain » apparaît comme copiée de l’Artémis de la palette d’Actéon (PdG no 6
= FigEmbl, fig. 14) ; deux personnages assis sur un banc (avec un musicien) sont extraits comme un couple
buvant de la composition des noces de Dionysos et Ariane (comparer PdG no 14 aux nos 7, 10, 11 par
exemple) ; Dionysos entre deux Ménades (PdG n° 13, 25) semble pris comme une simplification de
compositions comme le thiase de Peshawar (PdG no 19), celui de la coll. Kurokawa (Tanabe, « Greek,
roman, parthian influences... », fig. 10), sinon même d’une composition plus complète comme celle du
médaillon al-Sabah de Dionysos et son thiase découvrant Ariane endormie à Naxos (AHE, no 48 = notre
fig. 46) ; M. Carter (AHE, p. 198), après avoir évoqué le grand art (les peintures de Pompéi – voir infra,
n. 192) rapproche pertinemment cette dernière composition de celles, plus simples, des palettes
gandhāriennes. D’autres exemples de ces figures, extraits détachés et transposés évocateurs de plus amples
œuvres, pourraient être ajoutés pour éclairer l’iconographie des palettes, comme la « petite servante » ou la
Ménade dansant vue de dos (voir n. 144 ; n. 182). Le procédé n’est pas nouveau, je n’en prendrai pour
exemple que le couvercle de miroir du Museum of Fine Arts de Boston avec Dionysos et Ariane assis
comme le sont les personnages des palettes (MFA, no 01.7513 a) : il montre plus l’ingéniosité des lapidaires
que la créativité d’artistes.
180. Coll. partic. Fujikawa, Japon, diam. 10 cm, faite au tour. Un fragment d’une palette analogue
existe encore, mais que je n’ai pas pu localiser.
181. Sur le pectoral à pendeloques, voir supra n. 167, fig. 37, celui d’Andromède, ainsi que les bijoux
réels de Tillya Tépa et de Sirkap.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
77
Fig. 41. – Départ
d’Hippolyte pour la
chasse, Filippino Lippi.
Cliché E. Parlato
(« L’archéologie créatrice
dans les décors de
Filippino Lippi », in
Les Cahiers de
l’Ornement I, P. Caye et
F. Solinas éd., vol. 1,
De Luca Editori d’Arte,
2016, fig. 7 : Florence,
Galleria degli Uffizi,
GDS 1255E v.).
Fig. 42. – Départ
d’Hippolyte pour
la chasse. Cliché
E. Parlato (ibid., fig. 8 :
F. Smugliewicz et
M. Carloni, Départ
d’Hippolyte à la chasse, in
Mirri 1776, II, tav. 43).
Fig. 43. – Palette
gandhārienne, Phèdre
malade d’amour.
Diam. : 10 cm. Fujikawa
collection (Tokyo).
78
HENRI-PAUL FRANCFORT
sous les fesses dans la pose des Ménades de thiases ou de sacrifices dionysiaques :
il s’agit ici d’Aphrodite 182. Au-dessus de Phèdre, plane Éros coiffé en lampadion ou
d’un bonnet à pompon (?), son arc dans la main gauche ; on croit voir son aile
derrière la corde. Il touche la femme de Thésée de sa main droite. À droite de la
composition, une vieille femme aux traits profondément marqués, la nourrice sans
aucun doute, est vêtue d’un chiton serré sous la poitrine et d’un himation levé
au-dessus de sa tête ; elle tient dans sa main gauche la tabula de l’aveu de l’amour
incestueux qu’elle se prépare à remettre au jeune homme. Quant au personnage
masculin qui approche Phèdre de ses deux mains, c’est Hippolyte, en tunique,
manteau et bottines (tenue de chasse sans doute), encore ignorant du mal dont
souffre l’épouse de son père qui refuse de céder à sa passion. Il s’agit très
probablement de la représentation de l’Hippolyte Porte-Couronne d’Euripide, des
v. 175 et suivants : Phèdre est sortie du palais et prie les servantes de la débarrasser
du bandeau qui ceint sa chevelure, Hippolyte vient s’enquérir du mal dont elle
souffre, et alors la nourrice prépare son funeste stratagème de l’aveu écrit sur la
tablette, de la « révélation » qui précipitera l’action tragique. Aphrodite et Éros, qui
apparaissent aussi sur notre palette, sont les moteurs de l’action tragique.
La vengeance conçue par la déesse de l’Amour, négligée par le chaste Hippolyte en
faveur de la vierge Artémis, précipitera la femme et le fils de Thésée vers la mort.
Avec cette tragédie produite en 428 (succédant à Hippolyte Voilé, œuvre fort
critiquée à Athènes notamment par Aristophane, dans laquelle Phèdre cédait à sa
passion), Euripide obtint le grand prix face à son rival Sophocle 183. Ce thème de
182. PGSC sur les ménades dansant représentées dans cette position et le rapport tracé entre des
palettes gandhariennes (thiase, sacrifice dionysiaque, etc.), des rhytons de Nisa et la peinture romaine à la
Villa des Mystères ; nous pouvons encore ajouter une empreinte de sceau trouvée dans les fouilles de
l’ancienne Kandahar qui montre une Ménade dansant vue de dos (W. Ball, chap. 3. F. « Arachosia (with
Drangiana and Areia) », in R. Mairs éd., The Graeco-Bactrian and Indo-Greek World, Londres, Routledge,
sous presse, qui trouve un autre parallèle dans une empreinte de Séleudie du Tigre : A. Invernizzi, Seleucia
al Tigri. Le impronte di sigillo dagli Archivi. I Sigilli ufficiali, ritratti (Testo di Vito Messina e Paolo Mollo).
II Divinità (Testi di Ariela Bollati e Vito Messina). III Figure umane, animali, vegetali, oggetti (Testi di
Ariela Bollati e Vito Messina), Centro Ricerche Archeologiche e Scavi di Torino per il Medio Oriente e
l’Asia. Missione in Iraq, 3 vol., Turin, Edizione dell’Orso, 2004, type Mn4, p. 151 « menade che danza »
décrite comme « vestita » mais la reproduction n’est pas assez nette pour que nous en soyons assurés.
Des figures comme celle-ci ou la « petite servante » (supra) étaient copiées, répétées, transférées de support
en support dans le monde hellénisé et au Gandhāra et parfois replacées dans diverses compositions.
183. Les études sont nombreuses, mais il nous semble que c’est bien l’Hippolyte Porte-Couronne qui
inspira la composition de notre palette et que rien n’oriente vers un autre texte ; nous pouvons notamment
écarter le texte de Sénèque (voir aussi n. suivante) : William S Barrett, Euripides: Hippolytos, Oxford
University Press, 1992, présente, édite et commente le texte mais aussi les fragments de la première tragédie
ainsi que les rapports avec celle de Sophocle (perdue, les fragments publiés par J. Henderson – Sophocles III,
coll. Loeb, 1996, reprinted with corrections and additions, 2003, p. 322-330, ne nous disent rien pour la
palette) et les vers d’Ovide ; voir aussi : Pierre Grimal, Phaedra : Sénèque Phèdre, éd., introd. et commentaire
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
79
Phèdre malade d’amour a été très populaire et les représentations en sont
nombreuses, dans la peinture pompéienne et jusque sur les sarcophages romains de
l’époque impériale 184. Parmi cette abondance de parallèles iconographiques, nous
retiendrons le fragment de couvercle de miroir de Pompéi conservé au musée de
Naples, assez semblable à la palette par l’aspect général du format de sa
composition 185. Mais la scène du drame y est plus raffinée et urbanisée, le style est
différent et un parapetasma indique le théâtre 186 ; les protagonistes y sont bien tous,
à l’exception d’Hippolyte, mais avec une servante en plus. Cela nous donne-t-il un
indice pour dater notre palette ? Je le pense et suis enclin à l’attribuer à une période
antérieure. La scène du miroir pompéien se déroule apparemment au palais,
Hippolyte est absent, la nourrice se penche sur Phèdre en présence non d’Aphrodite,
de Pierre Grimal, Paris, Presses universitaires de France, 1965 : les situations et les rapports entre les
protagonistes des deux palettes ne s’accommodent guère du texte de Sénèque.
184. Louis Séchan, « La légende d’Hippolyte dans l’antiquité », Revue des Études grecques 24, 1911,
p. 105-151 ; Id., Études sur la tragédie grecque dans ses rapports avec la céramique, Paris, 1926, surtout
p. 325-335 ; Jean-Michel Croisille, Poésie et art Figuré de Néron aux Flaviens. Recherches sur l’iconographie et
la correspondance des arts à l’époque impériale (Latomus, 179), Louvain, Peeters, 1982, p. 78-93, pl. 24-39,
surtout p. 86 et n. 74 où il est renvoyé au miroir de Pompéi, daté du ier sièle (?) (pl. 24.2) ; il met cependant
la composition de la Maison dorée en rapport avec la pièce de Sénèque ; pourtant, la discussion calme entre
Hippolyte et la nourrice telle qu’elle apparaît chez Sénèque et sur les reproductions tardives, doit être
écartée, d’après la palette mais aussi le dessin de Filippino Lippi (supra, n. 179). Des analyses approfondies
et récentes ont été données par Pascale Linant de Bellefonds : « Le “motif de Phèdre” sur les sarcophages
romains : comment l’image crée la vertu », in Iconographie funéraire romaine et société : corpus antique,
approches nouvelles ?, M. Galinier et F. Baratte éd., Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2012,
p. 65-79 ; Id., Sarcophages attiques de la nécropole de Tyr. Une étude iconographique (Mémoire), Paris,
Éditions Recherche sur les Civilisations, 1985, p. 125-164 ; Id., s. v. « Phaidra » », LIMC 7, 1, 1994,
p. 356-359, et « Hippolytos », p. 445-464, no I, 37, 40, 42, 44 avec « la révélation par l’intermédiaire de la
nourrice », la tablette, sur les peintures pompéiennes et celles de la Domus Aurea, compatibles avec nos
palettes vues comme des « extraits ». Le départ d’Hippolyte pour la chasse en présence de Phèdre et de la
nourrice tenant la tabula se trouve à Pompéi : V, 2, 10 (Maison de Paccia, tablinum) ; IX, 1, 22 (Maison de
M. Epidius Sabinus), VI, 5, 2 (Vicolo di Modesto, 1835, maintenant au British Museum, assez proche de la
palette mais sans divinités) ; V, 2, 10 (Maison de Paccia, tablinum, perdu, dessin) ; IX, 1, 22 (Maison de
M. Epidius Sabinus, perdu, dessin) ; voir commodément par exemple aussi : www4.ac-nancy-metz.fr/
langues-anciennes/Ariane/fichiers/ariane_autour.htm. Pour les aspects littéraires : François Jouan,
« Femmes ardentes et chastes héros chez Euripide », Sacris erudiri 31, 1989, p. 187-208. Pour les aspects
médicaux de la maladie d’amour, on lira les analyses de J. Jouanna, « Hippocratic Medicine and Greek
Tragedy », in Greek Medicine from Hippocrates to Galen, Philip van der Eijk éd., Leyde, Brill (Selected
Papers), 2012, p. 55-80 (traduction de « Médecine hippocratique et tragédie grecque », Cahiers du GITA 3,
1987, p. 109-131) : causes divines, psychologiques et physiques sont examinées ; notre palette se réfère
évidemment aux causes divines.
185. Voir P. Linant de Bellefonds, LIMC, s. v. « Phaidra » no 9, p. 307, et op. cit., p. 71-72, fig. III. 5,
dans cet article est discutée une tradition de représentations funéraires et de parturientes et l’auteur rappelle
(n. 38) qu’« aucune représentation assurée de Phèdre [n’est] antérieure à l’époque romaine ».
186. Dans le Gandhāra, une seule scène de théâtre, d’aspect dionysiaque, est reconnaissable dans l’art
mobilier, sculptée sur un fragment de vase ou vasque de pierre du Metropolitan Museum : voir infra n. 190.
80
HENRI-PAUL FRANCFORT
mais d’une servante et d’Éros, ce qui pourrait peut-être correspondre au texte de
Sénèque (?). Tandis que sur notre palette, la présence d’Hippolyte qui semble prêt
à partir chasser d’après sa tenue, suggère plutôt la tragédie d’Euripide. La présence
sur la palette de Cypris et d’Éros archer, ainsi que celle de la tabula, avec Phèdre,
Hippolyte et la nourrice, confortent l’idée qu’il s’agit probablement du second
Hippolyte, pièce dans laquelle ils sont puissamment actifs (Aphrodite), évoqués
(Éros) ou agents désignés (la tabula) 187.
De telles images de théâtre au Gandhāra s’inscrivent dans la tradition du
théâtre grec en Orient, et singulièrement en Asie centrale à l’époque hellénistique.
De Babylone à Séleucie du Tigre et au-delà, des théâtres hellénistiques ont été
dégagés 188. Les fouilles ont aussi permis de recueillir en Asie centrale des moules de
masques et des reproductions 189. Pour le Gandhāra, un fragment de vase en pierre
187. Euripide, Tragédies. Tome II, Hippolyte, Andromaque, Hécube, texte établi et traduit par Louis
Méridier, CUF, Paris, 2012 : par exemple, Aphrodite parle (v. 1-57), elle est irrésistible « quand elle se
déchaîne tout entière » (v. 443) ; Éros : « Ni la flamme ni les astres n’ont de trait plus puissant que celui
d’Aphrodite décoché des mains d’Éros, le fils de Zeus » (v. 530-534, voir aussi L. Séchan, Études..., p. 335
sur l’arc d’Éros et Euripide) ; quant à la tablette, Thésée la découvre sur Phèdre morte (v. 856-865 ; 867 ;
1057-1058).
188. Sur les théâtres : P. Bernard, « Campagne de fouilles 1976-1977 à Aï Khanoum (Afghanistan) »,
Comptes rendus des Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 1978, fasc. II (avril-juin),
p. 429-441 ; V. Messina, « Seleucia on the Tigris. The Babylonian Polis of Antiochus I », Mesopotamia XLVI,
2011, p. 157-167 ; Patrick Michel, « Le théâtre de Babylone : nouveauté urbaine et néologisme en
Mésopotamie1 », Études de Lettres 1-2, 2011, p. 153-170 ; Daniel T. Potts, « The politai and the bıt tamartu:
The Seleucid and Parthian Theatres of the Greek Citizens of Babylon », in Babylon. Wissenskultur in Orient
und Okzident (Topoi, 1), Berlin, 2011, p. 239-251 ; un théâtre a probablement existé à Sirkap, aménagé dans
une butte naturelle, mais il n’a pas été fouillé. Sur le théâtre de la période hellénistique en Orient hellénisé,
par exemple : Brigitte Le Guen, « Les fêtes du théâtre grec à l’époque hellénistique », Revue des Études
grecques, 2010, p. 495-520 ; Id., « Théâtre, cités et royaumes en Anatolie et au Proche-Orient de la mort
d’Alexandre le Grand aux conquêtes de Pompée », Pallas. Revue d’Études antiques 62, 2003, p. 329-355 ;
Andrea Scheithauer, « Les aulètes dans le théâtre grec de l’époque hellénistique », Pallas 47, 1997, p. 107-127.
189. H.-P. Francfort, op. cit. (n. 50), p. 43-44, pl. XVIII, nos 7 à 10 : quatre moules de masques en terre
crue, sans doute théâtraux, peut-être de la nouvelle comédie. La gargouille en masque de la fontaine du
rempart de l’Oxus représente l’esclave cuisinier (P. Leriche, Fouilles d’Aï Khanoum V. Les remparts et les
monuments associés [Mémoires de la Délégation archéologique française Afghanistan, XXIX], Paris,
Diffusion de Boccard, 1986 ; P. Leriche et J. Thoraval, « La fontaine du rempart de l’Oxus à Aï Khanoum »,
Syria LVI, 1979, p. 170-205 ; un moule de masque de la Salle carrée de Nisa (notre fig. 44) (V. N. Pilipko,
op. cit. [n. 80], fig. 223, p. 34) ; le masque romain de Shakhri Ghulghulja (B. A. Turgunov, « Maloizvestnye
kushanskie pamjatniki severnoj Baktrii », in Baktrijskie Drevnosti, V. M. Masson éd., Léningrad, Nauka,
1976, p. 103-106, fig. 1 et couverture du recueil : provenant de niveaux d’époque kouchane de ShakhriGul’gul’ja, P. Bernard pensait qu’il s’agit d’une lampe). Voir aussi pour Aï Khanoum : FigEmbl, p. 333-334 ;
Ph. Hoffmann, « La philosophie grecque sur Les bords de l’Oxus : un réexamen du papyrus d’Aï
Khanoum », in La Grèce dans les profondeurs de l’Asie (Cahiers de la Villa « Kérylos », 27), J. Jouanna,
V. Schiltz et M. Zink éd., Paris, de Boccard, 2016, p. 172-173 ; Ph. Hoffmann et A. Thiollier, « Les maximes
delphiques d’Aï Khanoum : retour sur la base de Kinéas et restitution en 3d de la stèle disparue », Comptes
rendus des Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2017, fasc. III (juillet-oct.), p. 1140-1142,
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
Fig. 44. – Vieille Nisa (Turkménistan). Moule de masque
de théâtre. D’après V. N. Pilipko, Staraja Nisa. Osnovye
itogi arkheologicheskogo izuchenija v sovetskij period,
Moscou, Nauka, 2001, fig. 223, p. 314.
81
Fig. 45. – Fragment de vase gandhārien en
pierre à reliefs, h. 12,5 cm. Metropolitan
Museum (New York). Samuel Eilenberg
Collection, Bequest of Samuel Eilenberg,
1998. Inv. 2000.284.15. H. : 14,6 cm.
à relief du Metropolitan Museum de New York est particulièrement important
(fig. 45). L’ornementation du bord, avec oves et rais de cœur et d’autres éléments
confirment qu’il peut être datable des débuts du Gandhāra, de notre période 190.
Dionysos y apparaît devant un parapetasma à galon orné, chaussé d’embades et ayant
passé une pardalide sur sa tunique (peu certaine) et sa chlamyde. Il est flanqué de
deux femmes, des Ménades certainement. Celle de gauche, vêtue d’un chiton,
et, récemment, une identification d’une tragédie de Sophocle où les noms de Zeus et de Dionysos sont
lisibles sur le parchemin d’Aï Khanoum où il est question d’un mariage : D. Olson, « Sophocles in
Afghanistan », The Classical Quarterly 1-3, 2019, évoque Pélée, et donc indirectement Thétis. Il importe de
rappeler ici les médaillons de Begram au poète tragique (Sophocle ?) et une personnification de la tragédie
(Melpomène ?) : O. Kurz, op. cit. (n. 115), p. 134-136, fig. 309, 310. Je ne reviens pas ici sur le succès du
théâtre grec d’Euripide joué à la cour des Parthes qui est très bien connu.
190. Lotus transcendent, no 27, p. 66-67 (Metropolitan Museum, Lent by Samuel Eilenberg, haut.
12,7 cm) a été daté de la période scytho-parthe du Gandhāra, du ier siècle av. J.-C. Voir aussi : Pia Brancaccio
et Xinru Liu, « Dionysus and drama in the Buddhist art of Gandhāra », Journal of Global History 4/02,
2009, p. 219-244. Sur le dionysisme, le théâtre qui revêt une nouvelle signification dans le bouddhisme :
FigEmbl, p. 336-338 ; M. Galli, op. cit. (n. 179), p. 279-329. Il conviendrait aussi de ne pas omettre le drame
satyrique et le mime, pour lesquels nous manquons de données.
82
HENRI-PAUL FRANCFORT
himation et d’une pardalide, porte un kyathos de la main gauche et son voile vole
autour de sa tête, tandis qu’elle tend une coupe au dieu. Celle de droite, au buste
dénudé semble-t-il, retient son voile de la main gauche et pose sa main droite sur
l’épaule de Dionysos, à la manière d’Ariane (?). À gauche du trio, une jambe visible
sur la gauche du fragment, devant le parapetasma, appartient à un troisième
personnage, masculin, au vêtement court qui s’avance en direction du trio.
Il pourrait s’agir d’un participant au thiase, comme le Satyre qui figure sur une
palette de Peshawar 191. Une représentation théâtrale ne serait-elle pas à envisager,
une scène comme celle où Dionysos découvre Ariane endormie à Naxos par
exemple, par analogie avec un disque en argent doré de la collection al-Sabah
(fig. 46) ? Ce médaillon, gréco-bactrien ou indo-grec, daté du milieu à la fin du
iie siècle av. J.-C. est réalisé dans un style assez rigide, symétrique et ornemental
(rochers et robe d’Ariane). Il présente Dionysos et son thiase devant Ariane
endormie sur le ventre, à demi dénudée ; face à son visage ensommeillé tourné vers
la droite, une tête de Silène âgé émerge des rochers d’où un bras se lève, pouce et
index joints ; le dieu juvénile apparaît nu, le visage poupin, manteau sur les épaules
et chaussé d’embades, prenant appui de ses bras écartés sur deux Ménades en
vêtement long et pardalide tenant chacune un thyrse ; à gauche, Pan joue de la
syrinx, tandis qu’à droite un Satyre ou Silène nu et chaussé, manteau sur les
épaules, lève un bras et tient un thyrse de l’autre 192. Des publications récentes
191. PdG no 19, p. 25-26.
192. Inv. No LNS 1571 M, 14,6 x 12, 3 cm ; AHE, no 48, p. 196-198. Je ne connais pas de parallèle exact
à cette composition. Les textes vraisemblablement de même époque de Catulle (64, voir infra, n. 206) et
d’Ovide (Art d’Aimer, l, 523-562 ; Métamorphoses VIII, 162-182 ; Fastes, III, 459-516) décrivent autrement
l’épiphanie divine avec son cortège, le mariage et l’immortalité céleste conférée à Ariane (« Je viens pour te
vouer un amour plus fidèle ; cesse de craindre ; c’est Bacchus qui sera ton époux, fille de Gnose » Fastes, III,
553-554). En revanche, le trio de Dionysos appuyé sur deux Ménades est assez fréquent sur les palettes, où il
apparaît comme détaché de cette composition (voir supra, n. 179). Des compositions monumentales de cette
scène sont connues à Pompéi où le dieu accompagné de son thiase découvre sa future épouse endormie sur le
ventre, le dos dénudé, par exemple : Pompéi, I, 4, 5 (maison du Cithariste, IVe style) ; VI, 15, 1 (Maison des
Vettii, IVe style, ier s. apr. J.-C.) ; VII, 10, 3-14 (Maison de la Chasse nouvelle, tablinium o) ; en général une
documentation commodément rassemblée : www.4.ac-nancy-metz.fr/langues-anciennes/Ariane_Dionysos.
htm. Sur ce médaillon de la coll. al-Sabah, même si le théâtre peut être évoqué, les embades peuvent être celles
de Dionysos plutôt que des chaussures de théâtre ; le dieu apparaît ainsi chaussé sur la palette au sacrifice
dionysiaque avec l’ornement et le retroussis nettement visibles (FigEmbl, fig. 11, alors que sur la palette à la
libation apollinienne – ibid., fig. 16 – ce sont des molletières qui laissent voir les orteils ) ; cependant, sur un
médaillon du musée Getty, Dionysos, Ariane et Silène sont pieds nus. Quant au texte de Lucien (Prolalia,
Dionysos, 2), bien que plus tardif et présentant le dieu sur son char, il mentionne Pan et Silène, Bacchantes et
Satyres et précise que Dionysos, vêtu de pourpre, est chaussé d’embades dorées, en une sorte d’ekphrasis (voir :
M. Briand, « Le dialogue entre mythe et fiction : à propos du Dionysos de Lucien », in Mythe et fiction, D. Auger
et Ch. Delattre éd., Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2010, p. 219-237). L’indication de
représentations théâtrales, par cet indice vestimentaire, ne peut toutefois pas être complètement écartée, dans
la mesure où des embades sont également chaussées par l’Hippolyte de la palette de Phèdre liebeskrank et par
les deux personnages théâtraux du vase de pierre de New York (notre fig. 45). Enfin, le médaillon al-Sabah
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
83
Fig. 46. – Disque emblèma.
Dionysos découvrant Ariane
endormie. Collection al-Sabah.
Inv. LNS 1571 M. Copyright
©The al-Sabah Collection,
Dar al-Athar al-Islamiyyah,
Koweït.
tentent d’établir un lien entre le théâtre, les représentations dites « dionysiaques » au
Gandhāra et les fêtes et cérémonies du Bouddhisme 193. Pourtant, les palettes
présente la tête d’un personnage émergeant du sol qui n’est probablement pas Hypnos ni « une divinité locale »
(comme suggéré dans AHE, p. 197) mais certainement Silène sous le même aspect iconographique que celui
qui est debout, mais dans un épisode qui nous échappe. Un fragment des Aitia de Callimaque offre peut-être
un indice : il mentionne apparemment une source au Silène lors d’une fête pour Ariane endormie à Naxos à
laquelle participe la jeune Cydippé : « Car aucune autre qu’elle ne vint à la pierre humide du vieillard velu,
Silène, avec un visage plus semblable à celui de l’aurore, ni ne posa son pied délicat dans le chœur d’Ariane
endormie. » (Y. Durbec, Callimaque. Fragments poétiques. Origines, Iambes, Hécalè, fragments de poèmes épiques
et élégiaques, fragments de place incertaine, Paris, Les Belles Lettres (Collection Fragments), 2006, p. 78, C, 11,
1 (fr. 67 Pf) et n. 229). Mais, comme le terme πιδυλίς désigne une « roche d’où jaillit une source » (DELG, s. v.
πῖδαξ), il n’est pas exclu que la tête de Silène et l’avant-bras qui semblent sourdre du sol rocheux figurent cette
source jaillissante du « Silène velu » près d’Ariane endormie. Dans ce cas, il est possible de conjecturer que ce
médaillon évoquerait une représentation cérémonielle ou théâtrale, son souvenir ou une version du mythe.
193. Pia Brancaccio et Xinru Liu, op. cit. (n. 190), p. 219-244 ; M. Galli, op. cit. (n. 179), p. 279-329 : se
réfère au théâtre grec, utilise les palettes (p. 296-302) et aborde la question compliquée et souvent discutée des
scènes dites dionysiaques au Gandhāra, des bacchanales à pressage et production de vin, boisson, danse et
musique. Suivant cet auteur, le dionysisme au Gandhāra est attaché à un hellénisme compassé et bourgeois,
sans érotisme, issu d’une paideia de distinction sociale, mais il ne dit mot de la tradition gréco-bactrienne et
indo-grecque. En réalité les représentations érotiques ne sont pas rares (p. ex. : GrAs, fig. 107, 111).
L’ensemble des images que l’on appelle « dionysiaques » de la Bactriane au Gandhāra mériterait une nouvelle
étude d’ensemble. On rappellera ici les « élégantes vêtues à la grecque » de P. Bernard et O. Bopearachchi
(BraceGrec, fig. 17) et leurs indispensables observations sur la paideia et l’hellénisme de la Bactriane au
Gandhāra (ibid., p. 251-262, onomastique : Palamède, Télèphe, Sarpédon) ainsi que sur la tradition homérique
jusque dans le Gandhāra bouddhique avec des reliefs représentant le cheval de Troie (n. 69) : « Malgré la date
très largement post-grecque... il n’y a pas de raison de douter que les poèmes homériques aient été connus des
84
HENRI-PAUL FRANCFORT
gandhāriennes et d’autres documents, en plus des légendes et des mythes
helléniques, permettent de reconnaître avec au moins Phèdre et Hippolyte ou
Persée et Andromède, le théâtre d’Euripide, le théâtre grec. Nous voyons
maintenant que la poésie hellénistique ne semble pas non plus avoir été ignorée.
Poésie, épigrammes
Les lignes qui suivent n’ont pas la prétention d’établir des correspondances
précises « terme à terme » entre les objets dont nous pouvons disposer et les textes
qui nous sont parvenus, mais elles tentent d’envisager ces correspondances de
manière un peu plus précise et documentée qu’un simple appel à la mythologie ou
à la littérature pris comme des corpus abstraits et généraux.
Prenons l’exemple de l’enlèvement d’Europe par Zeus mué en taureau et de
l’Europé de Moschos (env. milieu du iie s. av. J.-C.), avec d’abord une terre-cuite
hellénistique de Babylone des iiie-iie siècles av. J.-C. où Europe, assise de face sur
un zébu, retient son vêtement alors que son voile est gonflé par le vent 194.
Les palettes représentant cette scène sont au nombre de trois, dont une seule nous
retiendra (fig. 47) 195. Europe y est représentée de trois-quarts, sans son voile mais
l’on y voit que le taureau court sur l’écume de la mer représentée par de petites
incisions courbes. La jeune fille, qui porte des bracelets d’aspect indien aux bras,
poignets et chevilles, tient d’une main une corne de la tête bovine du dieu tournée
vers elle et retient son vêtement de l’autre, comme le décrit le poème de Moschos :
« Le taureau... poursuivit sa course, comme un dauphin, marchant sans mouiller
ses sabots sur la vaste étendue des vagues » 196, « Assise sur le dos du taureau Zeus,
colons dont les enfants et ceux des indigènes hellénisés devaient, comme partout ailleurs dans le monde grec,
apprendre la langue grecque dans Homère. » Voir aussi : Paul Bernard, « Onomastique et histoire : les noms de
Soxrakès et Palamède dans la Bactriane kushane », Topoi, 2001, p. 283-320.
194. A. Invernizzi et V. Messina éd., Sulla via di Alessandro da Seleucia al Gandhāra, Milan, Silvana
Editoriale, 2007, no 84 (British Museum ANE 91782).
195. K. Tanabe, « Greek, Roman, and Parthian Influences on the Pre-Kushana Gandharan “Toilet
Trays” and Forerunners of Buddhist paradise (Pâramitâ) », Silk Road Art and Archaeology 8, 2002,
p. 73-100, fig. 9 ; WmetE, p. 57-58, cat. No 52 : Hirayama Ikuo Museum of Art, diam. 9,5 cm ; la deuxième
et la troisième (K. Tanabe, op. cit., fig. 7 ; WmetE, p. 59, cat. No 53) sont de facture différente, éloignées de
l’art hellénisé.
196. Bucoliques grecs. Pseudo-Théocrite, Moschos, Bion, divers, texte établi et traduit par P.-E. Legrand,
CUF, Paris, 2002 : v. 113-115. Sur ce texte et ses aspect littéraires et poétiques, voir : Christophe Cusset,
« Le jeu poétique dans l’Europé de Moschos », Bulletin de l’Association Guillaume Budé 1/1, 2001, p. 62-82 ;
Id., « Recherches sur l’epyllion à l’époque hellénistique et au-delà », Aitia. Regards sur la culture hellénistique
au XXI e siècle 6, 2016 ; Christophe Cusset et Claire Vieilleville, « De Moschos à Achille Tatius : l’enlèvement
d’Europè comme programme poétique », in Roman grec et poésie : Dialogues des genres et nouveaux enjeux du
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
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Fig. 47. – Palette gandhārienne,
enlèvement d’Europe.
Hirayama Ikuo Museum of Art.
Yellow chlorite. Diam. : 9,5 cm.
Europé, d’une main, serrait la grande corne de la bête ; de l’autre, elle maintenait
contre sa poitrine le pli pourpré de sa robe, pour éviter que, traînant derrière elle,
elle ne fût mouillée par l’onde immense de la mer blanchissante. Aux épaules, le
péplos d’Europé se gonfla en une poche profonde, comme la voile d’un navire, et
allégeait le poids de la jeune fille » 197. Même si le gonflement du voile manque, la
palette n’est guère éloignée d’une mise en image des vers d’un poète, qu’il s’agisse
de Moschos ou d’un autre texte. Au point que l’on en arrive à se demander s’il
serait absurde de considérer que ces Grecs du bout du monde, après avoir pris et
perdu le pouvoir et la préséance culturelle, auraient pu mettre en œuvre des
procédés pour tenter de retenir leur culture littéraire et leur histoire réelle ou
imaginaire. Les palettes gandhāriennes dans leur variété et au-delà de leur
expression d’amours légères ou troublées, pourraient exprimer en parcelles, en
miniature, des histoires émiettées, comme l’Hippolyte que nous avons vu scindé en
deux palettes. Dans cette perspective, nous pouvons tenter de mettre en
poétique [en ligne], Lyon, MOM Éditions, 2017 : books.openedition.org/momeditions/2252>. ISBN :
9782356681904. DOI : 10.4000/books.momeditions.2252 ; É. Prioux, « L’ecphrasis dans l’epyllion », Aitia.
Regards sur la culture hellénistique au XXIe siècle 6, 2016, mis en ligne le 22 juin 2016, consulté le 4 juillet
2019. URL : http://journals.openedition.org/aitia/1932 ; DOI : 10.4000/aitia. 1932 : Moschos, Catulle et
l’epyllion comme métaphore du poème.
197. Ibid., v. 125-130. Une autre représentation figure sur un verre de Begram peint à grands traits
rapides (O. Kurz, op. cit. [n. 115], no 59-60, p. 103-104, fig. 264 = ACOH, pl. LIX, avec une bonne
reproduction en couleur (la fig. 265, sur le même verre, représente l’enlèvement de Ganymède par Zeus en
aigle). On y voit le taureau lancé dans sa course, Europe assise de trois-quarts, le buste dénudé, tenant son
vêtement (jaune) d’une main et son voile (bleu) qui se gonfle de l’autre, mais pas la corne du divin bovin ; un
Éros survole la scène.
86
HENRI-PAUL FRANCFORT
correspondance quelques palettes et un passage de cette même Europé de Moschos,
la traversée des flots par le cortège nuptial : « Sur son passage, la mer se faisait
calme ; les énormes poissons (κήτεα), alentour, s’ébattaient devant les pas de Zeus ;
le dauphin, sorti de l’abîme, cabriolait joyeux au-dessus de l’eau qui s’enflait. Les
Néréides surgirent du fond de l’onde, et assises sur le dos de poissons (κητείοις),
défilaient en cortège ; à la surface des flots, qu’il gouvernait, le dieu sonore qui
ébranle la terre guidait en personne son frère sur la route marine ; autour de lui
s’assemblaient les Tritons, bruyants musiciens de la mer ; soufflant dans de longs
coquillages, ils faisaient retentir le chant nuptial » 198. Certaines des nombreuses
représentations de Néréides et autres êtres marins et aquatiques des palettes 199, qui
ont fait l’objet de nombreuses tentatives d’interprétation, ne pourraient-elles pas
évoquer aussi cette légende du cortège aquatique d’Europè, et non nécessairement
toujours celles des noces de Thétis et Pélée ou de Poséidon et Amphitrite ? Cette
hypothèse complémentaire, non exclusive, n’empêcherait nullement que les
antécédents artistiques des Néréides des médaillons gandhāriens pussent provenir
de toutes sortes d’images, mais cette nouvelle vue que permet la palette d’Europe
ouvre une autre perspective. En effet, la transplantation des Grecs et de leur culture
dans l’Asie lointaine, n’est-elle pas poétiquement bien évoquée par l’enlèvement
d’Europe et par une foule d’êtres marins voguant ? Les guerres médiques, les
conquêtes d’Alexandre, tous les épisodes des échanges contrastés entre l’Europe et
l’Asie n’étaient nullement ignorés des communautés hellènes de notre région, nous
pouvons en être assurés, pas plus que ne l’étaient la guerre de Troie, le mythe de
Persée ou les expéditions de conquête en Inde de Dionysos et d’Héraclès.
Le sentiment d’éloignement et la nostalgie pouvaient faire partie de cet imaginaire,
dans un quotidien que nous ignorons largement mais où l’hellénisme s’étiole 200.
Ces Grecs, même par voie de terre, se sentaient d’outremer. Si cette suggestion
possède une éventuelle vraisemblance, il serait opportun d’y ajouter les palettes des
noces de Dionysos et d’Ariane, ainsi que celles de couples buvant sur un banc qui
en sont comme des extraits, on l’a dit, et même peut-être encore celles de thiases et
de leurs résumés en « trio dionysiaque » 201. Le Dionysos qui, comme Héraclès avait
198. Ibid., v. 115-123.
199. Voir n. 128, 129, 158.
200. Voir supra n. 114, 157, sur Athéna Alkidémos et sur Apollon et le trépied apollinien conservés,
même dans un style très dégradé, jusque sur les ultimes émissions monétaires du tout dernier roi indo-grec
(WmetE ; FigEmbl).
201. Sur les terres cuites de couples s’embrassant, voir V. Messina, « Parthian Mesopotamia », in
ACOH, p. 191-199, fig. 9 et 10 ; Sulla Via, op. cit. (n. 194), nos152 à 155 p. ex. Sur les images grecques,
hellénisées et leurs interprétations orientales, voir les subtiles remarques de V. Schiltz, « Dionysos, Ariane,
Artémis, Cybèle et autres Nana », in V. Schiltz éd., op. cit. (n. 35), p. 71-88 ; V. Schiltz, « Tillia tepe, la
“Colline de l’or”, une nécropole nomade », in Trésors retrouvés, p. 69-79 et 270-283.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
87
Fig. 48. – Takht-i Sangin
(Tadjikistan). Plaque
en ivoire à bas-relief,
personnages et animaux.
Cliché G. Lindström, Deutsches
Archäologisches Institut.
H. : 7,2 cm.
conquis l’Inde (l’Asie), était commun, nous dit-on, aux cultures indienne et
grecque. Ne faudrait-il pas voir aussi dans les images de ces palettes une exaltation
symbolique, mythologique et imaginaire, d’alliances et de métissages, évidents et
de plus en plus nécessaires au fil du temps, même s’ils ont été réels depuis Alexandre
et Roxane, Séleucos et Apamè, puis Antiochos Ier et leurs descendants ? Il a été
remarqué que Persée et Andromède pouvaient représenter une image du bonheur,
associés à des images dionysiaques 202. D’autres indices de notre domaine peuvent
faire référence à d’autres poètes hellénistiques.
Revenons pour cela brièvement en Asie centrale, avec un fragment de placage
de fourreau d’épée en ivoire de Takht-i Sangin sculpté en bas-relief, dont le haut et
le bas sont perdus (fig. 48). Il représente un personnage en tunique et pantalon,
allongé et accoudé comme un banqueteur. Au-dessus de lui un lièvre et un chevreuil
passent en courant et l’on distingue encore les pieds d’un autre personnage ainsi
qu’une patte animale : un épisode actif de chasse à pied se déroule. Le style est
post-hellénistique, très certainement. Il s’agit d’une scène de chasse, incomplète et
curieuse avec le pseudo-banqueteur dont les mains ne sont malheureusement pas
visibles 203. Il est remarquable et rare de voir que sur ce fragment sont représentés
202. É. Prioux, op. cit. (n. 168), n. 355, p. 281, renvoie à Hans-Ulrich Cain, « Chronologie, Ikonographie
und Bedentung der römischen Maskenreliefs », Bonner Jahrbücher 188, 1988, p. 107-221, p. 184.
203. Musée National Douchambé, Tadjikistan, inv. M 7119, h. 7,2, larg. 5,7 cm ; TiS III, p. 294-297
et fig. 46. L’interprétation funéraire de B. Litvinskij pour ce « banquet » n’est pas plus convaincante que les
88
HENRI-PAUL FRANCFORT
ensemble, et seuls animaux, un chevreuil et un lièvre, tandis que le personnage
allongé leur tourne le dos, indifférent comme chez Callimaque (XXI) : « Le
chasseur Epicydès, sur la montagne, se plaît dans le gel et la neige, il cherche à la
trace lièvres et chevreuils. Et qu’on lui dise : “Là, tiens, une bête tuée !” il ne la
ramasse même pas. Ainsi va mon amour, qui fuit, il court après ; qui est là, à sa
prise, il passe à côté » 204. Nous aurions ainsi, même si cela n’est apparemment guère
flatteur pour le détenteur du fourreau, une juxtaposition des épisodes de la quête
amoureuse évoqués par le poète, entre activité et indifférence. Cependant, on relève
surtout une association particulière d’animaux connus des Grecs pour leur rapidité
et la difficulté de leur chasse, le chevreuil et le lièvre. Callimaque peut être aussi
suggéré ici car il est apparemment le seul poète qui ait plusieurs fois conjoint ces
deux animaux dans ses vers, à l’exclusion de tout autre.
Les indices de prolongements de l’hellénisme littéraire, poésie et théâtre,
viennent ainsi compléter et illuminer les vestiges des formes propagées par les arts
mineurs de la Bactriane au Gandhāra entre 130 av. J.-C. et 100 apr. J.-C. environ.
Cela ne se put que grâce à la durée d’une paideia que les arts reflètent, y compris
sous la domination des nouveaux-venus, Saka-Yuezhi et Indo-Scythes, et les
Indo-Parthes.
comparaisons avec les reliefs de banquets funéraires palmyréniens : rien n’indique un banquet. FigEmbl,
p. 329, on ignore où la plaque a été ciselée, mais la Bactriane est loin d’être exclue.
204. Épigrammes. Hymnes, texte établi et traduit par Émile Cahen, Paris, CUF, 1972. Callimaque
associe encore le lièvre et le chevreuil dans l’Hymne à Artémis, avec le faon, le cerf et le porc-épic (v. 95-97),
mais surtout ces deux animaux apparaissent seuls dans l’Hymne à Artémis (v. 154-155), lorsque Héraclès
s’adresse à la déesse : « laisse chevreuils et lièvres paître dans les collines ; chevreuils et lièvres, quel mal
fonts-ils ? ». Virgile groupe les cerfs, les lièvres et les chevreuils (Géorgiques, I, 307-310, trad. E. de
Saint-Denis, Paris, CUF, 1957, légèrement modifiée par J. Trinquier – J. Trinquier, « Les chasses serviles.
Aspects économiques et juridiques », in Chasses antiques. Pratiques et représentations dans le monde
gréco-romain (IIIe siècle av.-IVe siècle apr. J.-C.), J. Trinquier et Chr. Vendries éd., Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2009, p. 100, sur les chasses en hiver, qui traduit dans sa n. 31 dama par chevreuil).
Le Pseudo-Oppien (I, 165) rapproche aussi ces deux animaux réputés pour leur rapidité à la course et leur
caractère craintif : « ...il faut contrôler l’appétit amoureux des chevaux aux pieds rapides et éloigner les
juments. Autrement, dans leur vif désir amoureux, elles pourraient hennir et, en les entendant, les faons, les
rapides chevreuils et les lièvres craintifs pourraient s’enfuir, glacés d’épouvante. » et (I, 412) : « Tels sont les
chiens qui devraient se préparer pour les longues courses aux chevreuils, aux cerfs et aux lièvres aux pieds
rapides comme le vent. » (Oppien d’Apamée, L’art de la chasse. Cynégétiques. Introduction, traduction et notes
de Louis L’Allier, Paris, Les Belles Lettres (La roue à livres), 2009, p. 53 et 62). Martial (I, 50) rapproche le
daim [ou chevreuil ?], le sanglier et le lièvre. La chasse au lièvre était réputée chez les Grecs mais également
auprès des Scythes, on le sait, elle apparaît dans l’art gréco-scythe de la mer Noire. Il est notable de retrouver
le lièvre représenté chassé à courre sur les plaques en ivoire « Saka-Yuezhi » de Takht-i Sangin (supra n. 73)
(avec des mouflons, cerf et léopard). Notons que δορκάς signifierait le chevreuil en Grèce (Cervus capreolus)
mais la gazelle ou l’antilope en Syrie et en Afrique (Antilope dorcas). Notre représentation bactrienne n’est
pas assez précise et ne permet pas de trancher entre les deux espèces car le chevreuil était présent dans la
faune locale, tout comme une gazelle, la gazelle à goitre ou gazelle de Perse (Gazella subgutturosa).
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
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Comme nous avons pu l’écrire ci-dessus, ainsi que jadis et naguère, l’amour est
une notion très présente dans ces arts, sous des formes directes ou indirectes,
métaphoriques, légères, tragiques ou érotiques 205. Après Euripide, Moschos (?) et
Callimaque (?), Catulle, bien que poète latin, nous permet d’y revenir avec les
Néréides pour tenter d’évoquer l’esprit d’un temps 206. Comme le précise
J.-P. Néreaudeau, pour Catulle « En ce temps-là l’amour existait et il avait ses lois et
sa sainteté. Le poème 64 parle de l’amour passionné de Thétis et de Pélée, qui
aboutit au mariage d’un mortel et d’une déesse, de même qu’Ariane, la mortelle, va
connaître les étreintes d’un dieu. L’amour faisait alors accéder au divin...
À l’engagement de Thétis et de Pélée, s’oppose la perfidie de Thésée que les dieux
châtient en le frappant dans son affection filiale... » 207. Nos palettes peuvent
s’inscrire dans une telle perspective par les thèmes qu’elles proposent. La présence
très fréquente d’Éros en Asie centrale et dans l’art de l’Inde du nord-ouest, au
Gandhāra pré-kouchan, et donc sur nos palettes, y compris comme un puissant
acteur dans la palette de Phèdre liebeskrank, donne consistance à ces suggestions 208.
Et l’on peut rappeler ici les palettes du « cycle d’Aphrodite » avec Éros, ainsi que les
Érotes qui y sont souvent représentés comme sur les bijoux ou l’orfèvrerie de la
région à notre époque, notamment avec Psychè, comme un lointain écho de la
Méditerranée. Il n’est pas hors de propos de rappeler ici les gestes d’affection des
couples assis sur un banc qui se caressent le menton ou la joue des palettes du
205. PdG, p. 93-94 ; FigEmbl, p. 333-334 : Artémis et Actéon, Zeus et Europe, Phèdre et Hippolyte,
Persée et Andromède, Ariane et Dionysos et d’autres, mais nombre d’œuvres poétiques sont perdues si bien
qu’il n’est pas aisé de distinguer le fonds commun mythologique des œuvres littéraires précises, car nous ne
sommes pas ici dans l’ekphrasis mais dans l’ut pictura poesis dans son sens le plus commun.
206. Catulle, 63, 16-18 pour les Néréides émergeant des flots « ... Illa atque haud alia uiderunt luce
marinas/ mortales oculis nudato corpore Nymphas/ nutricum tenus extantes e gurgite cano. » ; 64, 251-264, pour
Ariane endormie et l’arrivée du thiase (Catulle, Poésies, texte établi et traduit par Georges Lafaye, revu par
Simone Viarre et Jean-Pierre Néraudau. Introduction et notes de Jean-Pierre Néreaudeau, Paris, Les Belles
Lettres, 2012). Les aspects érotiques de ces « odalisques » ont été vus par S. Kim (voir infra n. 232). Voir
aussi le panorama dressé par Cl. Vatin (Ariane et Dionysos. Un mythe de l’amour conjugal, Paris, Presses de
l’ENS Ulm, 2004) qui, d’Hésiode à Nonnos et à l’aide des représentations, retrace l’histoire du mythe et de
ses possibles interprétations entre les couleurs mystiques, le pathétique romanesque, les scènes galantes ou
l’apologie du bonheur conjugal.
207. Ibid., introduction, p. XVII-XX ; voir aussi Philostrate, La galerie de tableaux, préface de Pierre
Hadot, texte révisé et annoté par F. Lissarague, Paris, Les Belles Lettres (La roue à livres), 2013, 29
(= Bougot, 1881, XXVIII) : Ariane endormie (I. 15). Properce, I, 3 évoque aussi Ariane à Naxos et
Andromède que nous avons vues ci-dessus sauvées et épousées respectivement par un dieu et par un Héros ;
on regrette d’autant plus de ne pratiquement rien savoir des pièces de Sophocle et d’Euripide, Andromède,
jouées en 142 à Athènes.
208. FigEmbl ; Kathryn J. Gutzwiller, « Images poétiques et réminiscences artistiques dans les
épigrammes de Méléagre », in Métamorphoses du regard ancien, É. Prioux et A. Rouveret éd., Nanterre,
Presses universitaires de Paris Ouest (Modernité classique), 2010, p. 67-112.
90
HENRI-PAUL FRANCFORT
« cycle de Dionysos et Ariane », auxquels il faut adjoindre les broches en or de Tillya
Tépa où V. Schiltz a observé « ... une tendresse conjugale rarement représentée
dans l’art grec mais que savent figurer à merveille les boucles parthes en bronze ou
les palettes en pierre du Gandhara » 209. La félicité sans mélange du couple d’Ariane
et de Dionysos sur un banc sous l’ombrage d’une vigne répond à l’empressement
attentif de Persée à l’égard d’Andromède.
Dans ces évocations, les éléments du paysage, et en particulier le paysage
bucolique ou « sacro-idyllique » manque sur les palettes, où il se réduit à un fond
rocheux ou à un arbre, à l’exception de celle où Dionysos et Ariane sont assis sous
une treille 210 (fig. 49 et 50). La question de l’art en petit format intervient ici, celle
de la poésie bucolique, des pièces idylliques, de la leptotès callimachéenne et même
de l’épyllion. Elle peut être envisagée avec ces miniatures que sont les emblèmata,
les palettes et les divers médaillons, reproduisant et évoquant des œuvres plus
grandes parfois segmentées en épisodes et gravées ou imprimées dans le métal, la
pierre fine, le verre, le plâtre, l’argile. En un certain sens, les médaillons métalliques
et les palettes hellénisées du Gandhāra seraient peut-être des équivalents visuels
d’œuvres littéraires brèves ou réduites à un format court, selon une tendance
connue de l’époque hellénistique et du haut-empire 211. Ainsi en va-t-il de la
209. V. Schiltz, « Dionysos, Ariane, Artémis, Cybèle et autres Nana », in V. Schiltz éd., op. cit. (n. 35),
p. 74 ; en ce sens, H. Falk qui établit un lien entre des palettes et des cérémonies de mariage peut être sur la
bonne voie aussi (op. cit. [n. 145]) ; voir aussi Cl. Vatin (op. cit. [n. 206], p. 78-80) et FigEmbl pour les
palettes, mais aussi, par exemple, les bijoux de Sirkap où des représentations, sur des bijoux du fils
d’Aphrodite avec Psychè (ou du moins décrites comme telles) s’écartent des tourments amoureux et des
tortures mutuelles courants en faveur d’un érotisme doux (Taxila III, pl. 191, no 98 ; pl. 207, no 30).
Du puissant fils de Zeus (ou de Chaos) au putto ornemental, une grande variété d’Érotes est représentée
dans les arts de notre domaine, mais elle n’a jamais été étudiée dans son ensemble. Le personnage masculin
(Dionysos ?) de bien des palettes, assis sur un banc et tenant une coupe que lui aurait donnée sa compagne
qui, à demi dénudée, lui caresse le menton (Ariane ?) pourrait aussi évoquer une pratique nuptiale orientale,
iranienne au sens large, rapportée par Charès de Mitylène au ive siècle, qui conte l’amour d’Odatis et de
Zariadrès (Ath. XIII, 35 = 575 a-f) et qui apparaît aussi dans le Sahhnāmeh de Firdausi (trad. J. Mohl, IV,
238 s.) comme l’a relevé J. Darmesteter (J. Darmesteter, Le Zend-Avesta [Annales du Musée Guimet],
3 vol., Paris, Adrien-Maisonneuve, 1892-1893, III, p. LXXXI), passages qui ont suscité bien des réflexions
et des interprétations mythologiques ou religieuses.
210. Crossroads, nos 97, 98, 159 par exemple. Il s’agit là d’une particularité de l’art des palettes (voir
PdG, p. 93), car sur les œuvres de l’argenterie et de l’orfèvrerie, réels ou moulages, le paysage sacro-idyllique
peut être présent, avec ses composantes usuelles : arbres, masques, Érotes, dieux, autels et accessoires de
culte ; à l’inverse, le paysage de l’emblèma du Musée Getty, où un Dionysos juvénile caresse le joue de son
Ariane (BraceGrec, fig. 14, p. 266), est réduit à une treille, comme sur les palettes.
211. Qui, au fond, continue autrement une très antique tradition remontant aux plus anciennes
peintures des vases grecs, à la glyptique, aux couvercles de miroirs, etc. Les Tables iliaques, les poteries à
reliefs, bols homériques et autres, participent de ce courant. Un exemple caractéristique en est donné par un
camée de Boston (MFA, no 18.509) daté du milieu du ier siècle av. au milieu du ier siècle apr. J.-C., qui
représente dans un ovale de 1,6 x 1,3 cm une procession dionysiaque à sept personnages et un âne.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
91
Fig. 50. – Palette gandhārienne (fgt), couple
Fig. 49. – Palette gandhārienne, noces de Dionysos et
Ariane, Taxila. Musée National de New Delhi (Inde),
sur un banc. Musée de Peshawar inv. 72.
inv. 200/1932-1933. D’après PdG no 14. Diam. : 16,7 cm.
D’après PdG no 10. Diam. : 9,8 cm.
« gigantomachie miniature » de Termez. Les palettes gandhāriennes, quelle que pût
être leur fonction, apparaissent comme des créations originales. Non seulement
elles seraient des substituts bon marché d’œuvres d’orfèvrerie ou de toreutique
destinés à une clientèle « bourgeoise » urbaine hellénisée (à Sirkap, Charsada,
éventuellement à Shaikhan Dheri et Barikot, jamais dans les monastères), mais elles
fonctionneraient aussi comme des miniatures, des supports de mémoire, pour des
textes chers qu’elle avait appris à goûter, sinon même pour invoquer le grand art 212.
L’aspect esthétique ne serait pas à négliger non plus, bien que certaines réalisations
maladroites prêtassent à sourire ; ainsi, comparer par exemple la palette de l’aveu à
Hippolyte (fig. 40) et celle de Phèdre malade d’amour (fig. 43) revient presque à
mettre en parallèle les tirades de grands tragédiens avec l’agitation chargée d’une
scène de théâtre bourgeois. Mais il convient aussi de ne pas oublier les œuvres
précieuses perdues, connues par de plus modestes vestiges, par des copies, par des
débris, tout comme par la sphragistique et nombre de trésors monétaires, ni que
212. É. Prioux, op. cit. (n. 168), p. 238 s. ; Benjamin Acosta-Hughes, « Miniaturizing the Huge:
Hercules on a Small Scale (Theocritus Idylls 13 and 24) », in Brill’s Companion to Greek and Latin Epyllion
and Its Reception, Leyde, Brill, 2012, p. 245-257 ; P. Linant de Bellefonds et É. Prioux, Voir les mythes. Poésie
hellénistique et arts figurés, Paris, Picard (Antiqua), 2017. À notre époque, Properce (III, 9), défend les
petites pièces dans la continuation de propos bien connus de Callimaque.
92
HENRI-PAUL FRANCFORT
des chefs-d’œuvre existaient 213. La Bactriane n’est pas demeurée à l’écart des
courants artistiques de l’époque, nous l’avons vu à Takht-i Sangin et à Tillya Tépa
et nous y revenons maintenant avec quelques œuvres monumentales.
Arts monumentaux : Dilbardjin, Noin-Ula
Bien que l’architecture soit un vecteur fondamental de la transmission de
l’héritage hellénique centrasiatique, nous ne pouvons traiter ici des très nombreux
éléments architectoniques dont l’histoire bien connue se continue jusque sous les
Kouchans. Les grands décors architecturaux peints, les reliefs en stuc ou en terre
crue, après les œuvres hellénistiques du palais d’Aï Khanoum réduites en petits
fragments par les pillages des « occupants post-Grecs », sont très rares à nous être
parvenus avant les Kouchans. Pour notre époque, hormis Nisa qui est en Parthie, le
monument de Khalchayan avec ses hauts-reliefs est l’exemple unique pour la
Bactriane, le plus connu et publié, mais les peintures y sont pratiquement
inexistantes 214. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de revenir sur la grande
peinture monumentale des Dioscures de Dilbardjin Tépé qui est unique,
exceptionnelle à plus d’un titre (fig. 51 et 52).
Le site, fondé à l’époque achéménénide, est surtout connu pour ses vestiges
d’époque kouchane, mais la fouille du temple dit « aux Dioscures » concerne très
précisément l’époque finale de la domination grecque ou la période immédiatement
postérieure 215. Une grande peinture murale y représente les Dioscures à pied, nus
et un manteau passé sur l’épaule, tenant leurs chevaux par la bride. Une frise de
213. À la fin de l’époque hellénistique, la ciselure est devenue la référence en théorie des arts,
supplantant la peinture : A. Rouveret, Histoire et imaginaire de la peinture ancienne (V e siècle av. J.-C.-I er siècle
apr. J.-C.), Rome, École française de Rome (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 274),
1989, p. 418 et n. 92, avec une référence aux khalkoi pinakes du temple de Taxila que mentionne Philostrate
(peut-être celui de Jandial ?), d’après ses sources ou son imagination.
214. Voir pour ce site supra n. 50 et PeintMiran, p. 23-64.
215. I. Kruglikova, au vu des Dioscures, a daté ces peintures de l’époque hellénistique, du règne
d’Eucratide, roi qui a représenté ces divinités au revers de ses monnaies, cavaliers ou à pied. I. T. Kruglikova,
Dilberdzhin 1, Moscou, Nauka, 1974, p. 16-48, et p. 106 en français, où il est dit que la peinture remonte à
l’état premier de l’édifice, aux bases attiques, et que le mur fut ensuite doublé par un autre qui masqua et
protégea la peinture ; Id. (éd.), Drevnjaja Baktrija 1 (Materialy Sovetsko-Afganskoj Arkheologicheskoj
Ekspedicii, vol. 1), Moscou, Nauka, 1976, p. 87-93 et p. 185-186 résumé en français ; Id., « Les fouilles de la
mission archéologique soviéto-afghane sur le site gréco-kushan de Dilberdjin en Bactriane », Comptes rendus
des Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 1977, fasc. II (avril-juin), p. 407-427 ; Id.,
Dil’berdzhin. Khram Dioskurov, Materialy sovetsko-afganskoj arkheologicheskoj ekspedicii, Moscou,
Nauka, 1986. Importants comptes rendus critiques : P. Bernard, Abstr. Ir., 10, 1987, no 189 ; T. Fitzsimmons,
« Chronological Problems at the Temple of the Dioscuri, Dil’berdzin Tepe (North Afghanistan) », East and
West 46, 3-4, 1996, p. 271-298.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
Fig. 51. – Dilbardjin Tépé (Afghanistan). Peinture murale
aux Dioscures (dessin). D’après I. T. Kruglikova,
Dilberdzhin 1, Moscou, Nauka, 1974, pl. 2.
93
Fig. 52. – Idem, dessin. D’après
I. T. Kruglikova, Dilberdzhin 1, Moscou,
Nauka, 1974, fig. 16.
méandres passe sous leurs pieds et au-dessus un registre supérieur laisse voir les
jambes de petits personnages courant ainsi que l’image d’un masque théâtral posé
sur le bandeau. Le corps des Tyndarides est peint en rouge sombre et ils sont
représentés de trois-quarts, indiquant une période ancienne et un style grec 216.
Cette peinture, à la différence de celles de la Chorasmie, du Séistan ou des peintures
bouddhiques plus récentes, montrant des sujets royaux ou religieux orientaux
peints de face ou de profil en aplats, présente un thème purement gréco-romain.
Les monnaies du site confirment la présence d’une continuité d’occupation des
216. Sur des peintures de même époque où les corps sont également rouge brique, à Kuh-i Khwajah :
M. A. Stein, Innermost Asia, 4 vol., Oxford, 1928 ; Roman Ghirshman, Iran. Parthes et Sassanides, Paris,
Gallimard (L’univers des formes), 1962 ; G. Gullini, Architettura iranica, Turin, 1964 ; D. Faccenna, « A
New Fragment of Wall-Painting from Ghaga Shahr (Kuh-i Khwaja-Sistan, Iran) », East and West 31, 1-4,
1981, p. 83-97 ; T. S. Kawami, L. Becker et R. T. Koestler, « Kuh-e Khwaja, Iran, and its wall paintings:
The records of Ernst Herzfeld », Metropolitan Museum Journal, 1987, p. 13-52 ; Soroor Ghanimati, « New
perspectives on the chronological and functional horizons of Kuh-e Khwaja in Sistan », Iran 38/1, 2000,
p. 137-150 ; discussion dans Ch. Baratin, Les provinces orientales de l’empire parthe, thèse inédite de
l’université de Lyon II, 2009, p. 302-316 : rapproche les peintures anciennes du site de Kuh-i Khwaja,
couleur « terre cuite », de celles de Dilbardjin et les attribue au début de l’époque parthe. P. Bernard opte
pour le ier siècle av. J.-C. pour Dilbardjin et le ier siècle apr. J.-C. pour Kuh-i Khwajah : P. Bernard et
H.-P. Francfort, « Nouvelles découvertes dans la Bactriane afghane », Annali dell’Istituto Orientale di
Napoli 39 (N.S. XXIX), 1979, p. 130-131 et n. 13. Pour d’autres peintures de notre époque à Khalchayan,
Fayaz Tépé, Dal’verzin Tépé, Nisa et Miran, voir : PeintMiran, p. 40-43.
94
HENRI-PAUL FRANCFORT
Gréco-Bactriens à la fin de la période kouchane, époque où des peintures d’un tout
autre style ornent les murs 217. Les inscriptions bactriennes du temple, gravées sur
les pierres d’un autel et fragmentaires, sont évidemment en alphabet grec, mais
d’époque kouchane 218. C. Lo Muzio a donné une étude de cette peinture avec des
parallèles en remontant à la Casa dei Dioscuri de Pompéi (45-79 apr. J.-C.) 219 et à la
série chronologique des images des Dioscures, pour la dater finalement des
iie-iiie siècles apr. J.-C. et la mettre en rapport avec un culte à une déesse et avec les
peintures les plus récentes du site, dont l’iconographie et le style sont très différents
et qui appartiennent à des cultes orientaux, notamment shivaïtes 220. Or, une date
aussi tardive ne peut être retenue, dans la mesure où la paroi aux Dioscures,
ancienne, a été masquée lors d’un doublage par un mur plus récent (à l’état 2 ou
3 de l’édifice). Malgré les imprécisions de la chronologie de ce monument, cette
peinture, si elle ne remonte pas au règne d’Eucratide, peut avoir été exécutée à tout
moment ensuite, jusqu’au ier siècle apr. J.-C. 221. Le parallèle pompéien prend alors
tout son sens, non seulement par l’analogie formelle et stylistique de la composition,
mais également du fait de sa monumentalité (elle est conservée sur une hauteur de
2,13 à 2,40 m). De plus, la présence des bandeaux haut et bas donne une cohérence
à l’ensemble que l’on ne retrouve pas dans les emprunts tardifs à l’art hellénisé en
Asie centrale où les motifs sont reproduits isolément et généralement dans des
œuvres complètement différentes. Ainsi, non seulement le méandre qui court au
bas sous les pieds des jumeaux renforce cette analogie pompéienne mais aussi, et
peut-être plus encore, le registre supérieur (mal conservé) où l’on peut voir les
jambes nues des petits personnages qui s’affairent, comme ceux des frises
217. Dilbardjin : B. I. Vajnberg et I. T. Kruglikova, « Monetnye nakhodki iz raskopok Dil’berdzhina »,
in Drevnjaja Baktrija 1, I. T. Kruglikova éd., vol. 1 (Materialy Sovetsko-Afganskoj Arkheologicheskoj
Ekspedicii), Moscou, Nauka, 1976, p. 172-182 ; Id., « Monetnye nakhodki iz raskopok Dil’berdzhina », in
Drevnjaja Baktrija 3, I. T. Kruglikova éd., vol. 3 (Materialy Sovetsko-Afganskoj Arkheologicheskoj
Ekspedicii), Moscou, Nauka, 1984, p. 125-135 : plusieurs gréco-bactriennes hors contexte, une imitation
d’Hélioclès, un Héraos, plusieurs Sôter Megas, mais pas de Kujula Kadphisès.
218. V. A. Livshic et I. T. Kruglikova, « Fragmenty baktrijskoj monumental’noj nadpisi iz
Dilberdzhina », in Drevnjaja Baktrija 2, I. T. Kruglikova éd., vol. 2 (Materialy Sovetsko-Afganskoj
Arkheologicheskoj Ekspedicii), Moscou, Nauka, 1979, p. 98-112.
219. Style IV, 45 apr. J.-C.-79 apr. J.-C. Dioscures sur fond rouge, nus, couvre-chef blanc surmonté
d’une étoile, manteau jeté sur l’épaule, lance à la main, tenant leur cheval par la bride. Un peu plus petits
que Dilbardjin, mais la ressemblance est extrêmement frappante.
220. C. Lo Muzio, « The Dioscuri at Dilberjin (Northern Afghanistan): Reviewing their Chronology
and Significance », Studia Iranica 28/1, 1999, p. 41-71 ; F. Grenet, « L’Athéna de Dil’berdzin », in Cultes et
monuments religieux dans l’asie centrale préislamique, F. Grenet éd., Paris, CNRS, 1987, p. 41-45.
221. Voir P. Bernard, Abstr. Iranica, 1987, no 189.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
95
gréco-romaines (Érotes ?) 222. Plus encore, sur le relevé aquarellé fait sur place par
les restaurateurs au moment de la découverte avant la dépose de la peinture, un
grand masque théâtral apparaît clairement posé sur la ligne de sol 223. Il est
malheureusement d’identification délicate, mais s’inscrit totalement dans les
réalisations de la peinture pompéienne, campanienne et romaine 224. De plus, une
telle monumentalité n’est pas sans rappeler l’importance des peintures
monumentales des Dioscures de Pompéi qui étaient le fait de grandes familles 225.
222. Il s’agit d’un type de composition animée, ignoré en Asie centrale à ma connaissance, et différent
des frises régulières d’Érotes guirlandophores. Voir en revanche Stéphanie Wyler, « Frises dionysiaques
dans la peinture romaine (ier s. av.-ier s. apr. J.-C.) », in D’Alexandre à Auguste. Dynamiques de la création dans
les arts visuels et poésie, Pascale Linant de Bellefonds, Évelyne Prioux et Agnès Rouveret éd., Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2015, p. 235-247, et également, en Orient hellénistique, par exemple, les Érotes
conduisant des chars à caprinés de Jebel Khalid : Heather Jackson, « Erotes on the Euphrates: A Figured
Frieze in a Private House at Hellenistic Jebel Khalid on the Euphrates », American Journal of Archaeology,
2009, p. 231-253.
223. Ce masque ne figure que sous la forme de tracés sur d’autres dessins faits plus tard à Moscou, et
il est malheureusement illisible sur les photographies de la peinture exposée remontée au musée national de
Kaboul que j’ai prises en 1980. Les masques de théâtre sont fréquents dans des guirlandes hellénistiques
(par exemple Andrew Stewart et S. Rebecca Martin, « Hellenistic Discoveries at Tel Dor, Israel », Hesperia,
2003, p. 121-145, p. 134 s. mosaïque de Tel Dor, avec guirlande, bouquet et méandre, comparés à Pergame,
Alexandrie, Pompéi [maison du Faune], date du milieu à la fin du iie s. av. J.-C.) mais surtout ils apparaissent
nombreux, posés dans les décors pompéiens, campaniens et romains d’époque julio-claudienne. Sur les
masques de théâtre en Asie centrale, voir supra n. 189 : l’un, le mascaron en marbre et de petite dimensions
(8 x 5 x 4 cm) est du reste considéré comme romain.
224. Voir : A. Allroggen-Bedel, Maskendarstellungen in der romisch-kampanischen Wandmalerei,
Munich, Wilhelm Fink, 1974 : masque tragique : Abb. 5; Abb. 12, no 81, p. 156 le panchrestos à haut onkos ;
Gianfilippo Carettoni et Helmuth Nils Loose, Das Haus des Augustus auf dem Palatin, Mayence, Verlag
Philipp von Zabern, 1983 : la « salle des masques », du 2e style pompéien ; Margarete Bieber, The history of
the Greek and Roman theater, Princeton, NJ, Princeton University Press, 1961, fig. 594. Voir un masque
tragique de panchrestos avec haut onkos, posé sur une corniche blanche, 80 av. J.-C.-20 av. J.-C., style II,
Musée archeologique national de Naples, inv. 9808 ; autre masque : seconde moitié 49 av. J.-C.-01 av. J.-C. ;
Musée archeologique national de Naples, inv. 9853.
225. A. Rouveret, que je remercie vivement, m’a communiqué per litteras les informations suivantes :
« Voici quelques renseignements complémentaires à propos de la représentation des Dioscures de la Casa dei
Dioscuri de Pompéi. Le parallèle avec les peintures murales de Dilbardjin Tépé est frappant. Un élément
remarquable est qu’à Pompéi, il s’agit d’une iconographie rare d’après l’étude de Lucia Romizzi, « La casa
dei Dioscuri di Pompei (VI 9, 6.7): una nuova lettura », in Contributi di Archeologia Vesuviana II, Studi della
Soprintendenza archeologica di Pompei, 18, Rome, « L’Erma di Bretschneider », 2006, p. 77-155, en
particulier p. 87-90 et fig. 5-7 pour les Dioscures. Pour l’auteur, la représentation des Dioscures dans le
vestibule de la demeure pourrait indiquer l’appartenance du propriétaire à l’ordre équestre. Deux autres
représentations se trouvent dans deux édifices, datés comme la maison dans la dernière phase de vie de la
cité : les Thermes du Sarno (VIII, 2, 17-21) et l’Edificio dei Triclini de Moregine (quartier portuaire), qui
seraient également liés à l’activité des propriétaires de la Casa dei Dioscuri. Ces derniers sont identifiés par
L. Romizzi avec Cn. Alleius Nigidius Maius et sa fille Alleia Maia, sacerdos Veneris et Cereris. Ces
personnages de premier plan dans la cité seraient également étroitement liés à la reconstruction du Macellum
de Pompei (M. Torelli, « Il culto imperiale a Pompei », in I Culti della Campania antica, Atti del Convegno
di Studi in ricordo di N. Valenza Mele, Rome, 1998, p. 245-270) ».
96
HENRI-PAUL FRANCFORT
Ne serait-il pas dès lors envisageable que cette exceptionnelle peinture de Dilbardjin
fût le résultat d’échanges directs avec le monde méditerranéen à notre époque, de la
venue près de Bactres d’un artiste formé à l’univers de la peinture romaine ? Il n’est
peut-être pas hors de propos de rappeler que non seulement Eucratide (dont le
règne finit en 145 av. J.-C.), mais aussi Timarque, le satrape d’Ecbatane d’origine
milésienne, usurpateur qui régna brièvement en Médie entre 163 et 160, frappèrent
des monnaies aux Dioscures cavaliers au revers, tandis qu’ils figurent debout sur
certaines des émissions d’Eucratide et plus tard de l’Indo-Grec Diomède (vers
95-90 av. J.-C.) avec manteau et lance, coiffés du pilos. Enfin, cette tradition
picturale monumentale gréco-romaine est encore celle que nous rencontrons en
Mongolie, à Noin-Ula, mais cette fois sur de grandes tentures brodées.
Compositions « monumentales » et bordures ornementales de Noin-Ula.
Des motifs et thèmes ornementaux hellénisés de notre époque apparaissent sur
divers supports, notamment sur des bandeaux et registres de bordure, ou dans des
entablements, avec des apports romains surtout visibles à Noin-Ula et dans le
Gandhāra. Les Érotes en buste surgissant de calices floraux, griffons, lions cornus,
rinceaux, palmettes, et les positions d’agencement de ces éléments rappellent très
fortement des modèles méditerranéens caractéristiques que je tente de rappeler et
de préciser avec de nouveaux apports 226.
Noin-Ula (ou Noyon-Uul) est le site du nord de la Mongolie où ont été fouillés
plusieurs kourganes des élites Xiongnu bien datés du ier siècle de notre ère. Des
objets d’origine proprement Xiongnu (pièces de harnachement par exemple) y
voisinent avec un char de type chinois, des laques et des soies chinoises, mais aussi
avec des objets hellénistiques, dont des textiles syriens, qui ne peuvent être plus
récents que le milieu ou la seconde moitié du ier siècle 227. N. Polosmak de l’Institut
226. Voir aussi NomInst. Ces tentures brodées du ier siècle sont ici attribuées à la Bactriane ou au
Gandhāra et au milieu royal des Yuezhi ou des premiers Kouchans, les scènes représentées sont peut-être
plus anciennes que la broderie elle-même, d’où l’emploi du terme de Yuezhi/Kouchan (voir infra n. 245).
227. Fouilles anciennes : C. Trever, Excavations in Northern Mongolia (1924-1925), Léningrad,
1932 ; S. I. Rudenko, Die Kultur der Hsiung-Nu und die Hügelgräber von Noin Ula, Bonn, Rudolf Habelt
Verlag, 1969. Sur les nouvelles fouilles : V. Polosmak et alii, « The Han Chariot From Noin Ula Mound 20
(Mongolia) », Archaeology Ethnology & Anthropology of Eurasia 36/4, 2008, p. 63-69 ; N. V. Polosmak et alii,
« The Burial Construction Of Noin Ula Mound 20, Mongolia », Archaeology, Ethnology & Anthropology of
Eurasia 34/2, 2008, p. 77-87 ; M. Pirazzoli-t’Serstevens, « Chinese Lacquerware from Noyon uul: Some
Problems of Manufacturing and Distribution », The Silk Road 7, 2009, p. 31-41 ; A. N. Chistyakova,
« Lacquer cups of the Western Han Dynasty (Noin Ula, Mongolia): an analysis of inscriptions »,
Archaeology, Ethnology and Anthropology of Eurasia 39/4, 2011, p. 83-89 ; N. V. Polosmak, « Embroideries
on Garments from Kurgan 20 of the Noin-Ula Burial Ground », Anabasis. Studia Classica et Orientalia 3,
2012, p. 267-288 (soie brodée, héros, dragon) ; S. A. Yatsenko, « Yuezhi on Bactrian Embroidery from
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
97
d’Archéologie, d’Anthropologie et d’Ethnologie de la branche sibérienne de
l’Académie des Sciences de Russie, a dirigé les fouilles les plus récentes et a
nouvellement publié un article faisant le point sur des tentures brodées polychromes
d’origine bactrienne ou gandhārienne. Cette étude met bien en évidence des thèmes
iconographiques qui auraient été brodés sur place sur des pièces d’étoffe d’origine
syrienne 228. Les rapports avec la Syrie sont attestés par la présence de tissu
polychrome orné de manufacture syrienne dans le kourgane no 22, ainsi que dans
des kourganes voisins 229. La tenture du kourgane no 20 met en scène une cérémonie
de cour. Il s’agit d’une scène de filtrage de vin recueilli dans un cratère et de boisson
à la grecque qui a été rapprochée d’une palette gandharienne 230 (fig. 11). Ainsi, sur
la même broderie, le filtrage du vin dans un cratère de forme gréco-bactrienne, le
geste du souverain assis sur un tabouret pliant comparable à la sella curulis buvant à
une coupe hémisphérique, en présence de sa cour alignée et devant une enseigne au
lion, semblent typiques du milieu royal Saka-Yuezhi hellénisé tel qu’il peut
apparaître sur les palettes du Gandhāra et ailleurs, jusqu’à Kujula Kadphisès 231.
Textiles Found at Noyon uul, Mongolia », The Silk Road 10, 2012, p. 39-48 ; Elena Karpova et alii,
« Xiongnu burial complex: A study of ancient textiles from the 22nd Noin-Ula barrow (Mongolia, first
century AD) », Journal of Archaeological Science 70, 2016, p. 15-22.
228. N. V. Polos’mak, « Nouvelles découvertes de tentures polychromes brodées du début de notre ère
dans les tumuli no 20 et n° 31 de Noin-Ula (République de Mongolie) », Arts Asiatiques 70, 2015, p. 3-32 ;
l’auteur indique que l’on a utilisé du tissu syrien comme fond à la broderie, mais que celle-ci fut exécutée en
Asie centrale, chez les Xiongnu en Mongolie selon elle, plutôt en Bactriane ou au Gandhāra à notre avis.
Les relations avec la Syrie mais aussi avec le Gandhāra sont bien précisées, ainsi que celles avec les Saka et
les Yuezhi.
229. Dans le kourgane no 22 : N. V. Polosmak et E. V. Karpova, « Remains of tapestry from a Xiongnu
(Early 1st Century AD) Burial in Mound 22 at Noin-Ula », Archaeology Ethnology and Anthropology of
Eurasia 44/4, 2016, p. 76-82 ; dans le kourgane Kondratev : S. I. Rudenko, op. cit. (n. 227), pl. LXVIII,
LXIX et fig. 74 et 75 ; voir aussi de semblables tissus à Palmyre : A. Schmidt-Colinet, Palmyra:
Kulturbegegnung im Grenzbereich, vol. 27, Mayence, Verlag Philipp von Zabern, 1995 ; A. Schmidt-Colinet
et A. Stauffer, Kh. Asʻad, avec des contributions de H. Böhmer, L. von Falkenhausen, R. Karadag et
A. Rinuy, Die Textilien aus Palmyra. Neue und alte Funde (Damaszener Forschungen, 8), Mayence, Verlag
Philipp von Zabern, 2000.
230. N. Polosmak, p. 7-15 ; Nom Inst, p. 1560-1564, fig. 9 à 11.
231. Aux parallèles déjà proposés alors (NomInst), on peut ajouter une palette gandhārienne : boisson,
avec cratère et kyathos du Metropolitan Museum de New York (no 1986.490.2) ; la coupe hémisphérique
représentée à Noin-Ula est analogue à celles de « trésors » vus ci-dessus ; sur la sella curulis et Kujula
Kadphisès, voir supra n. 53 ; sur l’enseigne : Michael Shenkar (« The Headdress of the Tillya Tepe
“Prince” », Ancient Civilizations from Scythia to Siberia 23/1, 2017, p. 151-183), doute qu’il s’agisse d’un
lion, ignorant peut-être que tous les lions kouchans ou gandhāriens n’ont pas de crinière très touffue et
présentent un corps très aminci ; de plus, son article insiste uniquement sur les traits parthes à Tillya Tépa
(certains quelque peu controuvés comme la restitution qu’il propose d’une coiffe), délaissant les autres
éléments de la sépulture no 4 qui donnent au défunt une persona multiple (pulagide, scythe, indo-parthe,
etc.) et en particulier très nettement steppique, comme j’avais tenté de le montrer. Sur Tillya Tépa et les
Parthes voir la bibliographie de RoiAn ainsi que Sara Peterson : « Parthian Aspects of Objects from
98
HENRI-PAUL FRANCFORT
Les relations avec le Gandhāra sont encore mises en évidence de manière frappante,
par la présence de kètea dans l’ornementation de la bordure de la pièce du kourgane
no 20. Ce monstre est d’une morphologie comparable à ceux de certaines palettes
notamment du groupe « C », « indo-scythe », de PdG 232. L’ascendance hellénistique
est certaine et nous avions mentionné jadis un médaillon de Tarente 233. L’on peut
se demander aujourd’hui si, en plus des reliefs de l’autel dit de Cn. Dom.
Ahenobarbus 234, les monstres aquatiques d’autres reliefs contemporains ne seraient
pas aussi à prendre en compte, comme ceux de petits cadres aux Néréides montées
sur des Tritons ou des kètea de bases de colonne de Didymes 235, ou ceux, un peu
Grave IV, Tillya Tepe, with particular reference to the medallion belt », masters degree dissertation, 2012
(www.academia.edu/1485067/) ; Marek Jan Olbrycht, « Archaeological Discoveries at Tillya–tepe and
Parthia’s Relations with Bactria », Parthica 18, 2016, p. 9-29.
232. Parallèle bien remarqué par N. Polosmak, op. cit. (n. 228), p. 14-15, fig. 29-23. Sur ces monstres
mythologiques, voir aussi J. Pons, « From Gandhāran trays to Gandhāran Buddhist art: the persistence of
Hellenistic motifs from the second century BC and beyond », in From Pella to Gandhāra. Hybridation and
Identity in the Art and Architecture of the Hellenistic East, A. Kouremenos, S. Chandrasekaran et
R. Rossi éd., Oxford, Archaeopress (BAR International Series), 2011, p. 155-159 ; N. Manassero, « Marine
monsters in the desert sands: thoughts on some sealings from Parthian Nisa », Parthica 16, 2014, p. 93-110 ;
Katsumi Tanabe, « Diffusion of Ketos Imagery from the Mediterranean to the East via Gandhāra »,
Gandhāran Studies 9, 2015 ; Seungjung Kim, « Gandhāran Odalisque: Mounted Nereids on Gandhāran
Stone Palettes », in Greek Art in Motion: Studies in Honor of John Boardman’s on the Occasion of his 90th
Birthday, R. Morais, D. Leao et D. R. Perez éd., Oxford, Archaeopress, 2019, p. 386-395 ; voir aussi
BraceGrec, p. 271-273, IndOx, no 183, et WmetE, p. 56-57, cat. No 51 avec des observations importantes sur
la position de la Néréide sur le dos du kètos. N’oublions pas non plus, dans la tradition locale centrasiatique,
la présence des kètea gréco-bactriens dès la salle d’eau du palais d’Aï Khanoum ni celui qui orne le tapis sur
le dos de l’éléphant de la phalère d’argent gréco-bactrienne de l’Ermitage (voir : supra n. 122). Une Néréide
apparaît encore, portée par un anguipède, sur une coupelle en céramique glaçurée à médaillon de Suse
parthe (A. Invernizzi et V. Messina éd., Sulla via..., op. cit. [n. 194], no 88).
233. PdG, p. 88-89 et pl. XLIX A : couvercle de boîte à onguents en coquillage de Tarente fin
iiie-début iie siècle, sur lequel voir aussi É. Prioux, op. cit. (n. 168), p. 170-171 : la fig. 34 montre l’intérieur,
avec la Néréide vue de dos, et le revers une nymphe vue de face chevauchant une panthère marine ; le
commentaire d’É. Prioux mentionne la sphère féminine et la beauté corporelle des épigrammes nos 11 et 12
de Posidippe de Pella évoquant des coquilles gravées.
234. PdG, p. 88-89 et pl. XLVIII B (autel de Cn. Domitius Ahenobarbus, Glyptothek, Munich),
M. Bieber, The Sculpture of the Hellenistic Age, New York, 1967, fig. 808-809, p. 187 cortège de Poséidon et
Amphitrite (vers 40 av. J.-C.) avec Érotes, mais aussi PdG, pl. XLIX B (vasque du musée capitolin du ier s.
apr. J.-C. d’Arcésilas ?) néo-attique avec masques ou têtes (M. Bieber, op. cit., fig. 806, 807) : ichtyocentaures
et kètea, avec Néréides vues de dos sur les deux ; voir aussi le décor de la sandale d’un pied monumental du
Musée capitolin de Rome (fig. 726) à Érotes sur Tritons, ainsi que les nombreux Érotes sur des dauphins
(Tillya Tépa et ailleurs) ; sur Néréide et centaure : Alain Pasquier, « De la néréide à la centauresse. Un
porte-lampes en bronze inédit conservé au musée du Louvre », Monuments et mémoires de la Fondation
Eugène Piot 90, 2011, p. 5-43, ier av. J.-C.-ier apr. J.-C. On peut rappeler ici l’étonnante ichtyocentauresse en
ivoire de Takht-i Sangin tenant une rame sur son épaule qui peut être de date hellénistique mais aussi
postérieure (B. A. Litvinskij et I. R. Pichikian, « River-Deities of Greece Salute the God of the River
Oxus-Vakhsh. Achelous and the Hippocampess », in A. Invernizzi éd., op. cit. [n. 11], p. 129-49).
235. Petits cadres des bases dodécagonales du Didymeion de Milet (B. Haussoulier et E. Pontremoli,
Didymes. Fouilles de 1895 et 1896, Paris, Ernest Leroux, 1904, p. 149 s., pl. XV) avec Éros chevauchant un
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
99
Fig. 53. – Noin-Ula (Mongolie), broderie à scène de cérémonie, kourgane no 31. Cliché N. V. Polos’mak,
Institut d’Archéologie d’ethnologie et d’anthropologie de la branche sibérienne de l’Académie des Sciences
de Russie, Novosibirsk (« Nouvelles découvertes de tentures polychromes brodées du début de notre ère
dans les tumuli no 20 et no 31 de Noin-Ula (République de Mongolie) », Arts asiatiques 70, 2015, fig. 26).
plus récents, du relief de Tellus de l’Ara Pacis Augustae, ou de la cuirasse de la
statue de Néron de Bologne, bien que la position des figures humaines soit tout
autre. Quoi qu’il en soit, cet ensemble de motifs et de traits de la tenture du
kourgane no 20 de Noin-Ula, tant le thème principal que la bordure, nous oriente
directement vers les environs du début de n. è. et pointe, non pas vers le monde des
Xiongnu de Mongolie, mais en direction de celui des Yuezhi/Kouchans alors établis
en Bactriane et au Gandhāra. Sur une autre tenture (fig. 53), provenant du kourgane
no 31, une cérémonie cultuelle est figurée où une procession de guerriers suit un
personnage royal que son diadème aux rubans flottants et sa physionomie
conduisent à identifier à Héraos ; l’autel à cornes, moulures et entablement sur
lequel brûle un feu et au-dessus duquel il lève un objet difficilement identifiable est
monstre marin (au Louvre) et une Néréide sur Triton (in situ) ; sur les sujets marins, p. 150-155, ils voyaient
une inspiration milésienne et l’influence de Scopas (Plin. XXXVI. 26) était avancée ainsi que le parallèle
avec les panneaux de Munich ; mais, selon Carle Claude Van Essen, ils datent des environs de 150 av. J.-C.
et ils ne devraient rien à Scopas (« Notes sur le deuxième Didymeion », Bulletin de Correspondance hellénique,
1946, p. 612-613).
100
HENRI-PAUL FRANCFORT
ordinaire dans le monde gréco-romain oriental et dans l’univers kouchan/Yuezhi de
Bactriane 236. De l’autre côté de l’autel, face à lui et à la théorie, un personnage
masculin moustachu, armé d’une épée au côté, présente un aspect très différent.
Il s’agit probablement d’un suzerain, d’un « roi des rois » à qui les guerriers rendent
un hommage (comme des tribus réunies). Nous sommes en présence d’une scène
tout aussi royale que celle de la libation. Les fragments d’une autre tapisserie du
kourgane no 31 représentent une scène de bataille à l’épée, où un Saka en armure est
représenté mort, comme ceux de Khalchayan défaits par les Yuezhi 237 (fig. 54).
À son côté se tient un personnage debout en pantalon et tunique, barbu et coiffé
d’un chignon ou d’un bonnet traversé par des baguettes 238. À droite, un Yuezhi
apparemment (voir la procession), en veste croisée ceinturée à revers et pantalon
galonné, lève un bras armé sur un homme à longue chevelure noire ondulée, à la
barbe fournie, vêtu d’une tunique marron serrée par une ceinture à laquelle est
suspendue une épée et qui s’abrite derrière un grand bouclier rectangulaire orné
d’une série de six paires de losanges emboîtés. Il s’agit vraisemblablement d’un
Scythe combattant à pied, sans autre protection que ce bouclier, d’un type
étonnamment semblable à ceux qui étaient utilisés dans les régions de l’Altaï,
connus par des représentations et par les trouvailles du kourgane no 1 de Pazyryk 239
236. Voir N. Polosmak, op. cit. (n. 228), p. 18-27, fig. 26 à 40 (fig. 38 : l’autel) ; NomInst, p. 1566-1570,
et les parallèles des realia et des compositions avec l’art parthe et palmyrénien. Comme dans l’art du
Gandhāra, sur les palettes et ailleurs, la flamme représentée n’indique pas nécessairement que le feu soit
l’objet du culte.
237. NomInst, p. 1568 avec références ; N. Polosmak, p. 28-29, fig. 46-47.
238. N. Polosmak, op. cit. (n. 228), fig. 48 ; les coiffures en haut chignon traversé par des baguettes
apparaissent sur des représentations chinoises du Xinjiang, mais à une date bien plus récente. À ma
connaissance elles ne sont pas connues à notre époque.
239. N. Polosmak, op. cit. (n. 228), fig. 46 ; la forme et le décor sont exactement les mêmes que les
boucliers en clayonnage doublés de cuir des cavaliers scythes de Pazyryk, kourgane no 1 qui sont petits
(24 x 36 cm), mais ornés précisément de losanges emboités (S. I. Rudenko, Frozen tombs of Siberia. The
Pazyryk Burials of Iron-Age Horsemen, Londres, J. M. Dent & Sons Ltd, 1970, p. 219-220, pl. 114). Nous
sommes donc très probablement en présence de la représentation d’un Scythe combattant à pied, protégé
par un bouclier beaucoup plus haut que celui des cavaliers. Un tel bouclier rectangulaire est très
caractéristique mais il ne correspond exactement à rien de connu, autant que l’on puisse le savoir :
les boucliers en Bactriane et au Gandhāra sont circulaires ou ovales (B. Litvinskij, TiS II), les décors de
losanges sont inconnus et le costume du personnage n’est pas une tenue spécifique de guerrier. Mais des
Scythes combattant à pied, vêtus de tunique et pantalon, l’épée à la main, et sans protection aucune, sont
représentés sur le casque en or de Perederieva Moguila au nord-est de la mer d’Azov (Scythes, fig. 242 et
277 : l’un brandit un petit bouclier). Dans l’Altaï, en Touva, en Mongolie, des stèles de pierre, dites « stèles
à cerf », sont des images anthropomorphiques de guerriers et représentent schématiquement par des
gravures l’armement, offensif et défensif. Ce dernier comprend le bouclier en clayonnage, de petites
dimensions, plus souvent pentagonal que rectangulaire (E. A. Novgorodova, Drevnjaja Mongolija, Moscou,
Nauka, 1989, tableau p. 97) ; une dalle remployée dans la construction du kourgane d’Arjan-2 représente
l’un de ces boucliers (K. V. Chugunov, « Plity s petroglifami v komplekse Arzhan-2 (k khronologii arzhano-
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
101
Fig. 54. – Noin-Ula (Mongolie), broderie à scène de bataille, kourgane no 31. Cliché N. V. Polos’mak,
Institut d’Archéologie d’ethnologie et d’anthropologie de la branche sibérienne de l’Académie des Sciences
de Russie, Novosibirsk (« Nouvelles découvertes de tentures polychromes brodées du début de notre ère
dans les tumuli no 20 et no 31 de Noin-Ula (République de Mongolie) », Arts asiatiques 70, 2015, fig. 46).
Fig. 55. – Pazyryk 1, Russie. Bouclier à losanges du kourgane no 1. D’après
S. I. Rudenko, Frozen tombs of Siberia. The Pazyryk Burials of Iron-Age
Horsemen, Londres, J. M. Dent & Sons Ltd, 1970, p. 219-220, pl. 114.
102
HENRI-PAUL FRANCFORT
(fig. 55). Son abondante chevelure et sa barbe rappellent les représentations des
Scythes de la mer Noire ; ceux de l’Altaï et de la Mongolie sont figurés portant des
chevelures longues, flottantes ou nouées en chignon, ils arborent la moustache mais
sont glabres.
Toutes ces observations confirment l’origine Yuezhi/kouchane bactrienne ou
gandhārienne du ier siècle de ces tentures. Si le monde des steppes est cependant
indiqué, ce sont les armes plus que les physionomies ou les costumes des
protagonistes qui l’indiquent. Le mort en armure rappelle des Saka vaincus de
Khalchayan ou figurés comme associés ou ralliés, comme le personnage marchant
derrière un cheval la tenture de la procession. Le guerrier à pied au bouclier est
entièrement nouveau mais appartient aussi au monde des Scythes ou Saka.
Il pourrait donc s’agir, de l’avis général, d’une séquence narrative comme à
Khalchayan où la guerre (bataille), précéderait une alliance avec une cérémonie
religieuse dynastique (procession, présentation) ; quant à la scène de cour, de
filtrage et boisson de vin, elle se situerait à un moment de légitimation.
Les vainqueurs, plutôt en veste courte et pantalon à galon, cheveux mi-longs et fine
moustache, seraient évidemment les Yuezhi/Kouchans ou Tokhariens. Mais il reste
difficile de ranger ces tentures en séquence cohérente avec les fragments aux
cavaliers trouvés jadis dans le kourgane no 6 qui sont pourtant de même origine.
Dans les bordures des tapisseries, en plus du kètos/makara vu ci-dessus, et y
compris sur celles des plus anciennement trouvées (kourganes no 6 et no 25), certains
éléments sont d’origine directement hellénistique ou gréco-romaine, à commencer
par les palmettes et les rinceaux, mais aussi les lions cornus ou griffons flanquant
des végétaux comme dans les décors architecturaux d’Asie mineure, du temple
d’Apollon à Didymes et d’autres de Pergame 240. D’autres encore indiquent l’art de
Rome à l’époque julio-claudienne, semble-t-il : Éros émergeant en buste, armé
majemirskogo stilja) », in Tropoju tysjacheletij : k jubileju M. A. Devlet, D. G. Savinov et O. Sovetova éd.,
Trudy Sibirskoj Associacii Issledovatelej Pervobytnogo Iskusstva, vol. IV, Kemerovo, 2008, p. 53-69,
fig. p. 54). Des traits gravés parallèles figurent probablement les clayonnages des vrais boucliers.
240. NomInst, p. 1572-1573, n. 70-73 : F. Rumscheid, Untersuchungen zur kleinasiatischen
Bauornamentik des Hellenismus. Katalog, Abbildungsnachweis, Register, Tafeln und Beilagen, Mayence, Verlag
Philipp von Zabern, 1994, pour des griffons flanquant des palmettes, Didymes (pl. 26, 6 ; 27, 1-7 ; 28, 4, 7,
8) ; Pergame (pl. 139, 1 pour un rinceau à protome post-hellénistique par son style) et dans le deuxième
quart du ier siècle (pl. 140, 5-6) ; maintenant voir aussi les griffons parthes flanquant une palmette en Iran,
à Surkh Dum-i Lakki au Luristan, sur le chemin entre la Méditerranée et l’Asie centrale en quelque sorte,
mais à une date apparemment plus récente : R. Boucharlat, « L’Iran à l’époque hellénistique et parthe : un
état des données archéologiques », in ACOH, p. 123-138 ; A. Shishegar, « A newly discovered relief at Surkh
Dum-i Lakki, Kuhdasht, Lorestan », Nâme-ye Pazuhesgah 22-23 (spring-summer), 2008, p. 83-90, avec une
comparaison avec un relief sur un linteau parthe de Hatra conservé au Metropolitan Museum. Il est certain
qu’Éphèse, Milet, Priène, Magnésie du Méandre et leurs décors architecturaux sont pertinents aussi.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
103
d’une épée et d’un bouclier de forme circulaire combattant un volatile et des formes
de rinceaux. D’intéressants parallèles pour ces frises des bordures sont donnés par
les stucs et les peintures romains et par une poutre historiée du temple de Bêl à
Palmyre, datée de 32 241. Des êtres ailés à tête humaine, pas toujours très bien
conservés, sont plus difficiles à situer et demandent des recherches complémentaires,
mais ne surprendraient guère parmi les grotesques de la peinture du début de
l’Empire 242. Ces tentures représentant des Yuezhi/Kouchans, nous l’avons rappelé,
241. NomInst, p. 1572, n. 72 ; Erwin Schaefer avait très tôt proposé pour les ornements des textiles des
premiers kourganes les parallèles romains des stucs de la Villa de la Farnésine (« Hellenistic Textiles in
Northern Mongolia », American Journal of Archaeology 47/3, 1943, p. 266-77) ; ces parallèles n’ont fait que
se renforcer (I. Bragantini et M. de Vos, Muzeo Nazionale Romano. Le Pitture, II, 1. Le decorazione della
villa romana della Farnesina, Rome, De Luca Editore, 1982, Tav. 75, 80, 121, 126) avec des peintures
pertinentes à Érotes végétalisés, parfois armés ou combattant, de la Domus Aurea (Yves Perrin, « Êtres
mythiques, êtres fanstatiques et grotesques de la domus aurea de Néron », Dialogues d’histoire ancienne 8/1,
1982, p. 303-338 ; I. Baldassare et alii, La peinture romaine de l’époque hellénistique à l’Antiquité tardive,
Paris, Actes Sud, 2006 [2002], fig. p. 219-22) ou de la Domus transitoria (ex. I. Baldassare et alii, op. cit.,
fig. p. 207 bas). Tout récemment, la découverte de nouvelles peintures au plafond voûté de la « salle du
sphinx » de la Domus Aurea a été annoncée par le Parco Archeologico Del Colosseo, parmi lesquelles, dans
un cadre, apparaît un personnage végétalisé, armé d’une épée et d’un bouclier, attaqué par une panthère.
Sur le rinceau animé, voir le toujours utile J. M. C. Toynbee et J. B. Ward Perkins, « Peopled Scrolls:
A Hellenistic Motif in Imperial Art », Papers of the British School at Rome 18, 1950, p. 34, et toujours
H. Seyrig, « Antiquités de la nécropole d’Emèse», Syria 29, 1952, p. 204-250 ; 30, 1953, p. 12-14, Antiquités
syriennes V, 1958, p. 16-24, mais aussi les reproductions, dont certaines en couleur, du soffite de la poutre A
du péristyle du temple de Bêl où les Érotes chassant dans un rinceau ne sont pas sans rappeler Noin-Ula :
Henri Seyrig, Robert Amy et Ernest Will, Le temple de Bel à Palmyre, Paris, Geuthner, 1975, pl. 89, 90
(reproduction en couleur in Chr. Delplace, Palmyre. Histoire et archéologie d’une cité caravanière à la croisée
des cultures, Paris, CNRS Éditions, 2017, p. 29) des comparaisons avec le théâtre d’Arles sont avancées au
sujet de l’apparition du rinceau à protome au milieu du ier siècle av. J.-C., en écartant Alexandrie ou Pergame,
mais hésitant à propos de la Syrie sans ignorer les inventions d’Apatourios d’Alabanda.
242. N. Polosmak, op. cit. (n. 228), p. 26-27, fig. 44, 45 ; pour des Sirènes (?), une peinture de la domus
de M. Lucretius Fronto à Pompéi montre des Sirènes assez fines (3e-4e style) qui pourraient rappeler
Noin-Ula ; un panneau pompéien du British Museum en présente aussi, autour du bateau d’Ulysse
(no 1867,0508.1354). Pourtant il n’est pas certain qu’il s’agisse de Sirènes. Nos bustes ailés pourraient
émerger du rinceau, de telle sorte que les créatures ailées d’un bandeau ornemental de la lunette de l’Aula
Isiaca du Palatin à Rome, près de la demeure d’Auguste, qui apparemment émergent d’un rinceau, alternant
avec des fleurons, en sont vraiment les analogues les plus proches (I. Baldassare et alii, op. cit. [n. 241],
fig. p. 149). Les êtres ailés de Noin-Ula tiennent des branchettes de végétaux non identifiés à feuilles
lancéolées, et dans ce cas une comparaison avec un relief de la frise du temple du diuus Iulius où une divinité
végétalisée et ailée tend un fleuron (G. Sauron, L’histoire végétalisée. Ornement et politique à Rome,
G. Nicolini éd., Paris, Picard [Antiqua], 2000, p. 107-108 et fig. 45, 46 et p. 110) pourrait-elle être justifiée ?
De grands oiseaux aux ailes éployées du bandeau supérieur de la tenture (un seul conservé) possèdent un
long cou, ce sont des anatidés qui alternent avec des motifs végétaux ; est-il hors de propos de les rapprocher
d’un cygne et de candélabres de l’Ara pacis (G. Sauron, op. cit., fig. 100) ? Des investigations approfondies
pourraient-elles dire s’ils dérivent d’ensembles de ce type ? (voir infra, n. 246). Les Érotes émergeant de
calices floraux de la bordure de la broderie du kourgane no 6, pour leur part, semblent combattre de grands
oiseaux marchant. Enfin, le fond rouge des tentures mongoles n’est pas sans rappeler lui aussi la peinture
pariétale gréco-romaine.
104
HENRI-PAUL FRANCFORT
sont composées d’une façon qui dérive de l’art pictural gréco-romain et leurs
bordures, inspirées ou copiées directement ou indirectement sur des modèles
romains, trouvent encore des parallèles au Gandhāra, dans le décor sculpté de la
corniche de l’entablement des Stūpa no 14 (et no 17) de Butkara-I au Swāt,
également en rapport avec le monde romain et également daté du premier quart du
ier siècle par D. Faccenna 243. Que les panneaux des tentures polychromes de
Noin-Ula et de Shanpula soient bordés de registres et de bandeaux ornementaux,
comme l’est la peinture murale des Dioscures de Dilbardjin, n’est pas fortuit. Par
conséquent, la peinture hellénistique et romaine de Campanie et celle de la Rome
du Haut-Empire sont pour nous, et jusqu’à plus ample informé, comme la « source »
documentaire, culturelle et chronologique des restes de certains décors
monumentaux de période Saka-Yuezhi de l’Asie centrale et du Swāt, peut-être par
l’intermédiaire de palais que nous ne connaissons pas, en Iran, en Bactriane ou au
Gandhāra. Les textiles syriens découverts dans les kourganes et les comparaisons
palmyréniennes renforcent les relations culturelles envisagées, leur datation.
Toutes ces observations confirment que ces tentures ont été manufacturées en
Bactriane ou au Gandhāra, indiquent que ce sont des tentures royales qui
proviennent probablement de la cour des Yuezhi/Kouchans 244. Ces décors
243. Voir NomInst, p. 1572, n. 71 ; PeintMiran, p. 38-44, n. 53, 54. Les rapports entre le décor
architectural de Butkara I et Saidu Sharif et le monde gréco-romain sont très bien détaillés par Faccenna
(« The Artistic Center of Butkara I and Saidu Sharif in the Pre-Kusana Period », in D. M. Srinivasan éd.,
op. cit. [n. 3], p. 165-199). L’importance de la région du Swāt, directement située sur des itinéraires reliant
le Gandhāra à la Bactriane orientale et à la Chine par le Pamir et le Karakoram, régions pivot pour notre
époque, a été soulignée récemment par H. Falk dans un remarquable article : « The Five Yabghus of the
Yuezhi », Bulletin of the Asia Institute 28, 2018, p. 1-43.
244. Ces relations directes actives au ier siècle entre la Syrie, le monde des steppes, la Bactriane et le
Gandhāra ne concernent pas seulement les échanges de textiles, les « armes et costumes iraniens » ou le
harnachement des chevaux, mais également des circulations de bijoux impliquant jusqu’à la Bactriane de
notre époque. En effet, une nouvelle étude des « antiquités de la nécropole d’Emèse », jadis magistralement
analysées par Seyrig (H. Seyrig, « Antiquités de la nécropole d’Emèse », Syria 29, 1952, p. 204-250 ;
Syria 30, 1953, p. 12-14 = Antiquités Syriennes V, 1958, p. 1-60), met en évidence des parallèles avec Tillya
Tépa (Michaela Konrad, « The client kings of Emesa: a study of local identities in the Roman East »,
Syria 94, 2017, notamment p. 261-95 ; 267-273). Le style des bijoux à incrustations de turquoise de la
tombe no 1 d’Emèse est rapproché de ceux de la tombe bactrienne. La tête de mouflon d’une boucle de
ceinture trouve un parallèle précis avec celles qui ornent un fourreau quadrilobé en or incrusté de Tillya
Tépa (Id. , p. 271 ; sur la vaste diffusion des fourreaux quadrilobés, voir V. Schiltz éd., L’or des Amazones.
Peuples nomades entre Asie et Europe. VIe siècle av. J.-C.-IVe siècle apr. J.-C., Paris, Paris musées-Éditions
Findakly, 2001, p. 214-218 ; RoiAnon, p. 295-299 ; une autre tête de mouflon semblable proviendrait de
Bactriane, de « période indo-scythe » : AHE, no 79). Enfin, le gorgerin en or à trois joncs de la tombe no 11
d’Emèse (différent des torques parthes spiralés) trouve son exact analogue en Bactriane, à Dal’verzin Tépé.
Là, dans la fouille de la maison DT 5, sous le sol de la pièce no 13, un « trésor » a été mis au jour qui incluait
un semblable gorgerin en or à trois brins, auquel était attachée non pas une bulle comme à Emèse, mais une
intaille en cornaline gravée d’un buste d’Héraclès (notre fig. 56) (G. A. Pugachenkova, E. V. Rtveladze et B.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
105
Fig. 56. – Gorgerin en or et intaille de cornaline. Dal’verzin Tépa. D’après G. Pougatchenkova,
Les trésors de Dalverzine-Tépé, Léningrad, Éditions d’Art Aurore, 1978, nos 78, 79.
dynastiques qui étaient sans doute montrés accrochés dans les palais ou les tentes
(comme la tenture de Pazyryk-V) étaient aussi importants dans leur univers que
pouvaient l’être les reliefs de Persépolis pour les Achéménides ou ceux du
monument de Khalchayan 245. Mais ici les aspects narratifs et ornementaux, par
A. Turgunov, op. cit. (n. 43), p. 48-49, pl. III et VI ; G. Pougatchenkova, Les trésors de Dalverzine-Tépé,
Léningrad, Éditions d’Art Aurore, 1978, nos 78, 79 daté principalement du ier s. apr. J.-C.). On remarquera
que l’intaille est attachée horizontalement, comme celle du collier du « roi » de la tombe no 4 de Tillya Tépa.
Ce trésor comprenait aussi des lingots d’or inscrits en kharoṣṭhī indiquant leur poids en drachmes, deux
pièces de jeu d’échecs en ivoire, un collier à cinq brins tressés à terminaisons de capsules incrustées, des
boucles d’oreille analogues à d’autres en bronze (Ferghana, Tulkhar), une boucle de ceinture à incrustations
(comparaison avec Tillya Tépa et l’art parthe). Pugatchenkova datait justement ces objets du ier siècle et
attribuait ce trésor, dont bien des parallèles se trouvent à Sirkap, au propriétaire de la maison qui aurait
participé à des campagnes militaires en Inde. D’autres scénarios sont envisageables.
245. Les identifications proposées d’Héraos et d’autres princes face à Kujula Kadphisès (notre fig. 53),
lequel serait encore représenté sur l’autre tenture, trônant et buvant (notre fig. 11), sont très plausibles. Ces
œuvres, bien datées du ier siècle, pourraient donc remonter soit à Kujula Kadphisès, soit à Vima Taktu.
Cependant, il est difficile d’imaginer que les Yuezhi ou premiers Kouchans se seraient séparés
volontairement de ces broderies de leur cour (et de même pour le fragment découpé de la tapisserie de
Shanpula qui rappelle si fortement les reliefs royaux de Khalchayan) et qu’ils auraient pu les céder
volontairement aux Xiongnu. Il en découle que ces tentures pourraient avoir été manufacturées sous Kujula
Kadphisès ou peu après (sur les problèmes posés par les successeurs de Kujula, voir KH, p. 93-94,
§ 064-065), et qu’elles auraient ensuite été prises par des Xiongnu après une défaite des Yuezhi/Kouchans
en Asie centrale (sous Vima Taktu dont le règne semble avoir été très bref ? ou dans le cours de son règne
s’il est identique à Sôter Megas ?) avant que la situation ne soit ensuite rétablie par Sôter Megas (ou non s’il
est identique à Vima Taktu ?), puis stabilisée pour la dynastie kouchane par Vima Kadphisès. Ces
conjectures pourront-elles un jour être vérifiées ? Sur la succession et la chronologie : WmetE, p. 27-34 et
106
HENRI-PAUL FRANCFORT
leur structure, leur composition et leur potentiel symbolisme, tout éloignés qu’ils
en soient par leur style et par maints éléments, font quelque peu songer à certains
des reliefs de l’Ara Pacis de Rome 246. Quoi qu’il en soit, une dernière caractéristique
des arts de notre région à l’époque concernée apportera encore des précisions sur la
manière dont l’hellénisme a pu se maintenir, en contact avec le monde
méditerranéen.
Art hellénisé archaïsant en Asie centrale et dans l’Inde du nord-ouest
Un autre témoignage des rapports de l’Asie centrale lointaine avec le monde
hellénisé a été découvert dans le kourgane Xiongnu no 20 de Noin-Ula. Il s’agit
d’un médaillon en argent importé, un emblèma qui aurait été transformé en phalère
par son dernier propriétaire dans les steppes. Il a été récemment publié de façon
détaillée par M. Treister qui en date la confection entre la fin iie et le milieu du
supra, n. 44, 47, 53, 54. La proposition d’identifier Héraos à Kujula Kadphisès et Sôter Megas à Vima
Taktu s’accorde encore avec le scénario proposé ci-dessus, mais plus du tout si Héraos devait être daté du
ier siècle av. J.-C. H. Falk (op. cit. [n. 53], p. 7-10) remarque que les démêlés des Yuezhi avec les Han, à
l’époque de Vima Taktu, se déroulent au Xinjiang. Entre 78 et c. 89 ou 90, mort de Kujula, l’activité du
général chinois Ban Chao au Xinjiang devient primordiale, tout comme celle des Yuezhi (KH, p. 94-97,
§ 066-07) ; puis l’on observe que les Yuezhi/Kouchans (ou un vice-roi) attaquent Ban Chao à l’ouest de
Kucha en 90 mais qu’ils sont battus malgré leur supériorité numérique (KH, p. 97-100, § 074-075) ; une
telle défaite pourrait être à l’origine de la prise des tentures aux broderies royales qui, par l’intermédiaire des
troupes chinoises ou des alliés ou auxiliaires Xiongnu (?) auraient pu finir partagées entre les kourganes
princiers (de shanyu ?) à Noin-Ula. Mais il ne s’agit là que de l’un des scénarios possibles, car le texte ne
mentionne pas de « prise de la smala de Vima Taktu », bien que l’on sache que les Xiongnu ont été très
importants en exerçant des dominations sur les royaumes du Xinjiang au ier siècle, et entretenant des
relations complexes, alliés ou adversaires des Chinois ou des Yuezhi (voir les nombreuses analyses de
sources depuis É. Chavannes [« Les Pays d’Occident d’après le Heou Han chou », T’oung Pao 2/8, 1907,
p. 149-234 ; « Trois généraux chinois de la dynastie des Han orientaux », T’oung Pao, 1906, p. 210-69]
jusqu’à J. E. Hill (Through the Jade Gate – China to Rome. A Study of the Silk Routes during the Later Han
Dynasty, 1st to 2nd Centuries CE. An annotated translation from the Hou Hanshu ‘The Chronicle of the Western
Regions’. New Updated and Expanded Edition, 2 vol., Charleston, South Carolina, BookSurge, 2015).
246. On pourrait ainsi relever d’abord prudemment, mutatis mutandis, une séquence narrative très
générale : 1) [bataille et] soumission de peuples ; 2) concorde, paix, procession et cérémonie religieuse ;
3) prospérité [et boisson]. Mais (voir supra n. 242) il faudrait pouvoir compléter ces hypothèses par des
recherches spécialisées détaillées sur des décors d’autres monuments et par l’identification des oiseaux
(cygnes ?), des êtres ailés à tête humaine (Sirènes ou protomes émergeant végétaux ?), des végétaux et de
sortes de papillons, tant dans les bordures que dans le champ de la tenture de la procession, ainsi que le
dessin des rinceaux de vigne et des grenades sur celle de la boisson, comme a pu le faire par exemple pour
l’Ara pacis G. Sauron, op. cit. (n. 242). Il n’est pas indifférent non plus de remarquer que les vrilles des
vignes des rinceaux de Noin-Ula qui se continuent sous la forme de segments courbes en arcs de cercle
détachés allant en s’amenuisant, trouvent des parallèles dans des rinceaux gravés des rhytons ou peints sur
des murs de Nisa : E. Pappalardo, op. cit. (n. 135), pl. 101, rhyton no 8 au sacrifice ; V. N. Pilipko, op. cit.
(n. 80), fig. 19, p. 274, salle carrée, peints en blanc sur fond noir.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
107
Fig. 57. – Begram, Capisène
(Afghanistan). Sculpture en
ivoire de yakṣa debout sur
un makara. D’après
S. Mehendale, « The Begram
Carvings: itinerancy and the
Problem of “Indian” Art », in
Afghanistan: Forging
Civilizations along the Silk
Road, J. Aruz et E. Valtz
Fino éd., New HavenLondres, The Metropolitan
Museum of Art, Yale
University Press, 2011, fig. 2.
ier siècle av. J.-C. 247. Cette publication aborde la question du milieu de fabrication
de l’objet et n’exclut pas la Bactriane hellénisée, conclusion que je partage
certainement. J’ajouterai que les palettes du Gandhāra donnent d’autres exemples
de compositions de Satyres et de Ménades aux prises dans des situations analogues,
montrant que ce thème a été diffusé de l’Asie centrale au nord-ouest de l’Inde 248.
Mais un autre aspect important de cette œuvre a été peu remarqué jusqu’ici.
Il s’agit du style archaïsant du plissé « en serviette » très rigide du vêtement de la
Ménade, tracé en zigzag et qui ne tombe pas naturellement, mais est tracé
obliquement. Ce trait stylistique se retrouve nettement sur une pièce de la parure
du roi buvant sur la broderie du kourgane no 20 de Noin-Ula, manufacturée en
Bactriane ou au Gandhāra pour la cour des Yuezhi/Kouchans 249 (fig. 11). On le
rencontre aussi à Miran (peintures murales du ier s.), à Begram (statuettes d’ivoire)
(fig. 57) et dans le Swāt (divers reliefs bouddhiques dont certains de Butkara),
247. Mikhail Treister, « On the find of a phalera made from the medallion of a Hellenistic cup in
Barrow No. 20 of the Noin-Ula burial-ground (Northern Mongolia) », Ancient Civilizations from Scythia to
Siberia 22/1, 2016, p. 55-95 ; voir FigEmbl, fig. 10, p. 323.
248. FigEmbl, p. 305-39, p. 322-324, fig. 9 et 10 avec les références aux autres.
249. N. Polosmak, op. cit. (n. 228), fig. 6, p. 8 ; NomInst, fig. 9 et 12.
108
HENRI-PAUL FRANCFORT
comme je l’ai indiqué naguère 250. En Asie centrale, le plissé archaïsant et « en
serviette » se remarque encore à Nisa, sur des figures ciselées de rhytons en ivoire 251
et sur la paryphè médiane d’une statue féminine en marbre 252. De manière très
caractéristique, il est très nettement gravé, sur un tracé dessiné en queue d’aronde,
dans des émissions monétaires indo-grecques représentant Athéna alkidemos 253, de
Ménandre Ier (env. 160-135 av. J.-C.) 254 et de Straton Ier (120-110 av. J.-C.) 255 (fig. 58
et 59). Il est donc important de souligner que le courant artistique archaïsant
(néo-attique ?) n’a pas laissé notre région à l’écart, y parvenant très rapidement au
250. Voir : PeintMiran, p. 39-40 et fig. 18 et 19 (liens avec le Swāt), p. 48-64 et n. 80, fig. 36 (yakṣa de
Begram). Ce plissé en zigzag sur des drapés obliques est présent au ier siècle dans le Swāt, comme l’a précisé
A. Filigenzi (voir aussi Sulla Via, op. cit. [n. 194], nos 213 et 214 au milieu du ier s. apr. J.-C.) et il est particulièrement net sur deux statuettes en ivoire de yakṣa de Begram de même époque (notre fig. 57 ; S. Mehendale,
« The Begram Ivory and Bone Carvings: Some Observations on Provenance and Chronology », Topoi 11/1,
2001, p. 485-514, fig. 15 a et b). Ces statuettes de Begram sont à rapprocher de celles, contemporaines,
trouvées à Pompéi et à Sarakhs, et à comparer à la distribution de peignes d’ivoire gravés de Begram,
Dal’verzin, Tillya Tépa, Kampyr Tepa et Mele Hairam (Sarakhs) : voir PeintMiran. Les œuvres
archaïsantes des reliefs néo-attiques, bien que connues dès le ive siècle, sont produites, en général, de la fin
de l’époque hellénistique jusqu’au règne d’Antonin le Pieux (voir : T. B. L. Webster, Le monde hellénistique
[L’art dans le monde. Fondements historiques, sociologiques et religieux], Paris, Albin Michel, 1969,
p. 170-173 : Athènes et l’art néo-attique, l’archaïsme avec Ill. Suppl nos 14-16, plissé en serviette et
queue-d’aronde, c. 125 av. J.-C.) et surtout : Mary-Anne Zagdoun, La sculpture archaïsante dans l’art
hellénistique et dans l’art romain du Haut-Empire (BEFAR, 269), Paris, Diffusion de Boccard, 1989, qui
mentionne l’Athéna sur les monnaies de Ménandre (fig. 18 et 19), des peintures de la Villa de la Farnésine
(no 422), la tombe des Valerii (no 491) et d’autres monuments en rapport avec nos objets. Mentionnons aussi
l’Athéna du Puteale Albani du Musée capitolin de Rome (E. La Rocca, Cl. Parisi Presicce et A. Lo
Monaco éd., I giorni di Roma. L’èta della conquista, Rome, Skira, 2010, I. 5) et d’autres publications de
Mary-Anne Zagdoun (« Autour de quelques reliefs néo-attiques », Revue des Études anciennes 95/1, 1993,
p. 235-246), de Fr. Queyrel (op. cit. [n. 79], chap. 10 « Retour sur le passé » et Fr. Queyrel, La sculpture
hellénistique, tome 2 : Royaumes et cités, Les manuels d’art et d'archéologie antiques, Paris, Hermann, 2020), de
J. Boardman (op. cit. [n. 23], p. 112 et n. 94) qui, devant des œuvres indiennes comme un relief de Bhārhut
représentant un personnage à l’apparence d’un Grec armé (notre fig. 60), mais dans le style local, hésitait
entre la tradition archaïsante classique ou un apport plus récent, (J. Boardman, op. cit. [n. 23], fig. 69) ; dans
son dernier ouvrage (GrAs) la question ne se pose plus et un apport récent est admis.
251. Rhytons nos 76 et 78 p. ex.
252. GrAs, fig. 32, y reconnaît bien le néo-attique archaïsant ; il s’agit d’une Hécate selon l’analyse
détaillée d’A. Invernizzi (Nisa Parthica. Le sculture ellenistiche, Monografie di Mesopotamia, Florence,
Le Lettere, 2009, p. 43-70 ; pl. IX-XII).
253. Supra, n. 157, n. 200.
254. GrAs, fig. 48, n. 183. Sur Ménandre, souverain indo-grec, le Milindapañha et ses possibles
relations avec les populations indiennes, même s’il ne s’était pas converti au bouddhisme comme on l’a cru
parfois jadis, voir : Alfred Foucher, « À propos de la conversion au bouddhisme du roi indo-grec Ménandre »,
Mémoires de l’Institut de France 43, 2, 1951, p. 259-295 ; O Bopearachchi, « Ménandre Sôter, un roi
Indo-Grec », Studia Iranica 19/1, 1990, p. 39-85 ; C. Scherrer-Schaub, « Le roi indo-grec Ménandre
discuta-t-il avec des philosophes bouddhistes ? », in ACOH, p. 167-171 ; WmetE, p. 22-28. En revanche,
l’on ignore tout de ses relations avec le monde de la Méditerranée.
255. Le rendu y est moins soigné que sur les émission de Ménandre.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
Fig. 58. – Revers de tétradrachme de Ménandre I
Sôter, Athéna Alkimémos, 14,13 g, 31 mm.
Bibliothèque nationale de France, département
Monnaies, médailles et antiques, 1973.35 ; Monnaies
gréco-bactriennes et indo-grecques. Catalogue
raisonné, Bibliothèque nationale [Texte imprimé] /
par O. Bopearachchi, Paris, 1991, p. 231, no 53.
109
Fig. 59. – Straton Ier, tétradrachme de poids indien.
Coll. Partic. Allemagne. Cliché aimablement
communiqué par O. Bopearachchi. Sur ces séries :
Osmund Bopearachchi, Monnaies gréco-bactriennes et
indo-grecques : catalogue raisonné, Paris, Bibliothèque
nationale, 1991, p. 91-95.
moins à partir de Ménandre Ier au milieu du iie siècle av. J.-C. 256. Le retrouver à
Nisa et au Gandhāra indique incontestablement des relations, des routes actives et
une attention aux arts du temps qui va bien au-delà de la simple copie d’objets,
même si les sculpteurs, les ciseleurs, les graveurs et les lapidaires de notre domaine
n’avaient pas nécessairement conscience de l’archaïsme en tant que tel. Plus encore,
les plissés en zigzag de drapés et vêtements d’une palette gandharienne et de dhotis
sur des sculptures de Bharhut montrent que cette mode stylistique gréco-romaine
s’est bien répandue en Asie centrale et a même été adoptée et adaptée sous la forme
d’une sorte de méandre en Inde à la fin de la période hellénistique 257 (fig. 60).
Toutes ces observations témoignent de communications et de transferts intenses et
rapides.
256. A. Rouveret, Histoire et imaginaire de la peinture ancienne (Ve siècle av. J.-C.-Ier siècle apr. J.-C.),
Rome, École française de Rome (Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome, 274), 1989,
p. 453, sur le développement du courant néo-attique à Pergame au milieu du iie siècle av. J.-C. Un camée
serti dans l’or récemment publié est donné comme provenant de notre région ; il montre Hermaphrodite
coiffé « en côtes de melon », dévoilant son anatomie, ithyphallique et les seins dénudés, tandis que son voile
tombe en plissé archaïsant ; il aurait été gravé en Égypte vers 100 av. J.-C. ou un peu avant (WmetE, p. 54-55,
cat. no 50).
257. Le plissé en méandres géométriques de la tunique de l’Omphale de PdG no 16 est comparable à
ceux des vêtements (dhotis) de Bāhrut (A.K. Coomaraswamy, La sculpture de Barhut, Paris, 1956, fig. 16 bis,
17 à 22, 40 à 45, 48, avec une mention spéciale pour le no 43 pl. XVII (= GrAs, fig. 69) qui pourrait
représenter un « Grec » diadémé ou s’en inspirer ; voir aussi ces statues dans Niharranjan Ray, Maurya and
Sunga art, Calcutta, Indian Studies, 1965, fig. 15-22.
110
HENRI-PAUL FRANCFORT
Finalement, ce sont Rome et la Campanie, et non seulement Alexandrie, que
nous avons redécouverts par Dilbardjin et Nisa, par la Bactriane Saka-Yuezhi et
l’empire parthe, mais aussi par une ouverture qui s’est affirmée sur l’Altaï et la
Mongolie, chez les Scythes et les Xiongnu. Les Bactriens, les Saka, les Yuezhi, les
Gandhāriens et les Indiens, sans parler des Parthes, ont procédé à des choix sélectifs
d’appropriations culturelles, même après la fin des royaumes grecs, mais ils ont
indubitablement été demandeurs, tout autant que donneurs, cela va sans dire.
Ils ont fait vivre plus qu’un placage, un pastiche ou le snobisme hellénisant d’une
classe en quête de distinction. Dans ces conditions, l’hellénisme dont nous avons
tenté ici de présenter des transformations et la vigueur, sinon même un nouvel éclat
avant son crépuscule, ne peut pas être pris pour une identité autre que culturelle et
à intensité variable 258. À la fin, si l’on met en perspective les émissions de Kujula
Kadphisès imitant celles d’Auguste avec la peinture des Dioscures de Dilbardjin et
sa bordure au masque de théâtre, les scènes de cour et les compositions des bordures
des tentures Yuezhi/kouchanes de Noin-Ula, les Érotes vendangeurs de Takht-i
Sangin, ainsi peut-être que la coupe à emblèma al-Sabah, une toute nouvelle image
se profile. Celle-ci prend davantage en compte les échos du monde gréco-romain
julio-claudien, un flux permanent ou ponctuel venant de la Méditerranée
gréco-romaine à travers l’empire parthe, à côté d’éléments steppiques pouvant être
arrivés de fort loin, des confins de la Mongolie et de la Chine (Saksanokhur, Tillya
Tepa) 259 et de la continuité d’un hellénisme local gréco-bactrien transformé (art
monétaire et imagerie royale, art monumental, bronzes, orfèvrerie et objets de
luxe : Tilla Bulak, Takht-i Sangin, Khalchayan). Ce courant touche, de façon
différenciée dans les divers arts, d’un côté l’image du pouvoir des princes et des
guerriers, de l’autre le rêve d’amour ou le mal d’un pays rêvé des citadins.
Ce courant est attesté par des œuvres produites localement qui montrent une
certaine connaissance des arts et des théories gréco-romaines de l’époque (leptotès
258. Dans une abondante littérature je retiens un petit choix. Rachel Mairs, « Greek identity and the
settler community in Hellenistic Bactria and Arachosia », Migrations & Identities 1/1, 2008, p. 19-43 ; Id.,
« Lapis Lazuli, Homer and the Buddha: material and ideological exchange in West Asia (c. 250 BCE-200
CE) », 2016 ; L. Martinez-Sève, « Les Grecs d’Extrême Orient : communautés grecques d’Asie Centrale et
d’Iran », Pallas 89, 2012, p. 367-391. La vue la mieux documentée et la plus équilibrée est à mon avis celle
de G. Rougemont, « Les inscriptions grecques d’Iran et d’Asie centrale. Bilinguismes, interférences
culturelles, colonisation », Journal des Savants, 2012, p. 3-27 ; Id., avec un post-scriptum et une note par
Paul Bernard, « Grecs et non Grecs dans les inscriptions grecque d’Iran et d’Asie centrale », Studia
Iranica 43, 2014, p. 7-39, où le très important « Post-scriptum : les textes et l’archéologie » dû à la plume de
P. Bernard (p. 32-36) relève le caractère gréco-oriental des réalisations matérielles de la culture, en dépit de
la pureté de la langue grecque en Bactriane durant des générations ; voir aussi BraceGrec, p. 237-278.
259. J. Boardman, sur les kètea et les dragons chinois GrAs ; Id., « Tillya Tepe: Echoes of Greece and
China », in Afghanistan: Forging Civilizations along the Silk Road, J. Aruz et E. Valtz Fino éd., New
Haven-Londres, The Metropolitan Museum of Art-Yale University Press, 2011, p. 102-111.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
Fig. 61. – Vieille Nisa (Turkménistan).
Relief en ivoire de rhyton. Figures
féminines tenant des tablettes. Photo :
archive Centro Ricerche Archeologiche
e Scavi Torino.
111
Fig. 62. – Vieille Nisa (Turkménistan).
Relief en ivoire de rhyton. Figures
féminines tenant des tablettes et
volumen. Photo : archive Centro
Ricerche Archeologiche e Scavi Torino.
Fig. 60. – Bharhut (Inde). Statue de yavana. Indian
Museum, Calcutta. Commons.wikimedia.org/wiki/
File:Greek_Warrior._Bharhut,_c._100_BC._Indian_
Museum,_Calcutta_ei05-13.jpg by G41rn8.
et art archaïsant notamment). Poésie, théâtre, philosophie et arts paraissent faire
partie du bagage des élites (grecques, indo-grecques, indo-scythes, indo-parthes,
Saka-Yuezhi et premiers Kouchans). Depuis le papyrus philosophique d’Aï
Khanoum 260 et le philosophe ciselé sur les rhytons de Nisa appuyé sur son bâton
comme celui d’une célèbre peinture de la villa de P. Fannius Synistor à Boscoreale
jusqu’aux représentations de rouleaux et de tablettes à Nisa et au Gandhāra, l’art
illustre une idée de la transmission de la culture grecque 261 (fig. 61 et 62). D’ultimes
260. Philosophie : Ph. Hoffmann, op. cit. (n. 189) ; Ph. Hoffmann et A. Thiollier, op. cit. (n. 189).
Poésie : IGIAC, no 81 (Kandahar épigramme du fils d’Aristônax) ; no 84 (Kandahar – ? – inscription
acrostiche de Sôphytos en vers) ; no 91 (Djiga-Tépé en Bactriane, épigramme funéraire à référence
homérique – Il. 22-39) ; no 97 (Aï Khanoum, inscription de Cléarque) ; no 132 (Aï Khanoum, œuvre
dramatique sur parchemin, de Sophocle ?) ; no 138 (Aï Khanoum, épigramme funéraire) ; no 151 (Kuliab – ?
– dédicace d’Héliodotos pour Euthydème et Démétrios) ; IGIAC, p. 336-337 : la langue et de la poésie
grecques de Kulyab à Kandahar vers la fin de la période hellénistique.
261. E. Pappalardo, op. cit. (n. 135), p. 237-250, fig. 10.8 et 10.9 ; BraceGrec, p. 263-268 ; GrAs XXXVI
droite ; P. Bernard, « Les rhytons de Nisa. I. Poétesses grecques », Journal des Savants, 1985, p. 25-118.
112
HENRI-PAUL FRANCFORT
traces d’hellénisme se trouvent peut-être encore dans les noms de héros longtemps
répétés 262 ou d’humbles graffiti de Bam (Iran) 263 ou du Séistan afghan 264. Ce vieux
courant d’hellénisme s’est amenuisé puis a pris fin, disparaissant au bénéfice de
religions, de philosophies, de littératures et d’arts indiens, iraniens ou
centrasiatiques, tandis que les échanges entre l’empire des Kouchans, celui des
Parthes, la Chine et l’empire romain et byzantin se poursuivaient durant des siècles.
La circulation d’objets hellénisés ainsi que la transmission de formes isolées
continuèrent ainsi de manière ponctuelle, longtemps.
Le présent article était sous presse lorsque la dernière livraison de Parthica est parue,
avec deux articles importants d’E. Pappalardo et de V. Messina dont je ne peux ici que
signaler succinctement quelques points pertinents en remerciant bien vivement les auteurs de
m’avoir communiqué leurs textes. Ils sont consacrés à certains aspects de l’art de Séleucie du
Tigre et de Nisa. Le premier 265 met en perspective deux thèmes iconographiques, la Muse au
volumen et la Ménade dansant vue de dos. Il insiste aussi sur le rôle de la littérature dans
l’Orient hellénisé 266, venant enrichir nos propos sur le motif dionysiaque 267 et ceux sur les
utilisations d’extraits d’œuvres en forme réduite 268. Le second 269 ouvre d’intéressantes
perspectives sur l’art romain de la seconde moitié du Ier siècle av. J.-C. pour les protomes des
rhytons de Nisa, l’utilisation de moulages dans la transmission des œuvres et le rôle possible
du sculpteur Arcésilas 270.
262. BraceGrec, p. 256-262 et n. 70 ; Paul Bernard, op. cit. (n. 193).
263. Les données sur l’Arachosie, l’Arie et la Drangiane ont été rassemblées récemment par W. Ball
(op. cit. [n. 182]) ; pour Bam : S. Zare’a, « Āgāhihā-ye now az Bam : mo’arefi-ye chand sofāl nebeshte-ye
Unāni » (New information from Bam: Some Greek Ostraka) », Bastanpazhuhi 2/3, spring and summer 2007,
p. 118-119.
264. Pour le Séistan : les inscriptions grecques de Qala-i Sam (Séistan) : IGIAC, nos 79-80, p. 163-164,
et 80 bis du Séistan iranien-Drangiane (?) ; p. 265-268 : lettre royale de Seleucos II au sujet de chevaux et de
pâturages et d’importants commentaires sur les toponymes par P. Bernard, notamment sur Baiseira ; pour
le Séistan afghan, les résultats de l’expédition de W. Trousdale des années 1970 sont en cours d’étude, les
sites de Khwjah Kanur et Seyhak ont donné des antiquités hellénisantes (éléments d’architecture) et des
inscriptions fragmentaires (alphabet grec et araméen) en cours d’étude (M. Allen et W. Trousdale, « Cultural
complexity in Afghan Seistan », paper presented at the ASOR, Boston, 2017).
265. E. Pappalardo, V. Messina, « The Maenad and the Muse. Connectivity and Appropriation of
Models in Hellenizing Mesopotamia and Parthia. Two case-studies from Seleucia on the Tigris and Old
Nisa », Parthica 21, 2019, p. 67-83.
266. Supra, principalement p. 84 s.
267. Supra, p. 76 s. ; n. 182.
268. Supra, p. 186 ; n. 179 ; 184.
269. E. Pappalardo, « Il viaggio del Centauro: Arcesilao e la circolazione di modelli fra oriente e
occidente », Parthica 21, 2019, p. 127-141.
270. Moulages : supra, p. 54 s. ; n. 119 ; 127 ; 177 ; lien avec Rome (un peu plus tard) : supra, p. 51 ;
92 s. ; 103 s.
INDICES NOUVEAUX DE L’HELLÉNISME DANS LES ARTS
113
Abréviations bibliographiques
ACOH = P. Leriche éd., Art et civilisations de l’Orient hellénisé. Rencontres et échanges
culturels d’Alexandre aux Sassanides. Hommage à Daniel Schlumberger, Paris, Picard,
2014.
AHE = M. L. Carter, with contributions by P. O. Harper and P. Myers, Arts of the Hellenized
East. Precious Metalwork and Gems of the Pre-islamic Era, Londres, Thames & Hudson,
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